Année politique Suisse 1998 : Economie / Agriculture
 
Politique agricole
Les personnes employées dans l’agriculture n’étaient plus que 225 000 en 1996, soit une diminution de 11% depuis 1990 et d’un quart depuis 1985. C’est notamment le processus de concentration des entreprises agricoles qui a réduit le nombre de places de travail. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), on ne comptait plus en Suisse que 80 000 exploitations agricoles en 1996, soit 13 000 de moins qu’en 1990. Ainsi, le secteur primaire n’occupe désormais plus que 4,8% du total des emplois. L’agriculture de montagne est particulièrement touchée par ce phénomène. Elle a perdu 14% des personnes employées, contre seulement 8% pour celle de plaine [1].
Le canton de Thurgovie a déposé une initiative qui demandait des mesures d’urgence jusqu’à l’application de la nouvelle politique agricole «Politique agricole 2002». Ces mesures devaient compenser des pertes de revenu pour les petites exploitations typiques de ce canton, consécutivement à une baisse du prix du lait importante et au passage à la production intégrée. Les deux chambres ont suivi l’analyse de leurs commissions de l’économie et des redevances qui considéraient notamment que les principales exigences avaient été réalisées par la réforme de la politique agricole depuis le dépôt de l’initiative et proposaient de classer celle-ci [2].
Le démocrate-chrétien jurassien François Lachat a proposé par le biais d’une motion l’adhésion de la Suisse au Centre international pour l’agriculture et les sciences biologiques (CABI). Le CABI est une organisation intergouvernementale dont le siège est en Grande-Bretagne et qui oeuvre pour un développement durable, notamment pour tout ce qui a trait à l’agriculture, à la sylviculture, à la santé humaine et à la gestion des ressources naturelles. Présent en Suisse depuis 1948, le Centre du CABI pour les sciences biologiques s’est installé à Delémont en 1997. Le Conseil fédéral s’est déclaré prêt à accepter la motion et à préparer un message aux chambres dans le but d’une adhésion. Combattue dans un premier temps lors de la session d’automne et renvoyée, la motion a finalement été transmise sans opposition lors de la session d’hiver [3].
Le parlement a accepté la révision partielle de la loi sur l’aménagement du territoire. L’opposition, qui s’était déjà manifestée lors du débat dans les chambres, a déposé un référendum contre ce projet, craignant que l’ouverture des zones agricoles à d’autres usages ne débouche sur des abus [4].
Un sondage réalisé auprès de 700 citoyens suisses a mis en évidence que 87% d’entre eux accordaient une importance, voire une très grande importance, au devoir d’entretien du paysage de la part des agriculteurs. Ils ne veulent toutefois pas les limiter à cette seule tâche et désirent pouvoir bénéficier de produits agricoles suisses variés. La production de denrées alimentaires reste en effet pour les personnes interrogées l’objectif premier, 84% pensant que l’agriculture suisse devrait être maintenue pour assurer l’auto-approvisionnement du pays en cas de crise. Les sondés se sont également largement prononcés pour une agriculture qui soit respectueuse des animaux et de l’environnement. Ainsi, 84% considèrent les exploitations bio comme dignes d’encouragement, toutefois les romands (22%) sont moins favorables à la production biologique que les alémaniques (47%) [5].
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Initiative populaire du VKMB
Le peuple suisse a rejeté en septembre l’initiative «pour des produits alimentaires bon marché et des exploitations agricoles écologiques» lancée par le VKMB (Association des petits et moyens paysans) et à laquelle les chambres fédérales, le gouvernement et la majorité des partis politiques s’étaient fermement opposés. Plusieurs organisations écologiques avaient même décidé de ne pas la soutenir. Il faut dire que les autorités mettaient simultanément sous toit le concept de «Politique agricole 2002» qui abondait dans le même sens, mais de façon plus mesurée. Seuls les Démocrates suisses et le Parti écologiste suisse ont combattu pour l’acceptation du projet, le PS préférant pour sa part laisser la liberté de vote. Déposée en 1994, cette initiative demandait notamment que la tendance à la libéralisation du marché soit accentuée et que les paysans se reconvertissent à une agriculture plus écologique. Pour les inciter à faire le pas, le projet prévoyait que la politique des revenus paysans ne soit plus réalisée qu’à l’aide de paiements directs d’un maximum de 50 000 francs par exploitation, à condition que soient utilisées des méthodes respectueuses de la nature et des animaux. Quant aux mesures de protection contre les produits étrangers, elles auraient désormais été limitées aux simples droits de douane [6].
