Année politique Suisse 1994 : Chronique générale / Défense nationale
Organisation militaire
Suivant le Conseil des Etats en 1993, le
Conseil national a accepté les éléments essentiels de la réforme Armée 95 réunis dans deux arrêtés fédéraux (réduction des effectifs, de l'âge limite, du nombre de jours de service, du nombre d'unités, fréquence des cours de répétition, etc.). Seuls les écologistes et les socialistes se sont opposés à ces mesures, désirant une réforme plus profonde. En particulier, ils ont exigé, mais en vain, une réduction encore plus importante des effectifs
[10].
La décision du Conseil national a permis au Conseil fédéral de mettre en vigueur au 1er août les arrêtés fédéraux sur la réalisation d'Armée 95 et d'approuver un premier paquet d'
ordonnances d'exécution, ce qui doit permettre que la réforme de l'armée débute effectivement le 1er janvier 1995. L'administration militaire a ainsi eu à relever de nombreux défis d'ordres logistiques et organisationnels que pose la réforme, notamment la gestion de la diminution du nombre d'unités, de l'affectation des militaires à ces dernières et de leur équipement
[11].
Le
Conseil des Etats s'est prononcé sur la
loi sur l'armée et l'administration militaire (LAAM 95) pour ce qui concerne les points de la réforme qui n'avaient pas été traités précédemment en raison de leur caractère peu urgent. En particulier, et contre l'avis de sa commission, la petite chambre s'est prononcée de justesse pour la création d'un médiateur auquel le soldat pourrait se référer de manière informelle en cas de problème. La plupart des autres projets du Conseil fédéral ont également été acceptés, notamment les mesures contestées d'élargissement des missions de l'armée, de possibilité d'obliger les militaires à grader ou de maintien de l'obligation d'effectuer des tirs hors-service. A ce sujet, la petite chambre a en outre décidé d'étendre les possibilités de dédommagement aux sociétés de tir pour des entraînements non-obligatoires
[12].
Contrairement à la petite chambre, le
Conseil national a décidé de renoncer à la création d'un médiateur militaire. Il a été souligné qu'une telle instance pouvait provoquer conflits et désordres dans la hiérarchie. Pour le reste, la grande Chambre a rejoint les positions du Conseil des Etats. Elle a ainsi tenu à maintenir l'existence des tirs obligatoires annuels, malgré des attaques venues de la gauche et souhaitant les supprimer pour des raisons écologiques (bruit notamment) ou d'inutilité. Elle s'est en effet ralliée à l'opinion selon laquelle ceux-ci permettaient de familiariser chaque soldat avec son arme et garantissaient l'existence des sociétés de tir. Mesure également contestée, l'obligation de grader a été maintenue. Par ailleurs, la chambre a refusé une proposition des radicaux, libéraux et automobilistes consistant à supprimer de la loi la limite de 40 places d'armes; elle a considéré qu'il fallait respecter les promesses faites à l'occasion de la campagne sur l'initiative populaire "40 places d'armes, ça suffit!". Le Conseil national a encore rejeté la proposition d'une minorité de supprimer la possibilité pour les militaires arrivés au bout de leurs obligations de conserver leur arme, considérant que cela ne représentait pas un danger. En outre, il a refusé de justesse une proposition Sandoz (pl, VD) qui voulait faire du chiffre de 400 000 hommes (représentant l'effectif d'Armée 95) une valeur plancher en deçà de laquelle on ne pourrait descendre. K. Villiger a assuré que ce chiffre pourrait être respecté pendant dix ans mais que, ensuite, pour des raisons démographiques, une diminution serait nécessaire; cela se fera néanmoins progressivement, et le parlement sera consulté. Notons que le refus populaire de la création d'un corps de casques bleus a conduit la Chambre à proposer de redéfinir les tâches de l'armée et à donner à la promotion de la paix un caractère subsidiaire
[13].
La seule divergence majeure entre les Chambres a résidé ainsi dans la création du poste de médiateur. Le Conseil des Etats a décidé de revenir sur sa position initiale et de suivre le Conseil national dans son refus
[14].
Dans le cadre de la concrétisation de la réforme Armée 95, le DMF a présenté le nouveau
règlement de service (RS 95). Comme le précédent, celui-ci comprend les informations essentielles sur les bases juridiques et l'organisation de l'armée ainsi que sur les obligations des militaires, leurs droits et devoirs. Le chef de l'instruction, J.-R. Christen, a tenu à insister sur le fait que ce règlement se veut conçu selon les principes d'une conduite des hommes "à visage humain" et doit être vu comme une "charte du soldat", ce qui signifie notamment que les militaires doivent être responsabilisés et informés sur leur action et que la communication avec les échelons supérieurs doit être améliorée
[15].
