Année politique Suisse 1995 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Politique économique extérieure
Mis en consultation en 1994, le projet de loi sur les entraves techniques au commerce (LETC) - qui, à l'instar de la loi révisée sur les cartels ainsi que de la nouvelle loi sur le marché intérieur, constitue un des piliers du programme de revitalisation de l'économie nationale - a été soumis aux Chambres fédérales. Résultant d'exigences divergentes envers les produits, de l'application différenciée de règlements techniques ou encore de la non-reconnaissance des essais ou homologations, les obstacles techniques au commerce sont à l'origine de coûts économiques particulièrement importants pour un pays aussi internationalement intégré que la Suisse. Conçue dans la droite ligne du premier train de mesures de revitalisation adopté par le Conseil fédéral suite au rejet de l'Accord EEE en 1992, la nouvelle réglementation a dès lors pour but d'éviter, de réduire ou d'éliminer ce type d'entraves. La capacité concurrentielle des entreprises suisses devrait ainsi s'en trouver améliorée. La LETC cherche, par ailleurs, à promouvoir et à faciliter la coopération internationale dans le domaine des règlements techniques puisqu'à l'avenir le gouvernement disposera d'une compétence pour conclure des accords internationaux en la matière. En tant que loi-cadre, la LETC introduit des principes généraux dans la législation sectorielle suisse afin de prévenir les entraves techniques au commerce inutiles, et ce dans toutes les phases et à tous les niveaux de l'élaboration, de l'adoption et de l'application des règlements techniques.
Contrairement à certaines craintes émises en 1994 durant la procédure de consultation, l'harmonisation des prescriptions suisses ne devrait pas conduire à un abaissement des
standards helvétiques de protection de l'environnement, de la santé ou du consommateur. En effet, cette adaptation se fera en principe sur la base des prescriptions des principaux partenaires commerciaux de la Confédération dont le niveau de protection est en général au moins équivalent à celui que connaît la Suisse. Par ailleurs, il est prévu que la protection de certains
intérêts publics prépondérants puisse être à l'origine de dérogations au principe de la compatibilité internationale des règlements techniques, pour autant que ces dernières ne constituent en fait une restriction déguisée aux échanges. Concernant le champ d'application de la LETC, celui-ci est limité, à une exception près, à la législation fédérale, de sorte que la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons n'est pas modifiée. Il convient finalement de relever que les dispositions de la LETC sont conformes aux traités internationaux existant dans ce domaine, notamment aux accords du GATT de 1979 et 1994, ainsi qu'aux règles et à la pratique de l'Union européenne
[70].
Première des deux Chambres à se prononcer sur cet objet, le
Conseil des Etats a adopté à l'unanimité l'essentiel du projet du gouvernement, non sans avoir au préalable restreint l'énumération des intérêts publics prépondérants pouvant éventuellement justifier certaines entraves techniques au commerce. Le débat au sein du
Conseil national a pour sa part révélé que seul le groupe des Démocrates suisses/Lega s'est prononcé en défaveur de la nouvelle réglementation par crainte que celle-ci ne profite qu'aux grandes entreprises. Hormis l'adoption de quelques modifications d'importance mineure - d'ailleurs reprises par le Conseil des Etats au terme de la procédure d'élimination des divergences -, les députés de la grande Chambre ont donc à leur tour accepté le projet du Conseil fédéral. Relevons qu'ils avaient auparavant rejeté une proposition de la minorité de la Commission de l'économie et des redevances qui visait à ce que le Conseil fédéral et l'administration reprennent systématiquement les prescriptions techniques applicables dans l'UE. Une telle disposition aurait empêché une harmonisation éventuelle avec le droit d'autres partenaires économiques importants en dehors de l'Europe, comme a tenu à le souligner le chef du DFEP
[71].
Après avoir pris acte du rapport sur la
politique économique extérieure 1994/1+2, le parlement a approuvé les arrêtés fédéraux portant approbation de l'Accord international de 1994 sur le café ainsi que des Accords de commerce et de coopération économique entre la Confédération et la Fédération de Russie, respectivement la République du Kazakhstan. Il en a fait de même pour l'arrêté fédéral portant approbation des arrangements relatifs aux produits agricoles entre la Suisse et les Républiques d'Estonie, de Lettonie et de Lituanie ainsi que pour celui portant sur la modification des conventions de 1987 entre la Communauté européenne et les pays de l'AELE relatives à la simplification des formalités dans les échanges de marchandises et à un régime de transit commun
[72].
Le Conseil national a transmis un postulat Raggenbass (pdc, TG) priant le gouvernement d'élaborer, à l'intention des représentations diplomatiques et consulaires, des lignes directrices visant à
promouvoir l'économie nationale et le pôle d'attraction que constitue la Suisse
[73].
