Année politique Suisse 1987 : Politique sociale / Groupes sociaux
Politique à l'égard des étrangers
La population étrangère en Suisse a atteint son
niveau le plus élevé depuis les années 1974/75. Avec un total de 978 737 personnes, elle a connu une progression de 2,4% par rapport à 1986. La proportion d'étrangers se monte ainsi à 15% de l'ensemble de la population résidant en Suisse. Si la situation économique continue d'évoluer favorablement et que le gouvernement ne modifie pas la pratique en matière de contingents, le seuil psychologique d'un million d'étrangers pourra être atteint au cours des prochaines années
[1].
Le Conseil fédéral a procédé à la
révision de l'Ordonnance limitant le nombre des étrangers. Les effectifs maximaux de main-d'oeuvre étrangère sont fixés au même niveau que ceux de l'année écoulée. Le gouvernement a justifié sa décision par la nécessité de consolider la politique de stabilisation qui exige une politique restrictive même en période de forte demande de main-d'oeuvre étrangère. Il a estimé que le statu quo demeurait encore la meilleure solution pour assurer un rapport équilibré entre l'effectif de la population suisse et celui de la population étrangère. Les deux grandes centrales syndicales suisses, l'USS et la CSC, ont dénoncé à la fois le laxisme des autorités et le fait que nombre d'employeurs se sont engagés à nouveau dans la voie du moindre effort qui consiste, selon eux, à recruter des étrangers au lieu d'intensifier le perfectionnement professionnel. L'USS préconise une politique envers les étrangers qui limite le nombre des entrées, mais garantisse aux travailleurs occupés en Suisse et à leurs familles, les mêmes droits sociaux qu'aux indigènes et un statut juridique sûr. Pour leur part, les associations économiques et la majorité des cantons, qui avaient plaidé en faveur d'une augmentation des effectifs en invoquant le manque de personnel qualifié, ont fait connaître leur désappointement en prenant connaissance des décisions du gouvernement
[2].
Parallèlement à l'activité de ses groupes de travail sur l'intégration sociale des étrangers et à sa collaboration avec les associations et les services d'aide aux étrangers, la Commission fédérale pour les problèmes des étrangers (CFE) a participé à deux actions au plan national en 1987. Une campagne spécifique d'information sur le SIDA a été lancée avec l'Office fédéral de la santé publique, pour la première fois, en direction des étrangers. Par ailleurs, la CFE a obtenu de la fondation Pro Helvetia le financement de cinq projets d'éducation des adultes pour les étrangers.
Avec l'adoption de la révision sur le droit d'asile, les thèmes liés à la surpopulation étrangère semblent avoir quelque peu perdu de leur acuité et de leur effet mobilisateur. Ainsi,
l'initiative "Contre la surpopulation étrangère", lancée en 1986 par la section de Winterthour de l'Action nationale, mais sans le soutien de son comité directeur, n'a pas atteint le nombre de signatures requises. Son texte exigeait de limiter à 500 000 le nombre d'étrangers en Suisse en échelonnant la diminution à raison de 12 000 personnes par an et de fixer à quinze ans au lieu de dix ans en général, le délai pour obtenir le permis d'établissement
[3].
Quant à l'initiative "Pour la limitation de l'immigration", lancée en 1983 par l'Action nationale, le Conseil fédéral en a proposé le rejet sans contre-projet. Déposée en 1985, ladite initiative vise à ramener puis à maintenir la population globale de notre pays au seuil des 6,2 millions d'habitants. Pour y parvenir, le nombre des autorisations de séjour accordées chaque année ne devrait pas excéder les deux tiers des étrangers ayant quitté la Suisse au cours de l'année précédente. Au terme d'une durée de 15 ans ou moins si la population atteignait plus rapidement la limite fixée, entrerait en vigueur une disposition générale postulant l'équilibre entre arrivées et départs. Les initiants entendent également abaisser l'effectif-plafond actuel des saisonniers et contingenter les frontaliers et l'admission définitive des réfugiés.
Le Conseil fédéral a justifié son rejet en indiquant que, face à la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, toute diminution préconisée du nombre des étrangers exerçant une activité lucrative aurait des répercussions néfastes sur l'économie suisse et plus particulièrement dans les secteurs du textile et de l'habillement, de la santé, du bâtiment, de l'hôtellerie et du nettoyage. En outre, la demande de produits et services diminuerait entraînant, par conséquent un recul des affaires qui menacerait l'emploi des Suisses. Qui plus est, a poursuivi le gouvernement, l'acceptation d'une telle initiative irait immanquablement à l'encontre des efforts européens visant à favoriser la libre circulation des personnes et affecterait nos relations avec l'étranger. Le patronat a également fustigé cette initiative qui, à ses yeux, ignore les réalités économiques de notre pays. Les syndicats l'ont également stigmatisée car elle réduirait selon eux à néant tous les progrès qui ont pu être réalisés pour améliorer la situation juridique et humaine des travailleurs immigrés en Suisse
[4].