Cette initiative a provoqué une véritable levée de boucliers chez la grande majorité des agriculteurs. Un peu partout dans la campagne suisse on a vu apparaître des calicots ou des NON géants construits avec des bottes de paille. Le monde paysan, malgré des moyens financiers trois fois moins importants – selon les chiffres articulés dans la presse – que ceux des initiants soutenus par la maison Denner, a conduit une campagne extrêmement active. Au fil des mois précédant la votation, les écologistes et le président du PES Ruedi Baumann en tête se sont peu à peu distancés du grand distributeur, revenant même sur des déclarations de ce dernier. L’initiative a finalement été largement rejetée par 1 793 591 non (77%) contre 535 873 oui (23%), ainsi que par la totalité des cantons. La Suisse romande avec cinq cantons (VD, JU, VS, FR, NE) dépassant les 80% de non et la Suisse centrale avec quatre cantons (OW, NW, SZ, LU)ont été particulièrement vigoureuses dans leur refus [7].
Initiative populaire «pour des produits alimentaires bon marché et des exploitations agricoles écologiques»
Votation du 27 septembre 1998

Participation: 52%
Oui: 535 873 (23,0%) / 0 canton
Non: 1 793 591 (77,0%) / 20 6/2 cantons

Mots d'ordre:
Oui: PES (1*), DS (1*), Lega.
Non: PRD, PDC, UDC, PL, AI (1*), UDF, PdL, PEP, PCS, Vorort, USP, USAM, FSE.
Liberté de vote: PS (5*).

(* Recommandations différentes des partis cantonaux.)
L’analyse Vox a mis en évidence que l’initiative n’avait trouvé un écho favorable au sein d’aucune catégorie spécifique de la population. Les sympathisants du PDC, de l’UDC et du PRD ont suivi largement la consigne de vote négative de leur parti, alors que les sympathisants du PS ont également rejeté l’initiative, mais plus faiblement. C’est sur la gauche de l’échiquier politique que l’initiative a recueilli le plus de voix. Les caractéristiques socio-démographiques habituelles (âge, sexe, formation, salaire, résidence, région linguistique, etc.) ne permettent pas d’expliquer le comportement de vote. Parmi les personnes ayant voté oui, c’est l’argument de soutien aux petits paysans qui est le plus entré en ligne de compte pour la prise de décision. Par contre, le fait que l’entreprise Denner ait soutenu l’initiative semble avoir nui à celle-ci. Pour ce qui est des motivations des non, c’est le soutien aux paysans en général qui est ressorti du sondage. Une large frange des opposants a aussi exprimé qu’elle préférait la politique des autorités fédérales en la matière. Une analyse statistique mesurant le poids relatif des arguments a, en fin de compte, montré que les votants étaient restés sceptiques face à l’initiative et que c’était surtout les arguments «contre» qui avaient convaincu [8].
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Nouvelle politique agricole
Le nouveau concept «Politique agricole 2002» a continué en 1998 son parcours devant les chambres fédérales. Le Conseil des Etats est entré en matière sans opposition en tant que deuxième chambre sur la loi fédérale sur l’amélioration de l’agriculture. S’agissant de l’examen de détail, il a apporté quelques 58 modifications à la version du Conseil national, revenant dans l’ensemble à une vision moins protectionniste de l’agriculture et plus proche des règles du marché et de l’écologie.
Dans ses corrections les plus importantes, la petite chambre a jugé tout d’abord que les enveloppes budgétaires votées par le parlement pour une période de quatre ans doivent être contraignantes. A savoir que contrairement à ce qu’avait désiré le Conseil national, le Conseil fédéral n’a pas la possibilité de transférer des crédits au sein d’une enveloppe budgétaire globale. Ainsi, des fonds destinés aux paiements directs ne peuvent, par exemple, pas être engagés pour des mesures de soutien du marché. Autre rectification de taille apportée par les sénateurs: dans un délai de cinq ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les mesures de soutien au marché diminueront d’un tiers, ce qui représente une économie de quelques 400 millions de francs sur les 1200 millions affectés à cet usage en 1998. Concernant l’économie laitière, les conseillers aux Etats sont revenus sur une modification du projet du gouvernement effectuée par le National quant à une éventuelle réduction des contingents laitiers rendue nécessaire par une adaptation au marché. Une telle réduction ne donne, selon eux, pas droit à une indemnisation. Par contre, un supplément versé aux producteurs qui fabriquent du fromage sans ensilage a été maintenu par 22 voix contre 15, conformément à la volonté de la première chambre, mais contre l’avis du Conseil fédéral. Sur le plan des paiements directs, une proposition socialiste de la minorité de la commission de l’économie et des redevances (CER) de réduire les paiements directs à partir d’une fortune imposable de 700 000 francs ou d’un revenu de 80 000 francs a finalement été retirée et à l’opposé, la tentative des protectionnistes de maintenir des prix-seuils garantis par la Confédération a également échoué. C’est finalement à l’unanimité (27 voix) que le Conseil des Etats s’est prononcé en faveur de l’ensemble du projet et l’a transmis à la chambre du peuple [9].
