Année politique Suisse 1996 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Politique économique extérieure
Les Chambres fédérales ont pris acte du rapport du Conseil fédéral sur la politique économique extérieure 1995/1+2. L'examen de ce document a été suivi par l'adoption de l'arrêté fédéral sur l'approbation de mesures économiques extérieures, de celui portant approbation de l'Accord entre les Etats de l'AELE et la République de Slovénie, de l'arrêté fédéral concernant les accords de commerce et de coopération économique entre la Confédération suisse et l'Ukraine, la République de Moldova, l'Albanie et la Macédoine, de même que de l'arrêté fédéral portant approbation de l'Accord international sur les bois tropicaux. Ont également été approuvés par le parlement l'arrêté fédéral portant approbation des modifications de la liste LIX-Suisse-Liechtenstein ainsi que celui concernant l'adaptation du tarif général aux modifications de ladite liste.
Au terme du long débat suscité par le rapport sur la politique économique extérieure 1995/1+2 quant aux enjeux économiques, politiques, sociaux et écologiques qu'entraîne pour la Suisse le processus de mondialisation de l'économie, le Conseil national a en outre décidé de transmettre comme postulat une motion de la Commission de politique extérieure déposée par Walter Frey (udc, ZH). Reprenant l'idée lancée en début d'année par Christoph Blocher (udc, ZH), celle-ci enjoigne le Conseil fédéral d'entrer en négociation avec les Etats-Unis concernant un accord de libre-échange ainsi que de promouvoir l'extension des relations économiques et commerciales avec d'autres organisations régionales, y compris avec l'UE. La discussion relative à cet objet a mis en évidence les doutes de certains parlementaires quant à la capacité de la Suisse à négocier seule des accords de ce type ainsi qu'à la finalité même de la démarche des motionnaires que d'aucuns ont rattaché à leur intention de faire passer à l'arrière-plan la question de l'intégration européenne. Quant au Conseil fédéral, il a estimé qu'il convenait d'examiner plus attentivement - s'agissant des Etats-Unis - les avantages et inconvénients d'un tel exercice de libre-échange avant d'entamer des négociations dans ce sens [69].
Rédigée dans le même esprit que la motion défendue par le député Frey (udc, ZH), la motion du groupe du parti de la liberté enjoignant le Conseil fédéral d'engager des pourparlers bilatéraux avec l'ALENA, le Mercosur, l'ASEAN et l'APEC pour que des accords de libre-échange puissent être conclus avec ces associations économiques a été transmise sous forme de postulat [70].
Dans le courant du mois d'octobre, le secrétaire d'Etat et directeur de l'OFAEE, Franz Blankart, a annoncé l'avènement au 1er janvier 1997 d'un système multilatéral de libre-échange paneuropéen englobant l'Union européenne, l'AELE et dix pays d'Europe centrale et orientale (PECOs): Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Estonie, Lettonie et Lituanie. Ce nouvel espace économique consacrera l'unification et la simplification des règles d'origine figurant dans les divers accords UE/PECO et AELE/PECO [71].
Pour tenir davantage compte des boulversements induits par la mondialisation de l'économie dans la conduite des tâches assumées par les diplomates helvétiques, le chef du DFAE a requis de ces derniers une participation accrue à la promotion de la place économique nationale. A cette fin, le personnel diplomatique suisse suivra dès 1997 des cours spécialisés et se verra par ailleurs remettre un catalogue établi par l'OFIAMT dans lequel seront exposés les avantages que la Suisse peut offrir aux entreprises étrangères [72].
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Garantie contre les risques à l'exportation (GRE)
Tout comme l'avait fait la Chambre du peuple durant la session parlementaire d'hiver 1995, le Conseil des Etats a adopté à l'unanimité moins une voix la révision de la loi fédérale sur la garantie contre les risques à l'exportation qui permettra désormais d'accepter également comme garantes certaines banques privées [73].
Cosignée par 42 parlementaires, la motion Jeanprêtre (ps, VD) chargeant le Conseil fédéral de prendre des mesures permettant de faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises (PME) à la garantie contre les risques à l'exportation a été transmise comme postulat par la Chambre du peuple. A ce titre, le gouvernement a déclaré qu'il intensifiera l'information à l'intention des PME afin que celles-ci soient en mesure de mieux connaître les possibilités d'utilisation de cet instrument de soutien aux exportations [74].