Parallèlement à la réforme de l'armée, le DMF a entrepris une profonde mutation, des sphères dirigeantes aux usines d'armement. L'un des éléments centraux de cette réforme tient dans la réorganisation du commandement même. Deux scénarios opposés avaient été proposés à ce sujet; la réunion sous la seule autorité du chef de l'Etat-major général de la conduite, de l'engagement et de l'instruction, ce qui en aurait fait une sorte de "général en temps de paix", ou la séparation radicale entre conduite et engagement d'une part, et instruction d'autre part, cette dernière se voyant encore étoffée par l'adjonction de la formation en matière d'aviation et de cours de répétition. Le choix d'une de ces options a provoqué d'importants conflits au sein de l'administration et entre les commandants de corps intéressés (A. Liener et J.-R. Christen), chacun défendant la solution la plus favorable pour lui.
Le chef du DMF et le Conseil fédéral ont finalement opté pour une troisième voie qui, tout en maintenant une
structure bicéphale de commandement, redéfinit de manière conséquente les fonctions et les responsabilités. Ainsi, le chef de l'instruction (désormais "Groupement des forces terrestres") se voit confier la formation dans les écoles et les cours de répétition ainsi que pour l'ensemble des armes, excepté l'aviation. Pour sa part, le chef de l'Etat-major général sera chargé des fonctions de conduite et de contrôle sur l'armée, l'aviation et la logistique ("support"). Ce dernier élément comprend le Groupement de l'armement, baptisé Groupement support. Il subira les plus fortes restructurations, par une diminution du personnel et une suppression ou réorganisation de onze offices. En particulier, les
entreprises d'armement et d'entretien seront fortement redimensionnées. Dans le domaine des munitions, dès le début de l'année 1995, les usines d'Altdorf (UR), de Thoune (BE), de Wimmis (BE) et d'Aubonne (VD) seront réunies pour former une nouvelle fabrique dont le siège sera à Thoune. Par ailleurs, des entreprises et postes de travail disparaîtront dans les arsenaux, les parcs automobiles et les aérodromes militaires. Au total, le chiffre de 3000 emplois supprimés annoncé initialement devrait être dépassé
[17].
L'examen pédagogique des recrues, effectué lors du recrutement et ayant pour but de tester les connaissances des jeunes gens astreints au service militaire, a été fortement remis en cause. La contestation a été provoquée par une des conclusions de l'enquête menée sur les résultats de 1991 prétendant que les recrues ayant le mieux réussi les examens sont celles dont la mère n'exerce pas de profession. D'aucuns, en particulier les milieux féministes, ont contesté l'existence d'un tel phénomène et ont mis en doute la validité scientifique de ces enquêtes. Le principal problème résiderait, selon eux, dans le
manque de représentativité de la population interrogée, où l'absence de femmes a été mise en évidence. Lors des débats sur l'organisation de l'armée, U. Hafner (ps, SH) a tenté, au sein de la commission du Conseil national, de faire supprimer la disposition prévoyant la mise en place des examens pédagogiques des recrues et a suggéré que les moyens ainsi libérés soient affectés à une recherche portant sur l'ensemble de la jeunesse en Suisse. Bien que rejetée, cette proposition a été reprise en plénum par P. Hollenstein (pe, SG). Là aussi, le refus fut large. Au niveau de l'administration fédérale, il a cependant été précisé que des efforts seront consentis pour augmenter la représentativité de ces examens, notamment en étudiant la possibilité d'interroger des hommes non-astreints au service et des jeunes femmes
[18].
Répondant à un postulat du Conseil national de 1991, le Conseil fédéral a approuvé à l'attention du parlement un rapport élaboré par un groupe de travail ad hoc concernant les
domaines de la justice militaire pouvant être transférés à la justice civile. Considérant que 96% des cas qu'ils doivent juger concernent des délits militaires (insoumission, refus de servir, inobservation des prescriptions de service, etc.), le gouvernement estime que les tribunaux militaire doivent être conservés. Il propose cependant que les infractions contre les amendes d'ordre soient traitées par des tribunaux pénaux civils. Par ailleurs, concernant l'objection de conscience, il est prévu que les tribunaux militaires ne s'occupent plus que des cas où le réfractaire n'a pas été admis au service civil ou n'a pas fait de demande à ce sujet. De fait, les forts contestés examens de conscience disparaîtraient presque entièrement du champ de compétence des tribunaux militaires
[19].
La réforme Armée 95 a profondément touché le SFA, en ce sens que ce dernier est aboli en tant qu'entité indépendante; dans un souci d'égalité des sexes,
les femmes seront en effet désormais
entièrement intégrées dans l'armée. Elles effectueront leur service militaire avec les hommes et appartiendront aux différentes armes, disposant des mêmes droits et obligations que leurs homologues masculins. Par ailleurs, la durée du service sera prolongée, l'école de recrues passant de quatre à huit semaines. Le total de jours obligatoires à effectuer (300) et la durée d'instruction des cadres seront sensiblement identiques à ceux des hommes
[20].
Le délai imparti pour la récolte de signatures concernant l'initiative populaire "
Une Suisse sans taxe militaire" a expiré sans avoir été utilisé
[21].
