690 candidatures pour 100 places : voici la donnée principale de l’équation des élections au Grand Conseil du canton de Genève, qui se déroulaient en parallèle du premier tour de l'élection au Conseil d'Etat. Avec 67 candidatures de plus qu’en 2018 et 214 de plus qu’en 2013, on se bousculait au portillon pour accéder au législatif cantonal. Ces candidatures, parmi lesquelles 39% de femmes, se répartissaient entre 12 listes. Les listes Ensemble à Gauche – Liste d’Union populaire et Ensemble à Gauche – SolidaritéS DAL Parti du Travail étaient à majorité féminine, et celles des Vert-e-s, des Vert’libéraux et du PS comportaient entre 40 et 50% de femmes. Pour les listes de Libertés et justice sociale – un nouveau mouvement emmené par l’ancien ministre Pierre Maudet –, du Centre, du PLR, de Civis et de l’Elan radical, la part des femmes se situait entre 30 et 40%, alors qu’au MCG et à l’UDC, elle était en-dessous de 30%. Lors des précédentes élections en 2018, 32% de femmes avaient été élues. En outre, on recensait plus de candidatures à droite, du fait du nombre de mouvements politiques élevés de ce côté de l’échiquier politique. Pour de nombreuses formations, l’enjeu principal du scrutin consistait à franchir le quorum de 7% des suffrages, afin de garantir une représentation au Grand Conseil. La concurrence semblait particulièrement forte au centre-droit. Le Centre, les Vert’libéraux, mais aussi le MCG, Liberté et justice sociale ou encore les listes Elan radical et Civis, dont la tête d’affiche était l’ex-conseiller d’Etat Luc Barthassat, espéraient attirer les voix de cet électorat. Que tous s'accaparent une part du gâteau s’annonçait donc compliqué. Parmi ceux dont l’appétit était le plus grand, les Vert’libéraux visaient une progression significative, eux qui avaient récolté 1.6% des suffrages en 2018. Depuis, leur candidat aux élections fédérales Michel Matter a été élu au Conseil national en 2019, et le parti a bénéficié d’une large visibilité grâce à deux initiatives cantonales qu’il a lancées, la première traitant des rentes des conseillers d’Etat et la seconde du congé parental.
Parmi les partis qui pouvaient se targuer d’être assurés de franchir le quorum, on ne pouvait compter que le PLR – la formation la plus représentée au législatif avec 26 député.e.s –, le PS et les Vert-e-s. Ces derniers espéraient progresser au Grand Conseil, après avoir réalisé le meilleur score du canton lors des élections fédérales de 2019. Restait à savoir si une éventuelle progression se ferait au détriment du PS. A l’extrême-gauche, des tensions ont conduit à une scission au sein de SolidaritéS. La liste d’Union populaire (LUP) était en concurrence avec la liste traditionnelle de SolidaritéS-DAL-Parti du Travail. De l'avis de la LUP, cette scission découlait du « manque d’un espace collectif permettant aux classes populaires de dialoguer démocratiquement » au sein de la gauche radicale. Unies, les formations composant Ensemble à Gauche avaient à peine franchi le quorum en 2018, avec 7,8% des voix. En partant divisées, leurs chances de se maintenir semblaient donc maigres. En 2005 et 2009, l’extrême-gauche, faute d’union, avait déjà disparu du Grand Conseil. L’UDC n’était pas non plus complètement sereine : avec 7.3% en 2018, le parti avait de justesse passé « le cut », tandis que l’un de ses concurrents principaux, le MCG, avait récolté 9.4% des suffrages.
Au vu de cette situation tendue pour plusieurs partis, la question de l’abaissement du quorum est revenue sur le tapis. Pour le politologue de l’Université de Genève Pascal Sciarini, un quorum plus bas serait certes une manière de rendre le système plus démocratique, mais comporterait un risque en termes de gouvernabilité, avec un émiettement des partis : « plus il y a de partis, plus il est difficile de former des alliances stables et durables» a-t-il confié au journal Le Temps. A l’heure actuelle, Genève est déjà l’un des cantons dont le système politique est le plus fragmenté. Pour le président du Grand Conseil jusqu’à la fin de la législature, Jean-Luc Forni (centre), « le fourmillement des petits partis qui ne parviennent pas à faire alliance entre eux ne va pas améliorer la polarisation gauche-droite », entraînant ainsi des risques de blocages sur la durée, comme le Grand Conseil genevois en a déjà connu durant la législature écoulée.
Dans la constellation politique genevoise, unique en Suisse à bien des égards, la liste Libertés et justice sociale était une toute nouvelle formation à entrer dans la danse. Construite par et autour de l’ex-conseiller d’Etat Pierre Maudet, exclu du PLR suite à ses démêlés avec la justice, le mouvement avait pour objectif de « redynamiser Genève en proposant 24 projets, réalisables en une législature et susceptibles de rassembler à gauche comme à droite ». Ses 29 candidat.e.s ont souhaité mener une campagne de terrain, qui a parfois été qualifiée de populiste par ses opposant.e.s. Selon Le Temps, cette liste avait du potentiel pour attirer les « déçus du système », en concurrence frontale avec le MCG. Face à ce nouvel adversaire, l’enjeu pour le mouvement citoyen genevois était tout simplement la survie du parti, en perte de vitesse depuis plusieurs années. Pour maintenir sa représentation, le MCG a misé sur sa traditionnelle rhétorique anti-frontalière durant la campagne, et sur son ministre sortant Mauro Poggia pour tirer la liste.