Les Chambres fédérales ont approuvé la révision de la loi sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE). Les modifications de la loi précitée, qui renforcent la lutte contre le travail clandestin, peuvent être classées en deux catégories distinctes. Premièrement, celles qui visent à réprimer de manière plus sévère l'activité des passeurs qui consiste soit à faciliter l'entrée ou le séjour illégal d'une personne, travailleur étranger ou requérant d'asile, soit à lui apporter de l'aide aux préparatifs qu'elle aurait engagés à cet effet. Ces nouvelles dispositions visent à ériger en infraction autonome l'activité des passeurs qui devient ainsi un délit qualifié s'il y a dessein d'enrichissement illégitime ou appartenance à une organisation de passeurs. Les coupables seront dorénavant passibles d'une peine d'emprisonnement et d'une amende pouvant atteindre un maximum de 100 000 francs.
L'inclusion des passeurs de réfugiés dans la répression des activités des filières a donné lieu à un vif débat. La gauche craignait en effet d'exposer à des sanctions graves, à la fois les réfugiés qui entrent clandestinement et leurs protecteurs. E. Kopp, au nom du gouvernement, a précisé que si l'on voulait combattre efficacement les filières, il était impossible dans la pratique de faire une différence entre demandeurs d'emploi et demandeurs d'asile. Mais la conseillère fédérale s'est voulue rassurante et a certifié qu'il ne s'agissait ni de durcir notre politique d'asile ni de punir les personnes ou les paroisses qui abritent des demandeurs d'asile dont la demande a été refusée. Ainsi, celui qui prête assistance à une personne qui se réfugie en Suisse n'est pas punissable si ses mobiles sont honorables.
Le deuxième volet de la modification renforce les dispositions pénales qui peuvent s'appliquer aux employeurs qui engagent de la main-d'oeuvre sans autorisation. Le montant de l'amende pourra atteindre 5000 francs pour chaque étranger employé illégalement. Ce maximum est ramené à 3000 francs si la faute n'est pas intentionnelle. En cas de récidive, dans un délai de cinq ans, en plus de l'amende, le juge pourra punir de l'emprisonnement jusqu'à six mois. A ce propos, le Conseil des Etats a légèrement assoupli le projet du Conseil fédéral en ce sens qu'il a supprimé les minima relatifs aux amendes et prescrit que, dans les cas de très peu de gravité, le juge pourra renoncer à prononcer toute peine.
Même si les associations patronales ont reconnu l'opportunité de ces dispositions, elles n'ont cependant pas manqué de souligner que le travail au noir est un phénomène dont l'ampleur dépasse le problème proprement dit de l'occupation illégale de la main-d'oeuvre étrangère et que, dès lors, le durcissement de la loi ne saurait être considéré comme un remède. Pour leur part, les syndicats se sont félicités des modifications apportées à la LSEE. Pour l'USS, l'emploi de travailleurs clandestins est contraire à notre politique à l'égard des étrangers, entraîne une absence de protection sociale pour les travailleurs, introduit une concurrence faussée entre les entreprises et met en cause la paix sociale puisqu'il permet de contourner les conventions collectives. Et l'USS de conclure en indiquant que si certaines branches et certaines régions connaissent des difficultés de main-d'oeuvre, ce n'est pas au mépris de la loi que celles-ci pourront être résolues
[5].
[1] Rapp. gest., 1987, p. 188. Cf. aussi A. Kipfer, "Effectif de la population résidante permanente de nationalité étrangère et de la population active de nationalité étrangère à la fin de décembre 1987", in La Vie économique, 61/1988, no 5, p. 28 ss.
[2] RO, 1987, p. 1334 ss. Réactions: USS, 26, 2.9. et 32, 14.10.87. Cf. aussi presse du 6.10.87.
[3] FF, 1987, Il, p. 1400; cf. aussi Volk+Heimat, 1987, Nr. 10 ainsi que APS, 1986, p. 169.
[4] FF, 1988, I, p. 557 ss.; cf. aussi APS, 1985, p. 154. Réactions: USS, 38, 2.12.87; RFS, 48, 1.12.87.
[5] BO CN, 1987, p. 1240 ss. et 1519; BO CE, 1987, p. 32 ss. et 571; FF, 1987, III, p. 235 ss.; RO, 1988, p. 332 s. Voir aussi APS, 1986, p. 168 s.
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