C'est au terme d'une "méticuleuse" pesée d'intérêts que le Conseil fédéral a décidé de donner son accord de principe à l'octroi de la garantie contre les risques à l'exportation aux entreprises Asea Brown Boveri Suisse et Sulzer pour leurs livraisons destinées à la réalisation du très controversé barrage des Trois-Gorges en Chine. Ce projet nécessitera le déplacement de plus d'un million de Chinois et provoquera l'inondation de milliers d'hectares. Face à de pareilles répercussions sociales et écologiques, la Déclaration de Berne et Greenpeace ont exprimé leur indignation à l'encontre de la décision des autorités fédérales que les deux organisations ont jugée contraire aux principes de politique suisse en matière de développement et de respect des droits de l'homme [75].
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Armes
Alors que les exportations suisses de matériel de guerre n'avaient cessé de décliner depuis 1987 pour atteindre l'année dernière leur plus bas niveau depuis 1973, celles-ci ont opéré une spectaculaire remontée durant l'année sous revue puisque leur valeur est passée de 141 millions à 232,94 millions de francs. Leur proportion face à l'ensemble des marchandises helvétiques livrées à l'étranger a ainsi cru de 0,15% à 0,23%. Les principaux acheteurs de ce type de matériel ont été Oman (65,5 millions), les Etats-Unis (27,7 millions), l'Autriche (11,2 millions) et la France (10 millions) [76].
En réponse au postulat Haering-Binder (ps, ZH) transmis par le Conseil national en 1993, le Conseil fédéral a publié un rapport sur la politique helvétique en matière de maîtrise des armements et de désarmement. Ce bref document dresse l'inventaire des différents objectifs et lignes directrices sur lesquels se fonde la politique suisse dans un domaine qui s'est sensiblement modifié depuis la fin de la guerre froide. Parmi ceux-ci figure au premier plan le démantèlement complet et universel de toutes les armes de destruction massive (armes ABC) sur la base de traités internationaux. Quant aux armes conventionnelles, la Confédération a déclaré soutenir les mesures qui contribuent à la transparence et à la prévisibilité des activités militaires et des arsenaux. Concrètement, ces divers principes se sont traduits à ce jour par la ratification par la Suisse de tous les accords internationaux concernant l'élimination globale des armes ABC, par l'adoption d'une réglementation nationale en matière de contrôles des exportations de matériel de guerre plus efficace ainsi que par la participation active des autorités fédérales aux négociations internationales visant à prévenir la prolifération d'armes et à établir des mesures de confiance, de sécurité et de coopération [77].
Jugé trop succinct par les députés de la gauche siégeant au sein de la Commission de politique extérieure du Conseil national, le rapport a été l'objet d'une proposition de renvoi enjoignant le gouvernement de présenter une version plus détaillée afin que ce thème puisse être véritablement débattu au sein du parlement. Cette proposition de renvoi a toutefois été rejetée par la majorité des députés qui a ainsi pris acte du rapport [78].
Trois hauts responsables de la Société Von Roll ainsi qu'un des directeurs de la firme vaudoise Uldry SA ont comparu dès la mi-janvier devant la Cour pénale fédérale afin de répondre de l'accusation d'infraction à la loi sur le matériel de guerre dans l'affaire du "supercanon irakien": c'est en effet grâce au rôle d'intermédiaire joué par la société romande que Von Roll avait pu livrer entre 1988 et 1990 des pièces détachées à l'Irak pour un montant de 10 millions de francs. A la une de tous les quotidiens suisses, le procès des quatre industriels donna lieu à de longues tergiversations des experts, témoins et avocats sur les différentes utilisations qui auraient pu être faites du tube de 157 mètres de long que Saddam Hussein projetait de construire (presse à forger, équipement pétrochimique, lance-satellites ou véritable canon). Au terme de trois semaines d'audiences, la Cour pénale fédérale a condamné les responsables de Von Roll à un mois de prison avec sursis et leur a infligé des amendes allant de 8000 à 25 000 francs. Quant au directeur d'Uldry SA, il a été acquitté. Le jugement de culpabilité rendu contre les trois dirigeants du groupe soleurois fut confirmé quelques mois plus tard par la Cour de cassation extraordinaire du Tribunal fédéral qui rejeta les recours en nullité déposés par les inculpés [79].
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Législation sur les exportations de matériel de guerre
Au coeur du dilemme entre valeurs éthiques et intérêts économiques, la politique suisse d'exportation de biens et services à des fins purement ou potentiellement militaires a retenu l'attention du parlement à plusieurs reprises, puisque celui-ci s'est tour à tour penché sur l'initiative populaire du parti socialiste "Pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre", sur la révision de la loi sur le matériel de guerre (LMG) ainsi que sur celle concernant le contrôle des biens à usages civil et militaire. Au cours des débats fleuves qui ont animé le traitement de ces trois objets successifs, un net clivage s'est dessiné entre députés de la gauche - désireux de traduire dans les faits l'image d'une Suisse neutre et à vocation humanitaire - et parlementaires bourgeois dont les principaux arguments se sont focalisés sur la nécessité de sauvegarder des emplois en Suisse et de ne pas affaiblir la place industrielle helvétique par une réglementation limitant les exportations, fussent-elles de matériel de guerre [80].
