Année politique Suisse 1988 : Politique sociale / Assurances sociales
 
Assurance-maladie et maternité
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Initiative des caisses-maladie
Le Conseil fédéral a proposé le rejet, sans lui opposer de contre-projet, de l'initiative populaire "Pour une assurance-maladie financièrement supportable" déposée en 1985 par le Concordat suisse des caisses-maladie. Pour justifier son renoncement à élaborer un contre-projet, le gouvernement a estimé inopportun de présenter un nouveau projet si rapidement après le rejet par le peuple de la révision de l'assurance-maladie et maternité en décembre 1987 . L'initiative entend lutter contre la hausse des coûts de la santé sans remettre toutefois en question le principe de l'assurance facultative. Elle demande que la Confédération et les cantons fixent des normes en matière de tarifs et que les cotisations des assurés à ressources modestes et des familles soient réduites. Ces exigences sont assorties d'une disposition transitoire qui contraint la Confédération à augmenter de manière substantielle ses subventions aux caisses dans l'année qui suit l'acceptation de l'initiative, puis de les adapter constamment à l'accroissement des coûts de l'assurance-maladie. En d'autres termes, cela pourrait signifier qu'en 1991 la Confédération serait tenue de verser 2,5 milliards de francs aux caisses-maladie au lieu des 984 millions dus selon le régime actuel [16].
C'est précisément cette disposition d'ordre financier qui a constitué la principale raison du rejet de l'initiative par le Conseil fédéral. Celui-ci a mis en évidence l'incompatibilité de cette exigence avec la situation des finances fédérales. A son avis, la mise à disposition de plus grands moyens financiers ne suffirait pas à résoudre les problèmes qui se posent à l'assurance-maladie et contribuerait même à perpétuer le système actuel de financement qui ne tient pas compte de la capacité économique de l'assuré. Qui plus est, a-t-il ajouté, l'initiative n'apporte pas de solution au problème crucial de l'explosion des coûts de la santé puisqu'elle s'attaque davantage au financement qu'à la cause des dépenses. Pour le gouvernement, c'est au niveau législatif que l'on doit résoudre les problèmes de l'assurance-maladie et non au niveau constitutionnel [17]. Le Conseil fédéral a également tenu à rappeler qu'il a chargé quatre experts d'élaborer séparément des propositions concrètes et réalisables en vue de trouver une solution aux problèmes de l'assurance-maladie [18].
A l'instar du Conseil fédéral, le Conseil des Etats a jugé insupportable pour les finances de la Confédération la disposition transitoire de l'initiative prévoyant une adaptation régulière des subventions fédérales et a estimé que le remède préconisé par les caisses-maladie était peu apte à enrayer l'inflation des coûts de la santé. La chambre haute a également fait valoir que l'initiative aboutirait à un monopole des caisses-maladie, mettant à l'écart l'assurance privée. Elle a donc décidé, à l'unanimité, de recommander son rejet. Mais, afin de sortir le dossier de l'assurance-maladie de l'impasse dans laquelle il se trouve, le Conseil des Etats a, contre l'avis du Conseil fédéral, souscrit au contre-projet indirect au niveau législatif élaboré par sa commission [19].
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Contre-projet
Présenté sous la forme d'une révision partielle de l'assurance-maladie, le contre-projet reprend de nombreuses dispositions du programme d'urgence, à l'exception du volet consacré à l'assurance maternité, refusé en votation populaire. La révision prévue oblige les caisses-maladie à accueillir toutes les demandes d'assurance, soutient des mesures de médecines préventives, instaure un contrôle économique des traitements, permet la constitution de nouveaux modèles d'assurance et augmente de 10 à 15% la participation des assurés aux frais. Par rapport à la révision soumise au souverain en 1987, le contre-projet prévoit une augmentation de 200 millions de francs des subventions fédérales aux caisses-maladie [20].
