Année politique Suisse 1996 : Economie / Agriculture
Politique agricole
Dans son rapport sur le
programme de législature 1995-1999, le Conseil fédéral a tracé les grandes lignes de son action dans le domaine agricole. Deux points fondamentaux constitueront les axes de la politique gouvernementale en la matière: compétitivité et durabilité. Au sujet du premier objectif, le gouvernement entend diminuer les interventions étatiques, tant réglementaires que financières, ce afin d'encourager les exploitations les plus innovatrices. En ce qui concerne la promotion d'une agriculture écologique, les paiements directs pour prestations écologiques devraient constituer à l'avenir la seule source de subventions pour la paysannerie. Du point de vue des finances publiques, l'exécutif s'attend à ce que la diminution des subventions visant à faciliter l'écoulement des produits agricoles ne soit pas à même de compenser l'accroissement des montants versés au titre de paiements directs. Ce n'est qu'en 2002 que les dépenses agricoles devraient connaître un fléchissement
[1].
L'initiative "paysans et consommateurs" ayant été retirée par ses auteurs, le peuple et les cantons étaient appelés à se prononcer au mois de juin sur le seul contre-projet élaboré par le parlement. A la différence de l'article refusé en 1995, le texte soumis à l'approbation populaire proposait notamment d'inscrire dans la Constitution le principe selon lequel les paiements directs ne devraient être versés à l'avenir que sous condition du respect d'exigences écologiques minimales (production intégrée). Le contre-projet mentionnait également que la Confédération pourrait édicter des prescriptions en matière de provenance, de qualité et de méthodes de production des denrées alimentaires. Enfin, l'article élaboré par le parlement prévoyait l'interdiction de l'utilisation abusive d'éléments fertilisants et autres produits chimiques.
Le souverain a accepté très largement le
contre-projet avec près de 77,6% de oui et l'unanimité des cantons. Parmi ces derniers, les cantons des Grisons, Genève, Bâle et Zurich ont été les plus favorables au nouvel article. L'accueil le moins enthousiaste est provenu des cantons de Schwytz, Valais et Vaud, même si, dans ces cantons également, plus des deux tiers des votants se sont exprimés positivement
[2].
Article constitutionnel sur l'agriculture
Votation du 9 juin 1996
Participation: 31,4%
Oui: 1 086 534 (77,6%) / 20 6/2 cantons
Non: 313 874 (22,4%) / 0 canton
Mots d'ordre:
- Oui: PS, PRD, PDC, UDC (2*), PE, PL, PEP, AdI, DS (1*), PdT; Vorort, USAM, USS, USP, UPS, VKMB.
- Non: PdL.
Lors de la campagne, les
partisans du contre-projet - à savoir la quasi-totalité des partis, les associations paysannes, écologistes et économiques - ont souligné que le texte proposé fournissait une base constitutionnelle aux réformes entreprises dans le secteur agricole vers plus de marché et d'écologie. Ils ont également relevé que cet article prenait mieux en compte les préoccupations de la population en matière de protection de l'environnement et d'information du consommateur que ne le faisait celui rejeté l'an dernier. Les associations paysannes ont quant à elles argué, à l'égard de leur base, que si le texte prévoyait le versement des seuls paiements directs écologiques, le Conseil fédéral s'était engagé à respecter un moratoire de cinq ans pendant lequel les paiements directs complémentaires continueront à être versés. Les leaders paysans ont également souligné que l'adoption de cet article permettrait de barrer la route à l'initiative beaucoup plus extrémiste de l'Association alémanique des petits et moyens paysans (VKMB) "pour des produits alimentaires bon marché et des exploitations agricoles écologiques"
[3].