A ce stade de l’élimination des divergences, la CER a proposé au Conseil national d’adhérer à 38 modifications, de camper sur sa position initiale pour 8 autres et de rectifier à son tour 12 points modifiés par le Conseil des Etats. Concernant les points sensibles, la grande chambre s’est rallié à ce dernier sur la diminution d’un tiers en cinq ans des mesures de soutien au marché. Des propositions de la gauche de réduire celles-ci de moitié, voir complètement à terme, n’ont pas trouvé grâce devant l’assemblée. La majorité a estimé nécessaire de prévoir une phase de transition suffisante pour s’adapter aux nouvelles structures, mais n’a pas désiré non plus en faire davantage que les pays de l’UE qui pratiquent également des mesures de soutien au marché. Le Conseil national n’a pas non plus suivi l’avis du gouvernement et de la petite chambre sur le sujet des contingents laitiers par 71 voix contre 60, n’entérinant pas la possibilité pour le Conseil fédéral d’exclure des transferts les contingents qui ne sont pas utilisés et de les réduire en cas de besoin. Sur le thème des paiements directs, il a confirmé la version du Conseil des Etats qui a apporté une exigence supplémentaire à l’octroi de ces paiements, à savoir des conditions de détention convenables pour les animaux de rente. Par contre, le Conseil national s’est opposé à l’attribution d’une enveloppe budgétaire pour une période de quatre ans qui ne permette pas au Conseil fédéral d’opérer des transfert de crédits entre différents secteurs. Il a également refusé par 82 voix contre 55 de suivre la chambre des cantons via une proposition de minorité Schmid (udc, BE), se prononçant pour une attribution de contributions écologiques qui concerne toutes les exploitations. Enfin, le Conseil national s’est déterminé en faveur de la minorité Binder (udc, ZH), qui désirait inscrire dans la loi l’obligation de prouver que la viande importée provient d’animaux affouragés sans antibiotiques comme stimulateurs de performance [10].
Il a fallu ensuite encore deux lectures devant le Conseil des Etats, une devant le Conseil national et une conférence de conciliation pour éliminer les dernières divergences. Concernant l’attribution d’une enveloppe budgétaire, c’est finalement la version plus stricte de la chambre des cantons qui l’a emporté. Sur les contributions écologiques, toutes les exploitations pourront en bénéficier, mais sous certaines conditions. Sur la question des contingents laitiers, la chambre du peuple s’est aussi ralliée à la vision initiale du gouvernement. A propos du thème des matières auxiliaires de l’agriculture, il a finalement été retenu que l’importation de celles-ci devait être libre. Quant à l’importation de viande produite sans antibiotiques, c’est en fin de compte la version plus souple du Conseil des Etats qui a prévalu, ceci afin d’éviter une interdiction totale d’importation pour certains produits qui aurait pu conduire à une violation des traités internationaux. Le Conseil national a finalement accepté la loi fédérale sur l’amélioration de l’agriculture par 102 voix contre 48 (PS et Verts) et 20 abstentions. Le Conseil des Etats a fait de même à l’unanimité [11].
Le passage d’une agriculture sous contrôle étatique à une situation plus proche de l’économie de marché est mise en évidence par la diminution du nombre d’ordonnances d’application de 106 à 56. Dans le secteur du lait notamment, le nombre d’articles fond de 831 (1989) à 176 (1999) et sera finalement de 133 en 2003 [12].
Deux projets de modification de loi compris dans le message du gouvernement relatif à la «Politique agricole 2002» se trouvaient également devant le parlement en 1998. L’objectif commun de ces deux projets était d’assouplir certaines mesures de politique structurelle et d’accorder ainsi une plus grande autonomie aux agriculteurs dans la gestion de leur entreprise. Celui concernant la loi fédérale sur le droit foncier rural a finalement été accepté par le Conseil national sur le score de 114 voix contre 57 (PS et Verts) et à l’unanimité par le Conseil des Etats. L’autre modification concernant la loi fédérale sur le bail à ferme agricole a été adoptée en vote final par 119 voix contre 55 dans la chambre basse et à l’unanimité dans la chambre des cantons [13].