Cet affrontement d'ordre quasi dogmatique fut particulièrement vif au sein du Conseil national qui empoigna ces différents dossiers lors de la session parlementaire de printemps durant laquelle un flot de propositions individuelles fut abordé. Le pragmatisme économique devait néanmoins largement l'emporter sur les considérations idéalistes, puisqu'après avoir provoqué le rejet de l'initiative socialiste par 122 voix contre 59, la majorité de droite siégeant au Conseil national forma un front uni permettant d'assouplir plusieurs dispositions contenues dans le contre-projet indirect du gouvernement qui visait à combler les lacunes les plus criantes de la loi sur le matériel de guerre de 1972, jusqu'alors en vigueur. Point de la révision le plus médiatisé, la question de l'exportation des avions Pilatus de type PC-7 et PC-9 munis de plus de deux points d'ancrage bénéficia de la clémence des parlementaires bourgeois qui - en décidant de soustraire ces avions d'entraînement du champ d'application de la nouvelle réglementation - répondirent favorablement aux pressions exercées plusieurs semaines auparavant par l'industrie suisse des machines. C'est en effet par 114 voix contre 67 que le Conseil national refusa de soumettre l'exportation de ces appareils au régime de l'autorisation, suivant en cela une proposition Engelberger (prd, NW) contraire à la volonté du Conseil fédéral ainsi que d'une minorité de la Commission de la politique de sécurité emmenée par la socialiste zurichoise Hearing-Binder. Hormis les Pilatus, devaient également être biffés de la liste des biens considérés comme matériel de guerre les équipements servant à l'instruction au combat ainsi que les machines et outils destinés exclusivement à la fabrication, au contrôle et à l'entretien du matériel de guerre après que le député radical zurichois Eric Müller eut déposé une proposition dans ce sens qui fut approuvée par 101 voix contre 81. Ce rétrécissement conséquent du champ couvert par la loi aurait également pu concerner les pièces détachées et les éléments d'assemblage utilisés à des fins militaires si pareille proposition n'avait finalement pas été repoussée à une voix près. C'est en revanche à une plus large majorité que la Chambre du peuple a décidé de soumettre le courtage de matériel militaire à autorisation, entérinant ainsi une des principales innovations contenues dans le projet du gouvernement. Quant à la proposition Dupraz (prd, GE) qui entendait ajouter les mines antipersonnel à la liste des armes qu'il est interdit de fabriquer et d'exporter, elle a été adoptée par 110 voix contre 43 [81].
L'affaiblissement du projet du Conseil fédéral décrété par la Chambre du peuple fut quelque peu compensé par la décision des députés du National de soumettre l'ensemble des biens soustraits à la liste du matériel de guerre - à savoir les Pilatus PC-7 et PC-9, les machines-outils et les simulateurs pour l'instruction au combat - à la loi révisée sur le contrôle des biens utilisables à des fins civile et militaire qui récolta les suffrages de 128 parlementaires contre 4 lors du vote sur l'ensemble. Cette législation demeure néanmoins nettement moins incisive que celle sur le matériel de guerre proprement dit puisqu'elle ne permettra des contrôles que si ceux-ci sont prévus par des accords ou arrangements internationaux [82].
Quelques jours après que le Conseil national eut exclu les Pilatus PC-7 de la loi sur le matériel de guerre, de nombreux quotidiens suisses devaient faire état de l'engagement armé de plusieurs de ces appareils contre les rebelles karénis en Birmanie. S'appuyant sur ces révélations, la Communauté de travail des oeuvres d'entraide suisses fit alors pression sur la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats pour que les Pilatus PC-7 et PC-9 munis de plus de deux points d'ancrage tombent sous le coup de la définition du matériel de guerre. Cette revendication ne trouva toutefois pas grâce auprès du plénum qui, conformément au Conseil national, choisit de soumettre ces avions au régime moins contraignant de la loi sur le contrôle des biens à double usage, adoptée à l'unanimité. Les sénateurs optèrent néanmoins à une voix près pour l'instauration d'un garde-fou aux termes duquel les livraisons de ces avions (mais également des autres biens à usages civil et militaire) seront interdites en direction des pays frappés par un embargo de l'ONU ou par des mesures internationales de contrôle des exportations auxquelles participent les principaux partenaires commerciaux de la Suisse. Par cette décision, le Conseil des Etats a élargi de quatre à une quinzaine la liste des pays vers lesquels les Pilatus ne pourront être acheminés. Dans le même esprit de renforcer quelque peu les dispositions légales adoptées par le National, la Chambre des Etats devait décider dans un premier temps par 20 voix contre 19 de faire entrer les machines-outils dans le champ d'application de la loi sur le matériel de guerre. Sur les autres points principaux de la révision de la LMG, et notamment sur celui concernant l'interdiction de fabriquer et d'exporter des mines, les sénateurs se rallièrent à leurs collègues du Conseil national avec lesquels ils s'étaient au préalable largement entendus sur le rejet de l'initiative populaire "Pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre" [83].
