Chronique générale
Résumé
Comme l'année dernière, la question de la politique européenne fut aussi au centre des débats politiques en 1993. En dépit de l'irritation des adversaires à toute forme d'intégration, le Conseil fédéral a réaffirmé, dans son rapport sur la politique extérieure, son objectif d'adhérer à l'Union européenne, renonçant ainsi à retirer sa demande de négociation en vue d'adhérer à l'UE. Par respect pour l'opinion majoritairement négative, le Conseil fédéral s'est abstenu d'effectuer des pas concrets en direction de l'objectif de l'adhésion. En 1993, la politique européenne du Conseil fédéral pourrait se résumer par la modification de la formule des années 80 «être eurocompatible, pour ne pas devoir adhérer» en «rester eurocompatible, même si on ne peut pas adhérer». Concrètement, cela a signifié, d'une part, la reprise autonome d'une partie de la législation européenne dans le droit fédéral et, d'autre part, la poursuite de négociations en vue de conclure des accords bilatéraux avec l'UE. La première de ces tâches se révéla beaucoup plus simple à réaliser que la seconde.
Dans le but d'adapter le droit fédéral à celui de l'UE, le Conseil fédéral a présenté le programme «Swisslex» qui reprenait 27 révisions législatives contenues dans le paquet «Eurolex» approuvé en 1992 par les Chambres fédérales. Ce nouveau programme, composé essentiellement de modifications dans le domaine économique, a été adopté sans grande opposition par les parlementaires et n'a pas été contesté par voie de référendum. De façon plus générale, le Conseil fédéral et les Chambres se sont efforcés de rechercher la plus grande compatibilité de la législation suisse avec les normes de l'UE. Ainsi, par exemple, la nouvelle loi sur la protection des marques est non seulement très proche de la directive de l'UE sur ce sujet, mais elle a même été mise en oeuvre plus rapidement qu'en Allemagne.
La conclusion d'accords bilatéraux sectoriels avec l'UE s'est par contre révélée beaucoup plus difficile. L'argument des opposants à l'EEE, selon lequel l'UE ne pourrait se permettre de rester indifférente à l'égard d'un partenaire économique aussi important que la Suisse, s'est avéré une illusion. En effet, même si les autorités de Bruxelles se sont montrées ouvertes pour entamer des discussions, elles ont fait clairement savoir à la Suisse qu'elle ne pouvait espérer obtenir des accords dans les domaines qui l'intéressent particulièrement (transports et recherche) sans traiter d'autres thèmes, comme la libre-circulation des personnes ou l'accès au marché suisse pour les produits agricoles des pays du Sud de l'Europe.
Mis à part la question européenne, la défense nationale suscita également un large débat public à l'occasion des votations populaires du 6 juin sur les initiatives contre l'acquisition de nouveaux avions de combat et pour l'interdiction de construire de nouvelles places d'armes. Après une campagne très émotionnelle, les deux objets furent largement rejetés par le peuple et les cantons. Les discussions sur la défense nationale ne devraient toutefois pas s'arrêter là. En effet, le PS a fait aboutir une initiative populaire pour une réduction drastique des dépenses militaires. Par ailleurs, les milieux nationalistes ont lancé avec succès un référendum contre la loi prévoyant la création d'un contingent de casques bleus chargé d'opération de maintien de la paix.
Outre les deux initiatives sur l'armée, la majorité des citoyens a suivi les mots d'ordre du Conseil fédéral sur l'ensemble des objets soumis à votation en 1993 (en tout 16, dont 7 modifications constitutionnelles, 3 référendums facultatifs et 6 initiatives populaires). Ce bilan relativise quelque peu la perte de confiance des citoyens envers les autorités politiques, en particulier le Conseil fédéral, qui avait été soulignée par de nombreux observateurs à la suite du vote négatif sur le traité de l'EEE. Parmi les différentes votations populaires, il ne s'agissait pourtant pas seulement d'objets secondaires. Les décisions sur les questions fiscales revêtirent une importance particulière en raison de la détérioration de la situation des finances publiques. Après avoir accepté une hausse de 20 . centimes sur les droits d'entrée sur les carburants, les citoyens ont également approuvé, après trois tentatives infructueuses en 1977, 1979 et 1991, le remplacement de l'impôt sur le chiffre d'affaires (ICHA) par la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Par cette décision, ils ont non seulement accepté l'extension des impôts indirects au secteur des services, mais également l'augmentation du taux d'imposition de 6,2% à 6,5%.
La situation économique a continué de se détériorer. A la fin de l'année, les premiers signes d'une amélioration ont commencé à se faire sentir, en particulier en ce qui concerne la progression de la demande extérieure. Cependant, ce résultat ne s'est pas traduit par une amélioration de la situation sur le marché de l'emploi; le taux de chômage a ainsi atteint en fin d'année le niveau record de 5%. Bien que le Conseil fédéral et la majorité bourgeoise du parlement restèrent convaincus que la crise ne pouvait être surmontée que par une amélioration des conditions-cadres de l'économie, ils ont tout de même approuvé un programme de soutien à la conjoncture, demandé par la gauche, en échange du soutien du PS au remplacement de l'ICHA par la TVA.
Selon plusieurs sondages d'opinion, la criminalité et la politique de la drogue représentaient, après le chômage, les principales préoccupations des Suisses. Sous le mot d'ordre de la «sécurité intérieure», la lutte contre la criminalité croissante a été déclarée, surtout dans les grandes villes. Les premières mesures proposées par le Conseil fédéral visaient notamment les trafiquants de drogue étrangers et en particulier ceux, qui, en raison d'une demande d'asile en cours de procédure, ne peuvent être expulsés de Suisse. Le gouvernement ne s'est toutefois pas limité à des mesures répressives; dans le domaine de la politique de la drogue, il a ainsi autorisé, à titre expérimental, la distribution médicalement contrôlée de drogues dures à des toxicomanes. Cet essai constitue une première mondiale.
Avec l'élection de la genevoise Ruth Dreifuss, qui succède à René Felber, une femme fait à nouveau partie du Conseil fédéral après quatre ans d'interruption. Cette élection ne s'est pas faite sans difficulté. Dans un premier temps, l'Assemblée fédérale avait refusé la candidate officielle du PS, Christiane Brunner, et choisi son collègue de parti Francis Matthey. Cependant, ce dernier refusa son élection à la demande de son parti, soucieux de satisfaire à la revendication des femmes. Par la suite, le parlement ne modifia pas son vote à l'égard de la candidate officielle et lui préféra Ruth Dreifuss, présentée comme alternative par le PS. Cette élection fut non seulement remarquable par rapport aux événements qui se déroulèrent au parlement mais aussi en raison de la manifestation réunissant, devant le palais fédéral, plus de dix mille femmes venues soutenir la candidature de Christiane Brunner. Cet événement eut un impact indiscutable lors des différentes élections cantonales de cette année, au cours desquelles une proportion beaucoup plus importante de femmes fut élue dans plusieurs organes législatifs.