Pour les opposants - principalement le parti de la liberté et la Chambre vaudoise de l'agriculture - le contre-projet relevait au contraire d'un fondamentalisme écologiste inacceptable qui allait bien au-delà des préoccupations des citoyens en matière de protection de l'environnement. L'article soumis à l'approbation des citoyens poursuivait de plus des buts contradictoires, l'importante réglementation administrative ainsi que l'augmentation des coûts impliquées par l'écologisation de la production étant contraires à la volonté de rapprocher l'agriculture de l'économie de marché. Enfin, il était irréaliste de vouloir convertir l'ensemble du secteur primaire à un mode de production écologique, la demande pour des produits respectueux de l'environnement n'étant pas suffisante pour en assurer l'écoulement.
L'
analyse Vox a révélé pour sa part que le comportement de vote des partisans avait été motivé avant tout par des préoccupations écologistes. Dans le camp des opposants, ce seraient avant tout des motivations d'ordre financier qui expliqueraient le refus. Par ailleurs, il semble que les électeurs appartenant à la gauche de l'échiquier politique aient été plus favorables au contre-projet du parlement. En revanche, on ne saurait percevoir de différences notoires selon les caractéristiques socio-démographiques entre opposants et partisans du nouvel article
[5].
Le
Conseil fédéral a recommandé le rejet de l'initiative populaire "pour des produits alimentaires bon marché et des exploitations agricoles écologiques" déposée en 1994 par le VKMB. Selon le gouvernement, dans la mesure où cette initiative visait à modifier l'ancien article constitutionnel entre-temps remplacé, son acceptation signifierait la réintroduction de l'ancienne disposition. Ceci aurait comme conséquence que des éléments fondamentaux du nouvel article adopté en juin - tels que celui ayant trait à la multifonctionnalité de l'agriculture - disparaîtraient de la Constitution. L'exécutif a en outre souligné que cette initiative risquait de soumettre le versement des paiements directs à des exigences extrémistes (production biologique et détention en plein air) certainement fatales à la grande majorité de la population agricole. Enfin, la proposition de plafonner les paiements directs à 50 000 francs et, par conséquent, de verser la même aide à toutes les exploitations dépassant 17 hectares ne pourrait que nuire à la création de grosses exploitations plus efficientes économiquement
[6].
Afin de faire part à l'opinion publique de l'exaspération croissante du monde paysan face à l'érosion continue de son revenu ainsi que pour signifier son opposition catégorique au plan d'abattage prévu par le gouvernement pour éradiquer la maladie de la vache folle (voir infra), une manifestation - mise sur pied à l'initiative de l'USP - s'est tenue en automne à Berne réunissant selon les différentes estimations quelque
10 000 à 15 000 paysans. Malgré le service d'ordre mis en place par l'USP, le rassemblement a rapidement dégénéré, des heurts entre une petite minorité d'agriculteurs et les forces de l'ordre poussant ces dernières à dissoudre la manifestation à l'aide de lances à eau et de bombes lacrymogènes
[7].
Suite à la procédure de consultation au cours de laquelle le Conseil fédéral a pu constater un large soutien à ses propositions, le gouvernement a présenté son message concernant la deuxième étape de la réforme de l'agriculture helvétique (Politique agricole 2002). Le projet gouvernemental - qui regroupe dans une loi sur l'agriculture totalement révisée des dispositions jusqu'alors éparpillées dans différents textes - propose le passage définitif d'une agriculture visant à garantir l'autarcie du pays en cas de guerre à une agriculture poursuivant principalement deux objectifs: d'une part, promouvoir la conversion de l'agriculture helvétique à l'économie de marché, d'autre part, assurer sa durabilité.