A l'issue de la procédure d'élimination des divergences, le Conseil national a fait sienne par 85 voix contre 76 la disposition plus restrictive introduite par la Chambre des Etats concernant l'exportation des Pilatus. De son côté, cette dernière revint in extremis sur sa décision relative aux machines et outils conçus exclusivement pour la fabrication d'armes qui tomberont finalement sous le coup de la loi sur le contrôle des biens à double usage [84].
Concernant le délicat dossier des Pilatus PC-7, le Conseil national a refusé de transmettre une motion Ziegler (ps, GE) qui - au vu de l'utilisation faite par le gouvernement du Mexique de ces appareils dans la province du Chiapas - demandait au Conseil fédéral d'interrompre immédiatement la livraison de pièces de rechange contractuellement prévue et de renoncer à poursuivre tout acte de service ou de livraison. Arguant par ailleurs que les autorités mexicaines avaient violé la lettre et l'esprit du contrat de vente en utilisant ces appareils à des fins militaires, le motionnaire souhaitait également que le gouvernement élève une protestation publique à l'encontre des dirigeants mexicains, requête à laquelle le Conseil fédéral n'a toutefois pas accédé du fait que l'achat de ces appareils n'était subordonné à aucune condition concernant leur engagement [85].
 
[69] BO CN, 1996, p. 295 ss.; Ww, 25.1.96; NZZ, 27.1, 29.2 et 19.3.96; NQ, 29.1.96; Bund, 30.1, 2.2 et 6.2.96; presse des 5.2, 14.3 et 13.9.96; BaZ, 7.2.96; JdG, 11.6.96; SHZ, 19.9.96.69
[70] BO CN, 1996, p. 1192 s.70
[71] Presse des 12.10 et 17.12.96. Cf. aussi FF, 1997, II, p. 16 ss. (Rapport du CF sur la politique économique extérieure 96/1+2).71
[72] 24 Heures et NZZ, 6.5.96; JdG, 6.11.96. Voir aussi APS 1995, p. 87.72
[73] BO CE, 1996, p. 154 ss. et 281; BO CN, 1996, p. 637 s.; FF, 1996, I, p. 1286; presse du 15.3.96.73
[74] BO CN, 1996, p. 582 s.74
[75] NQ et TA, 15.10.96; NZZ, 18.10, 29.11 et 6.12.96; presse du 10.12.96.75
[76] Presse du 6.2.97. Voir également APS 1995, p. 88.76
[77] FF, 1996, III, p. 179 ss.7
[78] BO CN, 1996, p. 1020 ss.78
[79] Presse des 11-20.1, 24.1, 25.1, 2.2, 3.2, 18.4 et 7.9.96; JdG et NZZ, 23.1.96; NQ, 26.1.96. Voir aussi APS 1994, p. 77 et 1995, p. 88 s.79
[80] Voir APS 1995, p. 88 s.80
[81] BO CN, 1995, p. 71 ss.; FF, 1996, IV, p. 836 s.; Blick, 17.2.96; presse des 26.2 et 5-7.3.96; TW, 29.2.96; BaZ, 5.3.96.81
[82] BO CN, 1996, p. 131 ss.; presse du 7.3.96. A ce titre, il est à relever que le CF a souscrit à l'Arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d'armes conventionnelles et de biens et technologies à usages civil ou militaire. Les 28 pays fondateurs de ce nouveau forum qui succède au Cocom se sont engagés à exercer une responsabilité et une transparence accrues dans la livraison de tels équipements: presse du 28.3.96.82
[83] BO CE, 1996, p. 803 ss. et 826 ss.; NQ, 20.3.96; presse des 25.4, 31.5, 13.8, 6.9, 3.10 et 4.10.96; 24 Heures, 25.5.96.83
[84] BO CN, 1996, p. 1961 ss., 1977 ss., 2143 ss., 2487 s. et 2491; BO CE, 1996, p. 926 ss. et 1193 s.; FF, 1996, V, p. 980 ss.; NZZ, 31.10.96; presse des 26.11, 29.11 et 5.12.96.84
[85] BO CN, 1996, p. 147 s.85