Une majorité du Conseil des Etats, composée de démocrates-chrétiens, de socialistes et de démocrates du centre, a soutenu le projet de sa commission en insistant sur la nécessité de lutter sans tarder contre l'explosion des coûts de la santé et la hausse des cotisations qui grèvent toujours plus lourdement le budget des plus défavorisés. Elle a aussi relevé que cette révision partielle n'était pas incompatible avec une refonte complète de la loi et a tenu à souligner qu'elle serait susceptible d'inciter les initiants à retirer leur initiative. Les détracteurs, radicaux et libéraux, ont dénoncé l'inopportunité de la démarche en rappelant que le peuple avait repoussé les solutions qui composent pour l'essentiel le contre-projet. Ils ont également souligné qu'il pouvait compromettre, ou tout au moins différer, les travaux du Conseil fédéral en la matière et qu'il était peu probable que l'initiative des caisses-maladie soit retirée [21].
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Autres modèles
A l'initiative du Concordat des caisses-maladie, aux propositions des experts mandatés par le Conseil fédéral et au contre-projet indirect élaboré par la Commission du Conseil des Etats viennent encore s'ajouter d'autres modèles de révision de l'assurance-maladie. Il s'agit d'abord de celui du Parti radical (PRD) qui préconise un renforcement de la responsabilité individuelle, une extension des caisses de santé du type HMO afin d'intensifier la concurrence entre les caisses-maladie et enfin l'abandon des subventions dites "arrosoir" au profit d'une aide ciblée. Il s'est également prononcé en faveur de primes proportionnelles aux risques pour les femmes, les hommes et les enfants [22].
Pour sa part, la Fédération des médecins suisses (FMH) souhaite l'élaboration d'une nouvelle loi sur l'assurance-maladie basée sur la libre concurrence, accessible à chaque citoyen indépendamment de son statut social et qui garantisse la qualité des soins tout en favorisant la responsabilité individuelle. Pour la FMH, l'assurance-maladie doit rester facultative et les caisses-maladie en mesure d'offrir une assurance de base identique pour les soins médicaux. En ce qui concerne son financement, il doit être garanti par des cotisations échelonnées selon les groupes d'âges en tenant compte du principe de solidarité, la Confédération versant des subventions modulées d'après la capacité financière des assurés. Enfin, elle se prononce en faveur de l'égalité des cotisations entre l'homme et la femme, seules les personnes âgées devant être mises plus fortement à contribution. Autant de propositions émanant des milieux les plus divers qui témoignent de la difficulté à parvenir à dégager un consensus politique indispensable à toute refonte de la loi sur l'assurance-maladie [23].
Le Conseil national a rejeté, par 88 voix contre 75, l'initiative Borel (ps, NE) qui demandait une modification de la loi sur l'assurance-maladie afin de concrétiser l'égalité des cotisations entre hommes et femmes. Le projet était soutenu par la gauche, les écologistes, les indépendants et plusieurs élus de la majorité bourgeoise qui ont estimé qu'il s'agissait d'un premier pas en direction de l'égalité des sexes. Ils ont également tenu à rappeler que quatre cantons, Neuchâtel, Fribourg, Genève et Tessin, appliquent déjà cette réglementation. Les opposants, radicaux, libéraux et démocrates-chrétiens, ont répliqué en soulignant que cette égalité ne saurait être instituée sans une ponction dans les caisses fédérales ou une hausse des cotisations des hommes, avec le risque de voir se créer des caisses-maladie réservées aux hommes. Enfin, ils ont fait remarquer que les dépenses occasionnées par les soins médico-pharmaceutiques des femmes sont de 50% supérieures à celles des hommes et que ces derniers faisaient déjà preuve de solidarité, la différence des primes entre les sexes ne s'élevant qu'à 10% [24].