Au sujet du premier objectif, c'est principalement le secteur de la production laitière qui sera affecté. En effet, les prix et la prise en charge du lait et du fromage ne seront à l'avenir plus garantis par l'Etat, ce dernier limitant son soutien aux seuls paiements directs. Les paysans devront eux-mêmes s'occuper de la commercialisation et de l'écoulement de leur production à l'aide d'organisations privées qui remplaceront l'Union suisse du fromage (USF) et la Butyra. Seuls le lait servant à la production fromagère et le fromage destiné à l'exportation dans des pays extérieurs à l'Union européenne bénéficieront encore d'une aide. Le contingentement de la production laitière ainsi qu'une certaine protection douanière seront par ailleurs également maintenus afin d'éviter tout effondrement trop massif des prix. Outre le secteur laitier, la production de blé panifiable sera aussi largement libéralisée après une période transitoire de cinq ans, l'obligation de prise en charge par la Confédération n'étant plus nécessaire pour garantir l'approvisionnement du pays. Enfin, dans les domaines des oléagineux, des betteraves sucrières, des pommes de terre et des fruits, les réglementations seront davantage axées sur la concurrence et plus transparentes.
En ce qui concerne l'écologisation de la production agricole, le projet du Conseil fédéral prévoit que les paiements directs ne seront à l'avenir versés que si certaines prestations écologiques (assolement régulier, bilan de fumure équilibré, surface de compensations écologiques) auront été fournies. Le message du gouvernement précise cependant que ces conditions n'entreront en vigueur qu'après un délai de cinq ans, soit autour de 2003.
Le texte proposé par le Conseil fédéral comprend également un ensemble de
mesures destinées à garantir la survie du monde agricole helvétique. Ainsi, pour compenser la baisse des prix résultant de la libéralisation du secteur primaire, le montant des paiements directs sera augmenté de 170 millions de francs par an jusqu'en 2002 (soit une augmentation totale de 1,2 milliard de francs). Les pertes engendrées par la baisse des prix s'élevant à 1,9 milliard de francs, les paysans devront cependant baisser de quelque 700 millions leurs coûts d'ici 2002 pour rentrer dans leurs frais. Dès l'an 2000, les crédits relatifs à ces paiements directs seront votés pour des périodes de quatre ans afin de garantir au monde agricole un maximum de sécurité financière. Enfin, dans le but de favoriser un regroupement des exploitations seul à même de permettre aux paysans de dépasser des seuils critiques de rentabilité, le projet de l'exécutif comprend des modifications de la loi sur le droit foncier rural ainsi que de celle sur le bail à ferme agricole
[8].
Réagissant de manière globalement positive au message du gouvernement, l'USP a cependant demandé que des mesures sociales supplémentaires soient prévues. L'organisation paysanne a notamment exigé que soit réintroduit un instrument permettant de comparer le revenu agricole avec ceux en vigueur dans les autres secteurs de l'économie, ce afin d'éviter que la situation économique des paysans ne soit découplée de l'évolution de la prospérité de la société en général. Au sujet de la libéralisation de l'économie laitière, les leaders paysans ont demandé qu'un prix minimal soit garanti pour le lait. Enfin, l'USP a souligné que si la libéralisation du secteur primaire ne devait pas profiter aux seuls distributeurs, mais également au monde paysan, celui-ci devait bénéficier d'une marge de manoeuvre entrepreneuriale plus importante ainsi que d'une baisse des coûts de production, ce dernier point ne pouvant être réalisé que si les secteurs économiques en amont de la production agricole étaient à leur tour libéralisés.
Sans pour autant aboutir à un accord définitif, les négociateurs européens et helvétiques sont parvenus à un nombre non négligeable de
points de convergence, notamment au sujet du commerce de fromages et de vins. En effet, en ce qui concerne la production fromagère, les deux parties se sont entendues sur l'exemption de toute taxation douanière pour les principaux fromages helvétiques à pâte dure ainsi que pour certains fromages frais ou à pâte molle européens. Au sujet de la production viticole, les négociateurs helvétiques ont accepté d'abaisser les droits de douane sur le vin rouge en bouteille au niveau de celui valable pour le vin rouge en vrac, les représentants européens offrant à leur tour d'augmenter de 10 000 hectolitres le contingent annuel de vins suisses franc de toute taxation. Dans le secteur de la viande, les deux parties ne sont en revanche pas parvenues à un accord. Dans ce domaine - tout comme d'ailleurs dans le secteur des fruits et légumes - il semble que l'heure de la disparition des contingents tarifaires n'ait pas encore sonné
[10].
