Année politique Suisse 1996 : Chronique générale / Défense nationale
Armement
Le Conseil fédéral a présenté un
programme d'armement 1996 d'un montant total de 1,594 milliard de francs. Le poste principal est occupé par l'acquisition de nouveaux appareils radio (490 millions de francs). Les deux autres postes les plus importants portent sur l'achat de la deuxième série de chars de grenadiers à roues pour un montant de 284 millions de francs et sur l'acquisition de systèmes d'exploration électronique (174 millions). Le solde des dépenses prévues a trait aux domaines de la défense aérienne, de la conduite et des transmissions ainsi qu'à celui des munitions et de l'équipement (vestes pare-balles)
[31].
Au Conseil national,
la majorité des députés a facilement adopté le programme. Les conseillers nationaux ont notamment rejeté une proposition écologiste de ne pas entrer en matière sur le projet du gouvernement. Ils ont également écarté une proposition de la minorité socialiste de la commission de la politique de sécurité invitant le plénum à diminuer de 300 millions de francs le montant du programme eu égard aux vraisemblables réductions d'effectifs d'ici à 2005. Une proposition Günter (ps, BE) de renoncer à l'achat des chars de grenadiers destinés à la future police militaire n'a pas connu plus de succès. La majorité bourgeoise a souligné que les acquisitions prévues par l'exécutif étaient indispensables. Elle a également fait valoir que le DMF était le département à avoir accompli le plus d'efforts en matière d'économies. Au sujet de l'acquisition des chars destinés à la police militaire, le conseiller fédéral A. Ogi a relevé que ces derniers ne seraient pas équipés de mitraillettes en cas d'utilisation dans des opérations de maintien de l'ordre. En outre, ils serviraient essentiellement au transport de blessés ou à l'érection de barrages
[32].
Le Conseil des Etats a à son tour adopté sans opposition le programme d'armement. Il a rejeté une proposition du socialiste Gentil (JU) demandant de supprimer le poste consacré à l'acquisition de systèmes d'exploration électronique. Contrairement à l'opinion défendue par le conseiller aux Etats jurassien, la majorité des sénateurs a en effet estimé que ce système avait fait les preuves de sa grande efficacité
[33].
Le DMF a présenté les
nouvelles lignes de sa politique d'acquisition de matériel militaire. Dorénavant, les commandes ne se feront plus en fonction de critères de politique régionale ou de politique de l'emploi, mais seront attribués au plus offrant. Le Groupement de l'armement a néanmoins précisé que les soumissionnaires de régions plus faibles économiquement ou de régions à fortes nuisances militaires auraient la priorité en cas d'offres comparables
[34].
Le Conseil national a transmis comme postulat une motion Fritschi (prd, ZH) demandant au gouvernement de proposer une
modification du régime financier en matière d'acquisition de matériel militaire. Le motionnaire demande notamment que le parlement soit à l'avenir appelé uniquement à voter des programmes d'investissement pluriannuels, la réalisation de ces programmes étant laissée à l'appréciation de l'exécutif. Selon le député zurichois, une telle mesure permettrait d'accélérer la procédure d'acquisition de matériel militaire, évitant ainsi que le matériel commandé ne soit déjà dépassé au moment de sa livraison. De concert avec le gouvernement, la majorité de la grande chambre a estimé que si la proposition du motionnaire ne manquait pas d'intérêt, elle avait cependant le défaut de lier les mains du parlement; une fois le programme pluriannuel adopté, celui-ci ne pourrait plus revenir sur sa décision, et ce même si la situation exigeait de le faire
[35].
Au milieu de l'année 1996, les
commandes compensatoires américaines promises lors de l'achat par la Confédération des F/A 18 avaient concerné 290 firmes helvétiques et s'élevaient à un montant de 1,3 milliard de francs (sur les 2,2 milliards de francs convenus)
[36].
Répondant à une question ordinaire urgente du député socialiste genevois Ziegler, le Conseil fédéral a reconnu que
le procureur de la Confédération avait ouvert une enquête suite aux informations que lui avait fait parvenir l'ancien conseiller national Poncet (pl, GE) quant à une éventuelle affaire de corruption lors de l'achat des F/A 18. Ce dernier a en effet alerté le ministère public après avoir reçu de la part d'une source étrangère des informations faisant état de versements de
dessous-de-table opérés par le fabricant Mc Donnel-Douglas à des fonctionnaires du DMF. L'enquête devra déterminer si ces accusations sont exactes ou si elles ne constituent qu'une tentative d'intoxication de la part des services secrets de pays dont l'avion de combat aurait été écarté au profit de l'appareil américain. Le gouvernement a pour sa part tenu à préciser que le DMF ne détenait aucun indice susceptible de motiver concrètement un soupçon quant à l'existence de telles commissions, ajoutant que le colonel Nyffenegger n'avait été associé à aucun moment à la procédure d'acquisition du nouvel avion de combat
[37].
En début d'année, le peuple suisse était appelé à se prononcer sur une mesure d'assainissement des finances fédérales impliquant une modification constitutionnelle. Cette mesure proposait d'abolir la prérogative dont les cantons jouissent depuis le 19e siècle en matière d'acquisition du matériel personnel des militaires. Grâce à la centralisation des achats, ce transfert de compétences au bénéfice de la Confédération était censé permettre une économie de quelque 8 millions de francs sur le budget fédéral (pour un volume de commandes équivalant en 1995 à 43 millions de francs). Au terme d'une campagne peu animée et lors d'une votation au taux de participation particulièrement bas, le souverain a rejeté assez nettement la modification constitutionnelle avec 56,1%
de non. Le refus des cantons fut encore plus massif puisque seuls 2 2/2 cantons - à savoir les deux Bâle, Zurich et Genève - ont accepté la mesure. Les cantons rejetant le plus nettement cette proposition furent ceux du Valais, du Jura, du Tessin ainsi que les cantons de la Suisse primitive.
