Année politique Suisse 1987 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
 
Energie nucléaire
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Scénarios énergétiques
Intimement lié à l'existence ou non d'une politique énergétique nationale, le groupe d'experts, nommé par le Conseil fédéral et chargé des scénarios énergétiques, a connu bien des vicissitudes. Effectivement, peu avant la fin de ses travaux, une indiscrétion a permis à la presse de mentionner les résultats des investigations de la commission alors que ceux-ci étaient encore sous embargo. C'est ainsi que le public a su que les éventualités proposées du scénario de référence, du moratoire et de l'abandon du nucléaire étaient toutes envisageables, même la dernière citée.
Par ailleurs, la démission de trois de ses membres a entaché sa crédibilité ainsi que . celle de son rapport final. Cette atmosphère tendue a été renforcée par les arguments invoqués par les démissionnaires, jugés proches des défenseurs du nucléaire. Deux experts ont récusé les méthodes de travail du groupe et qualifié son rapport final de non scientifique. L'économiste saint-gallois Hans-Georg Graf, tout en acceptant la thèse de la non scientificité, a estimé que les conséquences économiques d'un abandon du nucléaire n'avaient pas été suffisamment étudiées. La commission ne pouvant défendre ses positions, suite à l'embargo pesant sur ses conclusions, le doute quant à la véracité des accusations portées sur son travail a jeté une certaine suspicion sur ses conclusions [15].
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Initiatives antiatomiques
Une concrétisation de Tchernobyl réside dans l'aboutissement des deux initiatives antiatomiques. La première, initiée par les organisations antinucléaires du nord-ouest de la Suisse et intitulée "Halte à la construction de centrales nucléaires", a été déposée en avril. Elle est soutenue par plus de 200 organisations et un certain nombre de partis parmi lesquels le Parti écologiste, l'Alliance des indépendants, des sections cantonales du Parti socialiste. Son unique revendication consiste en l'interdiction de la construction ou de l'exploitation de toute nouvelle centrale pendant dix ans. Un tel moratoire susciterait un délai de réflexion dans la politique énergétique suisse et, indirectement, empêcherait la réalisation de la centrale de Kaiseraugst.
En octobre a abouti l'initiative "Pour l'abandon de l'énergie nucléaire", lancée par le Parti socialiste suisse. Elle est soutenue par quelques 36 partis et groupes dont l'Alliance des indépendants, les organisations progressistes (POCH), le Parti écologiste, le WWF et l'USS. Elle est articulée autour de trois axes: une renonciation à toute nouvelle centrale, une fermeture aussi rapide que possible de celles en activité et un approvisionnement énergétique par le biais d'économies [16].
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Indemnisations des dommages dus à Tchernobyl
En juin, le Conseil fédéral a soumis aux chambres un projet d'arrêté accompagné d'un message relatif aux indemnisations des dommages dus à la catastrophe de Tchernobyl. Ses propositions ainsi que les décisions des chambres dans ce domaine sont traitées dans un autre chapitre de la chronique [17].
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Accords de'coopération nucléaire
Les centrales nucléaires suisses consommant 500 tonnes d'uranium par an et ayant fourni, en 1987, 37% de la production électrique totale, doivent poursuivre leur politique d'approvisionnement [18]. A ce titre, le Conseil des Etats a approuvé en décembre, par 35 voix contre 4, les accords de coopération nucléaire avec l'Australie et la Chine, malgré l'opposition des socialistes s'exprimant en tant qu'adversaire du nucléaire [19]. La convention avec l'Australie donnerait accès à ses gisements d'uranium et permettrait ainsi une diversification de nos sources d'approvisonnement, la Suisse dépendant actuellement presque exclusivement des Etats-Unis. Celle avec la Chine serait une base de départ pour la recherche d'une solution au problème posé par le traitement et le stockage des déchets radioactifs puisqu'il y aurait possibilité de les entreposer dans le désert de Gobi (Chine). La clause principale, commune aux deux textes, se base sur les principes du traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et stipule que les matériaux exportés ne pourront être utilisés à des fins autres que pacifiques [20].
Le Conseil fédéral a également signé un accord avec le Canada – portant sur l'importation d'uranium – mettant fin à dix ans d'embargo, la Suisse ayant refusé de se soumettre aux garanties contre le risque de prolifération exigées par ce pays. La norme d'utilisation pacifique des biens échangés figure également dans cet accord, qui doit encore être ratifié par les chambres [21].