Le parlement a adopté le projet de révision de la loi sur la taxe d'exemption du service militaire. Au centre de cette modification figurait la suppression de la taxe militaire pour les personnes handicapées. Alors que le projet du Conseil fédéral proposait de relever la limite du revenu permettant d'exonérer une personne handicapée du paiement de la taxe, le Conseil des Etats, en 1993, avait tenu à aller encore plus loin en décidant qu'en seraient dispensées toutes les personnes touchant une rente ou une allocation pour impotent de l'assurance invalidité. Le Conseil national, sous l'impulsion de M.-F. Suter (prd, BE), député paraplégique, a toutefois choisi de faire un pas supplémentaire en décrétant à une large majorité l'exemption pour toute personne souffrant d'un handicap majeur, qu'elle soit au bénéfice d'une rente ou non. De fait, toutes les personnes handicapées, c'est-à-dire également celles qui peuvent mener une vie professionnelle leur permettant de subvenir pleinement à leurs besoins, et qui donc ne touchent aucune rente AI, ne paieront plus de taxe militaire. Le Conseil des Etats a, par la suite, adopté la solution de la grande chambre.
Les promoteurs de l'initiative populaire ont protesté contre cette décision considérée comme une demi-mesure; tous les handicapés ne seront pas exonérés, puisque les personnes atteintes moins gravement et qui ont tout fait pour s'intégrer au monde du travail resteront lésées
[22].
Par ailleurs, les Chambres ont décidé de classer une initiative du canton du Jura demandant une
décriminalisation du non-paiement de la taxe militaire, cette exigence étant désormais sans objet puisque, grâce à la révision légale mentionnée ci-dessus, elles ont décidé que les arrêts ne seraient plus requis contre une telle infraction
[23].
Hormis les changements ordinaires, les réformes en cours ont provoqué plusieurs mutations dans les hautes charges de l'armée, en particulier en raison de la suppression des brigades frontières et de réduit ainsi que des trois divisions mécanisées
[24].
Le système radar tactique d'aviation
Taflir a été remis en service après que son exploitation eut été partiellement interrompue suite à des incidents entre appareils civils et militaires
[25].
[10]
BO CN, 1994, p. 295 ss. et 665 s.;
BO CE, 1994, p. 274 ss. et 375;
FF, 1994, II, p. 290 ss.; presse des 9.2 et 11.3.94. Sur l'ensemble de la réforme, cf. le cahier spécial de la
NZZ, 21.11.94. Voir aussi
APS 1991, p. 100 s.,
1992, p. 93 s. et
1993, p. 88.10
[11]
24 Heures 6.7.94;
NZZ, 8.7 et 18.11.94; presse des 29.7, 25.8 et 1.9.94.11
[12]
BO CE, 1994, p. 398 ss.;
NZZ, 19.2.94; presse des 17.3 et 1.6.94.12
[13]
BO CN, 1994, p. 1735 ss.;
NZZ, 18.5, 11.7, 25.8 et 31.8.94; presse des 6.10 et 7.10.94. Pour la votation sur les casques bleus, cf. supra, part. I, 2 (Organisations internationales).13
[14]
BO CE, 1994, p. 1280 ss.;
FF, 1995, I, p. 655 ss.;
NZZ, 2.11 et 14.12.94.14
[15] Presse du 11.10.94.15
[17]
NZZ, 5.5.94;
NQ, 10.5.94; presse du 27.8.94. Voir aussi
APS 1992, p. 94. A la fin de l'année, le DMF avait déjà procédé à 2377 suppressions de postes sur les 3000 prévues jusqu'en 2001. Seules 30 personnes ont été congédiées, les autres départs ayant été naturels. Ajoutons que le DMF a mis au point un nouveau plan social prévoyant notamment des possibilités de retraite à 58 ans (presse des 16.4.94 et 18.1.95;
NZZ, 28.10.94;
Bund, 6.12.94). La suppression de postes de travail ne va pas sans inquiéter le personnel et les régions concernés. Par exemple, une pétition ayant pour but de maintenir ces places et munie de 5000 signatures émanant d'un comité transpartisan de l'Oberland bernois a été envoyée au CF:
Bund, 30.11.94.17
[18]
BO CN, 1994, p. 1770 ss.; presse du 25.8.94.18
[19]
NZZ, 20.10.94. Voir aussi
APS 1991, p. 102. Pour le service civil, cf. infra (Objection de conscience).19
[20] Presse du 20.10.94;
TA, 10.11.94.20
[21]
FF, 1994, V, p. 525;
NZZ, 12.11.94. Voir aussi
APS 1993, p. 89.21
[22]
BO CN, 1994, p. 128 ss., 936 s. et 1251 s.;
BO CE, 1994, p. 386 s.;
FF, 1994, III, p. 310 ss.; presse des 4.3 et 31.5.94;
NZZ, 10.11.94. Voir aussi
APS 1991, p. 102,
1992, p. 95 et
1993, p. 89.22
[23]
BO CN, 1994, p. 139 s.;
BO CE, 1994, p. 387.23
[25] Presse du 2.3.94. Voir aussi
APS 1992, p. 96.25
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