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Assurance maternité
Après le rejet en votation populaire de la révision partielle de la loi sur l'assurance-maladie et maternité en 1987, qui prévoyait entre autres d'instituer le principe d'une assurance maternité dans le système de sécurité sociale, le besoin de garantir un revenu aux femmes enceintes et aux jeunes mères exerçant une profession demeure entier [25]. Au Conseil des Etats, les sénateurs ont transmis sous la forme d'un postulat une motion Jaggi (ps, VD) priant le Conseil fédéral de procéder à une révision du code des obligations afin de garantir un congé-maternité payé de 16 semaines. La loi sur le travail interdit aux femmes de travailler pendant les huit semaines suivant l'accouchement mais ne prévoit aucune garantie quant au salaire pendant cette période. Sauf si certaines conventions collectives adoptent une position différente, une salariée qui a eu un enfant n'a droit qu'à trois semaines de congé payé si elle a été engagée depuis une année, chaque année de service supplémentaire au sein de l'établissement ajoute une semaine de congé payé. Aux opposants qui insistaient sur les nouvelles charges salariales que pouvait entraîner une telle réglementation sur les petites entreprises, les partisans de la forme contraignante de la motion ont répliqué en évoquant l'urgence de trouver une solution en faveur des femmes ayant effectivement besoin d'un soutien et en rappelant que le congé de seize semaines n'avait pas été contesté lors de la campagne précédant le vote [26].
A l'instar du Conseil des Etats, le Conseil national a adopté sous la forme d'un postulat une motion de la commission de la sécurité sociale chargeant le gouvernement de lui soumettre un projet d'acte législatif relatif à la protection de la maternité. Celui-ci doit contenir des dispositions qui garantissent un congé-maternité de seize semaines dent huit après l'accouchement, un revenu assuré pour les femmes exerçant une activité lucrative et la protection contre les licénciements durant toute la grossesse et le congé maternité. A l'origine de cette intervention, une initiative parlementaire de l'ancienne conseillère nationale Christinat (ps, GE) que la Commission de la sécurité sociale du Conseil national a transformé en motion. Une majorité du Conseil national a déploré la situation sociale des femmes enceintes, mais est toutefois restée très divisée lorsqu'il s'est agi de prendre des mesures concrètes. Si les socialistes, les écologistes, les indépendants et quelques élus de la droite ont soutenu la forme contraignante de la motion, les démocrates-chrétiens ont plaidé en faveur de la forme du postulat arguant du vote négatif sur la révision partielle de la loi sur l'assurance-maladie et maternité [27].
A une interpellation Nabholz (prd, ZH) qui lui demandait ce qu'il entendait entreprendre pour instaurer une assurance maternité, le Conseil fédéral, se référant au résultat de la votation populaire du 6 décembre 1987, a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de soumettre prochainement de nouvelles propositions [28]. Il est dès lors peu probable qu'une solution fédérale intervienne dans de brefs délais, même si le gouvernement n'a pas exclu une future réglementation prévoyant des allocations pour des familles de condition modeste. Selon lui, il appartient désormais aux cantons de légiférer dans ce domaine. Mais une cantonalisation de la protection de la maternité risque de créer des disparités à l'instar de celles qui existent déjà dans le domaine des allocations familiales.
 
[16] FF, 1988, II, p. 256 ss. Cf. APS 1985, p. 150 (Dépôt de l'initiative) et 1987, p. 199 ss.
[17] FF, 1988, II, p. 256 ss.
[18] Cf. supra, part. I, 7b (Politique de la santé).
[19] BO CE, 1988, p. 892 ss.
[20] FF, 1988, III, p. 1262 ss.; presse du 7.9. et 18.10.88.
[21] BO CE, 1988, p. 892 ss. Cf. aussi DP, 8.9. et 22.12.88; USS, 4.1.89; SHZ, 5.1.89.
[22] Presse du 30.5.88. HMO: APS 1986, p. 157.
[23] Presse du 30.8.88.
[24] BO CN, 1988, p. 1899 ss.
[25] Cf. APS 1987, p. 199 ss.
[26] BO CE, 1988, p. 61 ss.
[27] BO CN, 1988, p. 840 ss. et 858 ss.
[28] BO CN, 1988, p. 461.