Du fait de l'
introduction d'une directive de l'Union européenne soumettant l'importation de fromage au strict respect de certaines normes de propreté, l'ensemble des fromageries helvétiques ont été passées au peigne fin par des inspecteurs de la Confédération. Un cinquième des centres de production - soit quelque 250 établissements - ont été déclarés non conformes. Si la majorité des cas concernés pourront procéder sans trop d'encombres aux modifications nécessaires, il est vraisemblable que les exigences de l'UE signifieront la disparition de certaines fromageries
[11].
Selon les estimations de l'USP,
le nombre d'exploitations pratiquant la production intégrée a connu un véritable boom en 1996. En effet, quelque 55% du nombre total d'exploitations paysannes - soit une progression de quasiment 100% par rapport à 1995 - pratiqueraient désormais ce mode de production. Le nombre de fermes converties à la production biologique a également augmenté, passant de 2200 en 1995 à 4000 en 1996
[12].
Le Conseil national a transmis un postulat Wittenwiler (prd, SG) demandant au gouvernement de rendre compte, dans un rapport, tant des
coûts externes (charges pour l'environnement) que des
bénéfices externes (entretien du paysage, lutte contre l'érosion, etc.)
engendrés par l'activité agricole. Selon le postulant, ce document devrait permettre une analyse objective de l'utilité sociale de l'agriculture
[13].
A l'exception du complément à la loi sur l'agriculture relatif à la dénomination des produits agricoles (voir infra),
le Conseil national a adopté très facilement les différents objets composant le Paquet agricole 95. Les quelques modifications techniques apportées par la grande chambre ont été par ailleurs avalisées sans difficultés par les sénateurs
[14].
[1]
FF, 1996, II, p. 289 ss.1
[2]
FF, 1996, I, p. 456 (initiative) et III, p. 883 ss. (votation populaire); presse du 10.6.96. Voir aussi
APS 1995, p. 122 ss.2
[3] Presse des mois d'avril, mai et juin 1996.3
[5] S. Hug / L. Marquis / B. Wernli,
Analyse des votations fédérales du 9 juin 1996. Vox no 59, Berne 1996.5
[6]
FF, 1996, IV, p. 590 ss.; presse du 29.6.96. Voir également
APS 1994, p. 112.6
[7] Presse des 21.9, 24.10, 25.10 et 30.10.96;
NQ, 31.10.96. Cf. aussi supra, part. I, 1b (Politische Manifestationen).7
[8]
FF, 1996, IV, p. 1 ss.;
Bund, 17.2.96 (procédure de consultation); presse du 29.6.96. Voir aussi
APS 1995, p. 125 s. Il est à relever en outre que la libéralisation de la production de blé panifiable prévue par le projet du gouvernement devra être soumise à l'approbation du souverain, cette mesure impliquant une modification constitutionnelle. Enfin, au sujet des conséquences financières de la réforme, il faut souligner que l'abandon de la garantie de la prise en charge de la production agricole permettra une économie de 500 millions de francs de sorte que, compte tenu de l'augmentation des paiements directs, la facture nette sera de quelque 700 millions de francs en 2002 pour les finances fédérales. Les consommateurs devraient pour leur part économiser quelque 1,4 milliard de francs d'ici 2002.8
[10]
Bund, 4.5.96;
24 Heures, 26.10.96. Voir aussi
APS 1995, p. 127.10
[11]
SGT, 15.1.96;
NQ, 25.1.96; presse du 21.2.96.11
[12]
NZZ, 25.4.96. Voir aussi
APS 1995, p. 127.12
[13]
BO CN, 1996, p. 587 s.13
[14]
BO CN, 1996, p. 475 ss., 1022 s. et 1280;
BO CE, 1996, p. 422 ss. et 589;
FF, 1996, III, p. 49 s., 96 ss. et 105 s. Voir aussi
APS 1995, p. 128.14
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