Arrêté fédéral supprimant la compétence cantonale en matière d'acquisition de l'équipement personnel des militaires
Votation du 10 mars 1996
Participation: 31,0%
Oui: 601 613 (43,7) / 2 2/2 cantons
Non: 775 087 (56,3%) / 18 4/2 cantons
Mots d'ordre:
- Oui: PS (1*), PRD (15*), UDC (11*), AdI, PEP, PE; Vorort, USS.
- Non: PDC (5*), PL (1*), PdL, DS, Lega, PdT; USAM.
* Recommandations différentes des partis cantonaux
Lors de la campagne, les partisans de la mesure - les partis socialiste et écologiste, le PRD, l'UDC ainsi que le Vorort et l'USS - ont mis en avant que celle-ci mettrait fin à un système désuet et coûteux. Selon les défenseurs de la modification constitutionnelle, cette prérogative cantonale renchérissait les articles de 10 à 65% du fait que les commandes étaient passées, d'une part, en petites tranches et, d'autre part, uniquement en fonction d'intérêts économiques régionaux. Les partisans ont également relevé que cette modification permettrait de supprimer la procédure très lourde à laquelle le DMF doit actuellement se plier chaque année, ce dernier devant négocier avec les cantons des conventions sur les prix, les indemnités et les quotas de livraison.
Les opposants à cette mesure - l'ensemble des directeurs militaires cantonaux, les partis démocrate-chrétien et libéral, de nombreuses sections cantonales des radicaux et de l'UDC ainsi que l'USAM - ont souligné les conséquences néfastes pour l'emploi dans des régions périphériques déjà très affectées par la crise. Selon les pourfendeurs de la modification constitutionnelle, quelque 2000 postes auraient été supprimés en cas d'adoption de la mesure. Le prix en termes de pertes d'emplois était d'autant plus inacceptable que l'économie réalisée était minime eu égard au déficit de la Confédération. Enfin, pour certains opposants, cette modification attentait de manière inacceptable au fédéralisme ainsi qu'à l'enracinement cantonal de l'armée de milice.
L'
analyse Vox a révélé que ce qui avait poussé une majorité d'électeurs à voter contre cette proposition avait trait aux conséquences pour l'emploi. En ce qui concerne les partisans, c'était avant tout le souci de soutenir les autorités dans leur effort d'assainissement des finances fédérales qui était à l'origine du comportement de vote
[41].
Le Conseil fédéral a transmis son message concernant la suppression de la régale des poudres. Selon le gouvernement, cette dernière ne se justifie plus aujourd'hui. D'une part, le monopole de la production et de la commercialisation de poudre n'a plus l'importance qu'il revêtait au 19e siècle. D'autre part, la régale des poudres est contraire aux efforts actuels visant à la libéralisation de l'économie. Au parlement, la proposition du gouvernement a été adoptée à la quasi-unanimité. La suppression de la régale des poudres impliquant une modification constitutionnelle, le peuple et les cantons seront cependant appelés à entériner cette décision.
Le Conseil fédéral a demandé des
études supplémentaires aux deux entreprises en lice pour l'obtention du contrat portant sur le renouvellement du système de surveillance de l'espace aérien militaire. Ce faisant, le gouvernement a donné une seconde chance au groupe français Thomson, lequel se plaignait d'avoir été désavantagé par le Groupement de l'armement par rapport à son concurrent américain, l'entreprise Hughes. Selon de nombreux observateurs, Berne aurait été soumise à de très fortes pressions de la part de la France. Celle-ci aurait notamment souligné que le choix de tel ou tel système ne manquerait pas d'avoir des conséquences sur les négociations bilatérales avec l'UE ainsi que sur celles relatives à la réalisation d'un centre binational de contrôle aérien civil à Genève
[43].
La Chancellerie fédérale a fait savoir que
l'initiative "pour une armée suisse dotée d'animaux" n'avait pas été déposée dans les délais impartis pour la récolte des signatures
[44].
[31]
FF, 1996, II, p. 545 ss.31
[32]
BO CN, 1996, p. 1023 ss.; presse des 19.6 et 20.6.96.32
[33]
BO CE, 1996, p. 779 ss.;
FF, 1996, IV, p. 888 s.; presse du 27.9.96.33
[34] Presse du 16.4.96.34
[35]
BO CN, 1996, p. 1187 s. et 1350 ss.35
[37]
BO CN, 1996, p. 1285 s.;
NQ, 6.3 et 28.3.96;
TA, 30.8.96;
Ww, 5.9.96.37
[41] M. Delgrande / W. Linder,
Analyse des votations fédérales du 10 mars 1996. Vox no 58, Berne 1996. L'OFS a par ailleurs publié une étude dont il ressort clairement que le refus de la centralisation de l'acquisition de l'équipement personnel des militaires provenait essentiellement des régions campagnardes et à faible revenu:
Bund et
JdG, 1.5.96.41
[43]
NQ et
JdG, 2.7.96; presse du 5.9.96;
NQ, 19.9.96;
TA, 27.11.96;
JdG et
NZZ, 28.11.96;
24 Heures, 29.11.96.43
[44]
FF, 1996, V, p. 649. Voir également
APS 1995, p. 102.44
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