Le Conseil des Etats a transmis - partiellement en tant que motion et partiellement en tant que postulat - une motion Rüesch (prd, SG) invitant le Conseil fédéral à
adapter la GRE aux nouvelles conditions des marchés. Plus concrètement, le texte demande notamment d'étendre la garantie à la couverture des pertes découlant de l'insolvabilité de certaines banques privées, de fixer les émoluments de manière à ce qu'ils correspondent au montant du risque, d'octroyer des accords de principe plus contraignants ainsi que d'adapter les prestations de la GRE suisse aux standards de l'Union européenne. Chargé de ne traiter que des seuls points transmis en tant que motion par la Chambre haute, le Conseil national a décidé de contraindre le gouvernement à n'agir que sur le point relatif à l'octroi des accords de principe. Le second point de la motion devait pour sa part être classé, celui-ci ayant entre-temps fait l'objet d'un projet de modification de la loi sur la GRE soumis aux Chambres par le gouvernement
[74].
Alors que la législation actuelle ne couvre le risque d'insolvabilité ou du refus de payer d'acheteurs privés que si ceux-ci bénéficient de la caution de l'Etat ou d'une banque contrôlée par l'Etat, ce projet de
modification de la loi sur la GRE vise - conformément aux normes en vigueur dans les principaux pays industrialisés - à accepter également comme garantes les banques privées qui auront été jugées fiables. Dictée par le souci de lutter contre la dégradation de la position des exportateurs suisses, cette modification est à mettre en relation avec les privatisations d'entreprises et de banques publiques ayant cours dans les pays en développement et d'Europe de l'Est et qui entraînent une diminution de la part des exportations assurées par la GRE. Première des deux Chambres à se prononcer sur cet objet, le Conseil national a accepté à une forte majorité le projet du gouvernement lors de la session parlementaire d'hiver
[75].
Présentée en milieu d'année par le Conseil fédéral, la modification de la Convention du 20 mai 1987 entre la Communauté européenne et la Suisse ainsi que les pays AELE relative à un
régime de transit commun a été acceptée à l'unanimité par le parlement. Cette modification crée la base légale nécessaire à l'entraide mutuelle des administrations douanières dans le recouvrement des créances liées à certaines opérations de transport de marchandises
[76].
Les exportations suisses de matériel de guerre ont atteint, durant l'année sous revue, leur niveau le plus bas depuis 1973, date de l'entrée en vigueur de la loi sur le matériel de guerre. Le
montant des livraisons effectuées à l'étranger par l'industrie helvétique de l'armement a ainsi diminué de 36,1% en 1995 par rapport à l'année précédente; il s'est élevé à 141,17 millions de francs, soit
0,15% de l'ensemble des exportations helvétiques. Le principal acheteur de ce type de matériel a été l'Allemagne (41,9 millions), suivie de la France (12,1) et des Etats-Unis (11,6)
[77].
Le Conseil fédéral a décidé de ne pas délivrer l'autorisation d'exporter 48 avions
Pilatus de type PC-9 commandés par les autorités mexicaines. S'inscrivant dans un contexte de lutte contre la rebellion menée par les Indiens du Chiapas, ce refus a été justifié en raison de l'intention des forces aériennes du Mexique d'acquérir ces appareils dans leur version utilisable à des fins militaires. La société Pilatus et le gouvernement du canton de Nidwald n'ont pas manqué de déplorer cette décision entraînant un manque à gagner de quelque 300 millions de francs. Le constructeur helvétique, associé à la firme américaine Beech, a en revanche remporté le concours pour équiper l'US Air Force et l'US Navy de 711 avions d'entraînement dérivés du PC-9
[78].
L'exécutif fédéral a soumis aux Chambres son projet de loi sur le contrôle des biens utilisables à des fins civiles et militaires. Celui-ci constitue avant tout la base légale de mesures jusqu'ici prévues par l'ordonnance sur l'exportation et le transit de marchandises et de technologies ayant trait aux armes ABC et aux missiles ("ordonnance ABC"). Du fait que cette ordonnance expire fin 1995, la nouvelle loi a dès lors pour objectif de continuer à appliquer les mesures de contrôle actuelles et d'en introduire de nouvelles, soit en exécution d'accords internationaux, soit en application d'arrangements internationaux non contraignants du point de vue du droit des gens. Dans un cas comme dans l'autre, la principale mesure de contrôle à laquelle le Conseil fédéral sera habilité à recourir en vertu de la loi sera sans doute le régime du permis appliqué aux exportations. La plupart des biens à double usage faisant l'objet de restrictions seront énumérés et spécifiés dans les listes de l'ordonnance d'application de la loi. Cette dernière contiendra également une clause précisant que l'exportation de biens n'y figurant pas expressément sera soumise au régime du permis, s'il est présumé que les biens en question serviront au développement, à la production ou à l'usage d'armes de destruction massive. Relevons finalement que si le projet prévoit le contrôle de tous les biens utilisables à des fins civiles et militaires, celui des biens d'armement et des biens nucléaires au sens propre reste en revanche du domaine des législations fédérales sur le matériel de guerre, respectivement sur l'énergie atomique.
