Année politique Suisse 1992 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Principes directeurs
Dans son rapport sur le programme de législature 1991-1995, le Conseil fédéral a souligné l'ampleur des changements politiques et économiques intervenus ces dernières années sur la scène internationale. Dans un monde marqué par une interdépendance croissante entre les nations, les lignes directrices de la politique étrangère (indépendance, maintien de la paix et de la sécurité et promotion du bien-être) devront être repensées et adaptées en fonction des nouvelles exigences de la réalité internationale. La préservation de l'indépendance du pays, de même que le maintien de la paix et de la sécurité, passeront par une plus grande priorité accordée à la solidarité entre les Etats au dépens de la neutralité, ce qui se traduira par une intensification de la participation aux décisions prises sur le plan international. Enfin, la sauvegarde et l'amélioration du bien-être ne pourront être assurées que par une intégration plus poussée de la Suisse à l'économie européenne et mondiale [1].
Afin de succéder à K. Jacobi, le Conseil fédéral a choisi J. Kellenberger, ancien chef du bureau de l'intégration, comme nouveau secrétaire d'Etat; celui-ci a joué un rôle important et apprécié lors des négociations sur le traité de I'EEE et passe pour un partisan de l'intégration européenne [2].
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Neutralité
La fin de la guerre froide, l'accélération de la construction européenne et, plus récemment, la position de la Suisse lors de la guerre du Golfe ont relancé le débat sur la politique extérieure de la Suisse et, plus particulièrement, sur la question de sa neutralité. L'année dernière, le Conseil fédéral, à la demande de la majorité des parlementaires, mandatait un groupe d'étude afin d'établir un rapport sur le rôle futur de la neutralité pour la Suisse. Sa publication était attendue avec impatience car ses conclusions devraient inspirer les grandes lignes de la politique extérieure de la Suis se de ces prochaines années, notamment en ce qui concerne le rapprochement avec la CE. Tout en réaffirmant l'attachement au noyau dur de la neutralité, les auteurs du rapport estiment que pour faire face aux changements fondamentaux de l'environnement international il est devenu nécessaire de donner une nouvelle orientation à la politique étrangère de la Suisse sous l'angle de la neutralité.
Les auteurs du rapport relèvent que dans un contexte européen où le spectre d'une guerre entre grandes puissances s'est considérablement éloigné, l'importance et la signification de la neutralité ont diminué; celle-ci ne constitue qu'un instrument parmi d'autres servant à promouvoir les intérêts de la Suisse. La probabilité de conflits armés classiques entre Etats s'est nettement atténuée; la nature des dangers a changé. La neutralité n'offre que peu de protection face à de nouvelles menaces, telles que l'utilisation d'armes A, B ou C, les migrations, la destruction de l'environnement ou les catastrophes. En raison de leur dimension internationale et de l'interdépendance accrue entre les Etats, la sécurité reposera davantage que par le passé sur la coopération internationale. Pour la Suisse, cela signifie que la meilleure façon de défendre ses intérêts consiste à participer de manière constructive à la mise en place de nouvelles structures de sécurité.
Selon le rapport, la Suisse doit concentrer sa neutralité à la stricte définition du droit international public, à savoir la non-participation militaire à un conflit armé entre Etats tiers. Cela doit permettre à la Confédération, tout en maintenant son statut de neutralité permanente – maintien de la neutralité en cas de conflit indépendamment des parties engagées –, de faire preuve d'une plus grande flexibilité dans l'application de sa politique de neutralité. Concrètement, lorsque des sanctions non-militaires – en particulier économiques – sont prises par la communauté internationale au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, la Suisse, pour des raisons de solidarité, devrait y participer. De même, elle ne devrait pas entraver les actions militaires menées au nom de la communauté internationale; elle pourrait donc autoriser le transit ou le survol du territoire helvétique par des forces armées, ce que le Conseil fédéral n'avait pas fait lors de la guerre du Golfe. Par ailleurs, le statut de neutralité ne constituerait pas un obstacle à l'adhésion à la CE et à l'Union européenne du traité de Maastricht, tant que ses Etats membres n'ont pas conclu d'alliance militaire. En ce qui concerne les liens entre la Suisse et le CICR, la renonciation à la neutralité n'entraverait pas les activités de ce dernier, étant donné l'indépendance acquise par cette institution [3].
La publication du rapport du groupe d'étude avait été précédée par différentes prises de position sur ce sujet. Ainsi, au début de l'année, un groupe de travail du parti radical-démocratique a rendu public un rapport, dans lequel il se déclarait favorable à une définition plus flexible du concept de neutralité. Les principales conclusions du groupe d'étude mandaté par le Conseil fédéral rejoignent celles du PRD. Afin d'adapter la politique de neutralité aux bouleversements récents de la société internationale, les auteurs préconisent de la limiter à son noyau dur – non-participation militaire à une confrontation armée – afin que le gouvernement puisse disposer d'une plus grande marge de manoeuvre dans ses relations extérieures sur les plans politique, idéologique et économique. Selon eux, le Conseil fédéral aurait dû autoriser le survol du territoire helvétique par l'aviation militaire de la coalition internationale lors de la guerre du Golfe en 1991 [4].