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Enveloppe budgétaire 2000-2003
Consécutivement à l’adoption de la nouvelle loi sur l’agriculture qui entre en vigueur le 1er janvier 1999, le gouvernement a présenté son message sur l’enveloppe budgétaire de 14 milliards de francs qui couvrira les dépenses agricoles pour une période de quatre ans (2000-2003). Les paiements directs constituent la plus grosse partie de ce crédit-cadre avec 9,5 milliards, suivent les indemnités de soutien au marché avec 3,5 milliards et l’amélioration des conditions de production avec un milliard. Cette somme devrait couvrir les 95% des dépenses de l’Office fédéral de l’agriculture selon le conseiller fédéral Pascal Couchepin. Seuls ne sont pas compris dans cette enveloppe les coûts du personnel et des stations de recherche agricole. En moyenne, les dépenses consacrées à l’agriculture pendant cette période seront donc de 3,5 milliards de francs par année, ce qui correspond à la situation de l’année 1998. Le seul poste qui a été significativement réduit est celui concernant la production et l’écoulement où 400 millions seront supprimés, comme l’avaient décidé les chambres fédérales dans la nouvelle loi. C’est l’économie laitière qui est principalement touchée par cette mesure, conséquence des accords du GATT interdisant les subventions à l’exportation et autres prises en charges. Selon l’USP, la somme de 14 milliards constitue un minimum absolu [14].
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Agriculture et protection de l’environnement
En 1997, les règles de la production intégrée (PI) ont été appliquées dans 67% des exploitations agricoles suisses contre 56% en 1996. Cela représente près de 73% de la surface agricole utile. La part des exploitations biologiques a passé de 5% à 6,4%, soit 6,2% de la surface agricole utile [15]. Selon Bio Suisse, l’organisation des producteurs biologiques, quelques 5000 fermes pratiquent désormais la culture biologique et ceci surtout en zone de montagne. Cela représente 12% de plus qu’en 1996. Le chiffre d’affaires de cette production approche un demi milliard de francs suisses. La Suisse est dans le peloton de tête des pays producteurs de produits bio, derrière la Suède et l’Autriche. Toutefois, on dénombre encore 20% d’agriculteurs qui abandonnent ce mode d’exploitation de la terre au cours de la première année, ou qui ne passent pas le premier contrôle. En 1997, l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (IRAB) situé à Frick (AG) a remis à l’ordre ou amendé 250 exploitations qui ne respectaient pas les critères bio tout en utilisant l’appellation. Dans le secteur agroalimentaire, 60 entreprises ont dû changer leurs recettes et procédés de fabrication [16].
La quantité d’engrais utilisée dans l’agriculture suisse est en forte diminution depuis que les productions intégrée ou bio ont été adoptée par près de 80% des paysans. Selon une étude fédérale réalisée sur 200 exploitations pilotes, l’utilisation de fertilisants azotés a notamment baissé de 15% en cinq ans, celle des produits de traitement des plantes de 13% et les engrais phosphatés ont retrouvé le niveau des années cinquante. Les paysans ne dépensaient d’ailleurs plus en moyenne que 117 francs par hectare pour les engrais en 1996 contre 223 francs en 1988. L’emploi d’herbicides et d’antiparasitaires a également diminué, mais dans une proportion moindre [17].
 
[1] Presse du 8.1.98.1
[2] BO CN, 1998, p. 475 s.; BO CE, 1998, p. 545 s.2
[3] BO CN, 1998, p. 2170 et 2814.3
[4] A ce sujet, voir infra, part. I, 6c (Raumplanung).4
[5] TA, 30.7.98.5
[6] Voir APS 1997, p. 131 s. (projet); cf. infra (analyse Vox).6
[7] Presse de août et septembre (campagne); LT, 19.8.98 (Baumann); FF, 1998, p. 4852 et 4854 et presse du 28.9.98 (résultats).7
[8] M. Delgrande / W. Linder, Vox: Analyse des votations fédérales du 27 septembre 1998, Berne 1998.8
[9] BO CE, 1998, p. 116 ss. et 146 ss. Voir également: APS 1997, p. 132 ss. (débat) et 1996, p. 128 s. (message); presse du 23.1.98; 24 Heures, 18.2.98.9
[10] BO CN, 1998, p. 295 ss.; presse du 5.3.98.1
[11] BO CN, 1998, p. 636 ss., 694 s. et 966 ss.; BO CE, 1998, p. 340 ss., 428, 444 et 500 ss.11
[12] LT, 16.6.98.12
[13] BO CN, 1998, p. 1638 s.; BO CE, 1998, p. 840.13
[14] FF, 1999, p. 1477 ss.; presse du 19.11.98.14
[15] LT, 25.7.98.15
[16] Lib., 20.3.98.16
[17] Lib., 3.6.98.17