La requête du Tribunal fédéral demandant des compléments d'information dans l'affaire du
"supercanon" irakien ayant été satisfaite, la Chambre d'accusation de la Haute cour a décidé de faire comparaître devant la Cour pénale fédérale les cinq cadres supérieurs de la direction des entreprises Von Roll et Uldry SA, accusés d'infraction à la loi sur le matériel de guerre
[80].
Estimant que les buts poursuivis par l'initiative populaire "Pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre" auraient des conséquences néfastes tant pour la défense nationale et pour des secteurs clefs de l'industrie d'exportation que pour les entreprises d'armement de la Confédération, le Conseil fédéral a décidé de rejeter le texte du PS. Soucieux toutefois de combler les lacunes observées sous le régime en vigueur ainsi que de favoriser la collaboration de l'industrie helvétique avec ses partenaires étrangers, le gouvernement a simultanément soumis au parlement son projet de révision totale de la loi sur le matériel de guerre. Conçu comme une contre-proposition indirecte à l'initiative, celui-ci reprend le principe qui sous-tend la loi actuelle, à savoir que les opérations en relation avec du matériel de guerre doivent être soumises à autorisation, et non interdites. Une des principales innovations introduites par la révision concerne l'extension de la notion de matériel de guerre dont le contenu sera énuméré en détail dans une ordonnance: devraient dorénavant être assujettis à la nouvelle réglementation non seulement le matériel susceptible de servir de moyen de combat, mais également des équipements spécifiques pour l'instruction ainsi que certains instruments et machines de fabrication, de contrôle et d'entretien du matériel de guerre. Outre ces nouvelles dispositions, le projet contient une interdiction générale de toute activité visant à développer les armes atomiques, biologiques et chimiques (ABC) et soumet parallèlement au régime de l'autorisation tant les transferts de technologie à des fins militaires que les opérations de courtage pour du matériel ne se trouvant jamais sur le territoire helvétique.
Si le projet du Conseil fédéral a reçu le soutien de 5 partis politiques (PDC, PSS, PES, PLS et AdI), il a en revanche suscité l'
ire des milieux économiques, parmi lesquels la Société suisse des constructeurs de machines (VSM) et le Vorort dont les réserves ont trouvé un écho favorable auprès du PRD et de l'UDC. Clairement définis par l'ex-chef du DMF, Kaspar Villiger, comme devant figurer sur la liste du matériel tombant sous le coup de la nouvelle loi, les avions
Pilatus de type PC-7 et PC-9 équipés de points d'ancrage ("hard points") ont été au centre d'une vive controverse, suite aux précisions apportées en la matière par une infime majorité de la Commission de la politique de sécurité du Conseil national: tout PC-7 ou PC-9 équipé de plus de deux points d'ancrage devrait être considéré comme du matériel militaire. A l'annonce de cette décision, les responsables de l'entreprise Pilatus ont menacé de délocaliser leur production si une telle option devait finalement être retenue
[82].
[70]
FF, 1995, II, p. 489 ss. Les réponses reçues durant la consultation avaient révélé que notamment tous les cantons, le PRD, le PDC, l'UDC, le PLS, le Vorort et l'USP soutenaient l'essentiel du projet. Seule l'USAM l'avait estimé peu convaincant. Le PS, le PES et l'USS avaient redouté une baisse des standards suisses de protection de l'environnement, notamment. Cf. aussi
APS 1993, p. 102.70
[71]
BO CE, 1995, p. 772 ss. et 1014 s.;
BO CN, 1995, p. 2057 ss.;
FF, 1995, IV, p. 539 ss.71
[72]
BO CE, 1995, p. 232 ss.;
BO CN, 1995, p. 799 ss.72
[73]
BO CN, 1995, p. 2699 s.73
[74]
BO CE, 1995, p. 30 ss.;
BO CN, 1995, p. 2372 s.74
[75]
FF, 1995, III, p. 1237 ss.;
BO CN, 1995, p. 2367 ss.75
[76]
FF, 1995, III, p. 325 ss.;
BO CN, 1995, p. 1941 s.;
BO CE, 1995, p. 1145. Concernant l'OMC, cf. supra, Organisations internationales.76
[77] Presse du 16.2.96.77
[78] Presse des 31.1 et 2.2.95;
NQ, 26.6.95.78
[80]
JdG, 15.2.95; presse du 1.7.95. Voir aussi
APS 1991, p. 89 et
1994, p. 77.80
[82] Presse des 16.2 et 29.11.95;
JdG, 4.5.95;
TA, 12.9.95;
Bund, 24.11.95.82
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