S'opposant à toute redéfinition du statut de neutralité, un groupe de conseillers nationaux – Hafner (pep, BE), Bircher (pdc, AG), Mauch (prp, AG) et Fischer (udc, AG) – a remis au DFAE une expertise effectuée par le professeur W. von Wartburg de l'université de Bâle. Ces parlementaires considèrent qu'une adhésion à la CE ou à l'ONU serait incompatible avec la neutralité de la Suisse; une telle adhé nuirait en particulier à l'efficacité des actions de la Suisse en faveur de la paix par l'exercice des bons offices, de même qu'au travail du CICR [5].
Le chef du DMF a également exposé à plusieurs reprises sa conception de la neutralité dans le nouveau contexte de l'après-guerre froide; elle diffère quelque peu des conclusions du rapport du groupe d'étude. En préconisant une neutralité différenciée, K. Villiger est favorable à l'abandon de la neutralité dans l'éventualité de certains types de conflits. Pour ce qui concerne les conflits intra-européens ou extra-européens, la Confédération devrait maintenir sa neutralité; par contre, lorsque un conflit mettrait au prise les Etats européens à un ennemi commun, la Suisse devrait se montrer solidaire de l'Europe en contribuant à une défense commune [6].
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Réformes institutionnelles
Le Conseil national a transmis comme postulat la motion Zimmerli (udc, BE) — acceptée l'an dernier par le Conseil des Etats — qui préconisait une reformulation de l'article 2 de la constitution, de manière à énoncer les objectifs et les moyens de la future politique étrangère de la Suisse. Il s'est ainsi rangé à l'avis du Conseil fédéral. Même si la commission de la politique extérieure a déclaré qu'il était souhaitable d'inscrire dans la constitution une nouvelle version de cet article, elle a estimé qu'une telle révision n'était pas indiquée dans une période où la politique étrangère était en pleine évolution; d'autre part, elle a considéré que sa motion, transmise l'année dernière par la chambre basse, lui paraissait plus complète que celle adoptée par le Conseil des Etats. Quelques jours plus tard, ce dernier, au soulagement du Conseil fédéral, a toutefois refusé à une courte majorité de transmettre la motion de la commission de la chambre basse. Il a préféré la transformer en postulat, à cause essentiellement de la redéfinition des compétences entre le Conseil fédéral et les Chambres qui était exigée par ce texte [7].
Dans le cadre de la révision de la loi sur les rapports entre les Conseils, contenue dans la réforme du parlement, la participation du parlement à la politique extérieure a été renforcée [8].
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Droits de l'homme
Malgré l'opposition de certains députés bourgeois, le Conseil national a transmis comme postulat la motion Bäumlin (ps, BE) qui prie le gouvernement d'ouvrir un crédit de programme destiné à soutenir les organisations internationales travaillant à la promotion des droits de l'homme [9].
La chambre basse a cependant refusé de donner suite à une initiative parlementaire de la même députée qui demandait d'introduire une base légale pour la politique en matière des droits de l'homme. Les parlementaires ont suivi l'avis de la majorité de leur commission de politique extérieure qui a estimé qu'un tel ancrage dans une loi s'avérerait à la fois trop rigide et incomplet. Lors du vote, la minorité socialiste et écologiste, favorable à l'initiative, a dû se soumettre aux groupes parlementaires bourgeois [10].
 
[1] FF, 1992, III, p. 1 ss.; J. Kellenberger, «Législature 1991 à 1995. Points forts de la politique étrangère suisse», in La Suisse et le monde, 1992, no 2, p. 25 ss.
[2] NQ, 25.1.92; presse du 28.1.92; WoZ et L'Hebdo, 30.1.92.
[3] APS 1991, p. 72; SHZ, 27.2.92; BZ, 26.3.92; DP, 30.4.92; presse du 27.3.92; JdG, 16.5.92; M. Krafft, «La notion de neutralité évolue», in La Suisse et le monde, 1992, no 2, p. 40 ss.; Lit. groupe d'étude; voir aussi, A. Riklin, «Die Neutralität der Schweiz», in Lit. Riklin et al. (éd.), p. 191 ss.
[4] Presse du 5.2.92; Revue politique du PRD, 1992 no 3.
[5] Presse du 10.1.92.
[6] L'Hebdo. 6.2. et 19.3.92; Bund et NZZ, 9.4.92; LZ, 6.6.92.
[7] APS 1991, p. 72 s.; BO CN, 1992, p. 256 ss.; BO CE, 1992, p. 137 ss.
[8] Cf. APS 1991, p. 39 ff. et supra, part. I, 1c (Parlament).
[9] BO CN, 1992, p. 264 s.
[10] BO CN, 1992, p. 2714 ss.