Durant la campagne, la Tribune de Genève a établi, grâce à un sondage, les thèmes les plus importants selon les genevoises et genevois. Parmi les trois thèmes les plus cités figuraient premièrement le pouvoir d’achat et le coût de la vie. En effet, le logement pèse particulièrement lourd dans le budget de nombreuses familles genevoises. C’est un problème de longue date, avec une offre qui ne répond pas à la demande et pousse de nombreuses familles à déménager en France voisine dans l’espoir de trouver une solution plus abordable. Aussi, avec l’inflation qui touche la Suisse depuis 2022, il est devenu de plus en plus compliqué de boucler les fins de mois non seulement pour les personnes avec des revenus moindres, mais aussi pour la classe moyenne. Deuxièmement, la question de l'aménagement du territoire a figuré en tête de classement, sachant que Genève a le deuxième taux de logement disponibles le plus bas de Suisse, après Zoug. Troisièmement, la mobilité, une problématique de longue date au bout du lac, a préoccupé les citoyen.ne.s. Entre voitures, piétons, bus et vélos, la ville de Genève est congestionnée et vit au rythme des bouchons. Aux yeux de nombreux acteurs, une réduction du trafic motorisé est indispensable. La mobilité individuelle a notamment été visée lors des débats. Au cours de la campagne, chaque liste a apporté ses recettes pour résoudre ces défis.
Malgré de nombreux palabres, les tentatives d’alliance à droite en vue de l'élection sont restées lettre morte, seul un apparentement entre UDC et MCG ayant vu le jour. L’UDC appelait pourtant à un large accord liant le PLR, le Centre et les Vert’libéraux. Si ces partis partageaient les mêmes positions sur le thème de la fiscalité par exemple, leurs positions divergeaient à de nombreux égards, preuve en est ce qui touche à la fonction publique. Dans ce domaine, le MCG a tendance à voter avec la gauche, loin de l’UDC qui s’y oppose totalement. En raison de ces divergences idéologiques, une vaste alliance n'était pas possible, aux yeux du Centre notamment.
Lors de l'élection, la participation s'est élevée à 37.1%. La droite est sortie gagnante du scrutin. Le PLR est resté le premier parti du canton, malgré un recul assez prononcé (19.0%, -6.2 points de pourcentage). Il a conservé 22 sièges (-6 par rapport à la législature précédente). Ce sont surtout le MCG et l'UDC qui ont progressé, au-delà des meilleurs scénarios envisagés. Avec 11.7% des voix (+2.3pp), le MCG a récupéré 14 sièges (+3), alors que l'UDC a engrangé 10.7% des suffrages (+3.4pp), pour 12 sièges (+4). En outre, la liste Libertés et justice sociale a réalisé une entrée fracassante sur la scène politique, en franchissant facilement le quorum, avec 8.4% des voix et 10 sièges. Ce résultat est dû, selon la Tribune de Genève, au « sens politique hors du commun » de Pierre Maudet qui a, en parallèle, réussi à revenir au Conseil d'Etat. Déception en revanche pour le Centre, dernier parti à franchir le quorum avec 7.9% (-2.8pp), et 9 sièges (-3). La presse a ainsi relevé la dégringolade de l'Entente genevoise, l'alliance historique entre PLR et centristes, partie désunie pour la première fois depuis des décennies. Cette « sanction des partis classiques » a profité au bloc populiste composé de l'UDC, du MCG et de LJS selon la Tribune. Ce bloc disposera ainsi de 37 sièges au parlement pour la législature. Rien ne dit cependant que ces formations accorderont leurs violons. Plusieurs clés de lecture sont possibles, notamment sur la position de Libertés et justice sociale, qui pourrait jouer un rôle de pivot. Néanmoins, une chose est sûre : la gauche a été la grande perdante de cette élection. Certes, le PS (14.6%, -0.7pp, 18 sièges (+1)) et les Vert-e-s (12.9%, -0.2pp, 15 sièges (même nombre qu'en 2018)) se sont maintenus, mais les écologistes n'ont pas confirmé leur score des élections fédérales de 2019. Surtout, les divisions de la gauche radicale lui ont sans surprise coûté sa place au Grand Conseil et ont favorisé le virage à droite du législatif. En effet, la liste EàG – SOL DAL PDT a récolté 3.5% des voix et celle d'EàG – LUP 3.1%. Ainsi, le camp rose-vert ne compte plus que 32 strapontins, moins du tiers des voix. Il sera donc fortement amoindri pour la législature à venir, et ne pourra plus compter sur le MCG pour former une majorité sur les thèmes de défense de la fonction publique et des prestations de l'Etat, comme ce fût le cas lors de la législature précédente. Enfin, plusieurs formations n'ont pas franchi le quorum. La déception est grande du côté des Vert'libéraux, qui ne sont pas passés loin avec 6.6% des voix (+5.0pp). Pour Marie-Claude Sawerschel, présidente de la section cantonale du parti, « les listes se sont cannibalisées entre elles au centre ». Les listes Civis et Elan radical ont quant à elles récolté respectivement 1.1% et 0.3% des voix. Au final, 31 femmes ont été élues.