La catastrophe de Tchernobyl a également donné une impulsion à la volonté d'unification du droit international en matière d'énergie nucléaire. Dans cette optique, la chambre haute a approuvé , sans opposition, deux arrêtés fédéraux relatifs aux conventions sur la notification rapide d'un accident nucléaire et sur l'assistance en cas d'accident nucléaire ou de situations d'urgence radiologique. La première a pour but d'assurer une alarme et une information promptes en cas d'accident atomique. La seconde, sans instaurer d'obligation, fixe le cadre juridique d'une opération internationale de secours [22].
Les Chambres ont également ratifié un accord avec la République fédérale d'Allemagne concernant la responsabilité civile en matière nucléaire. Il permet une uniformisation du règlement des sinistres en cas d'accident imputable à une installation nucléaire et instaure le principe de l'égalité de traitement dans les deux Etats [23].
Par ailleurs, le Conseil des Etats a adopté une motion émanant du groupe socialiste de la chambre basse demandant que les centrales en activité, afin d'assurer une protection optimale de la population, soient dotées des dipositifs de sécurité les plus modernes [24]. Il a aussi classé trois initiatives venant des cantons d'Argovie, de Bâle-Ville et Bâle-Campagne – datant des années 70 – qui exigeaient une conception générale du nucléaire [25].
Le Conseil fédéral, suivant en cela le postulat Binder (pdc, AG) ainsi que les résultats favorables de la procédure de consultation, a décidé la fusion de l'Institut suisse de recherches nucléaires (SIN), situé à Villigen (AG), et de l'Institut fédéral de recherches en matière de réacteurs (IFR), sis à Würenlingen (AG), en un nouvel établissement de recherche, l'Institut Paul Scherrer, qui sera principalement orienté vers les sciences naturelles et de l'ingénieur [26].
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Lois sur l'énergie nucléaire
La nécessité de réviser totalement le droit en matière d'énergie nucléaire apparaît actuellement évidente. Dans ce domaine, deux avant-projets de loi ont été soumis à consultation en 1987: l'un concerne la loi en matière d'énergie nucléaire, l'autre celle sur la radioprotection.
L'avant-projet de loi sur l'énergie nucléaire, destiné à remplacer les dispositions de 1959, a permis de retrouver le désormais traditionnel clivage entre partisans et adversaires du nucléaire. Les premiers exigent un encouragement de l'énergie atomique, les seconds sont en faveur d'un accroissement des difficultés dans les conditions d'octroi des autorisations de construire comme, par exemple, la subordination de ladite autorisation au référendum facultatif. Cette proposition émane de la commission de l'énergie du Conseil national. Mais le député Schmidhalter (pdc, VS) va plus loin puisqu'il a déposé une motion demandant que ce référendum facultatif soit assorti d'un effet rétroactif. La centrale de Kaiseraugst serait ainsi directement menacée et ce d'autant plus que le groupe AdI/PEP a proposé une motion visant à l'annulation de son autorisation générale.
Deux points sont principalement controversés dans cet avant-projet. Le premier réside dans la présence ou l'absence d'une clause du besoin, demandant que les autorisations en matière d'installations nucléaires soient subordonnées à la preuve de la nécessité réelle de ce surplus de production. Quelques cantons, la CEDRA, le parti libéral suisse estiment qu'une telle preuve est inutile et ne ferait que provoquer de trop nombreux débats de fond sur la politique énergétique. La majorité des cantons approuve néanmoins cette disposition mais certains d'entre eux ainsi que les POCH et l'UDC la trouvent trop imprécise. La seconde polémique se situe autour de la procédure d'autorisation générale de construction d'une centrale. Pour les uns, dont la CEDRA et le PLS, il devrait y avoir décision unique de l'exécutif tandis que pour les autres le référendum facultatif devrait être possible. Par ailleurs, quelques voix, lors de la consultation, ont douté de l'opportunité d'une telle législation à l'heure actuelle [27].
Les prises de position concernant l'avant-projet de loi sur la radioprotection parcourent un large spectre puisqu'elles vont de l'accord sans réserve au refus de principe. Cependant, il y a acquiescement général sur la nécessité de dissocier le domaine de la protection contre les radiations de celui de l'énergie nucléaire en faisant de ces deux objets deux lois. Parallèlement, le gouvernement a édicté une ordonnance sur l'organisation d'intervention en cas d'augmentation de la radioactivité (OROIR), basée notamment sur l'ancienne loi fédérale de 1959 sur l'utilisation pacifique de l'énergie atomique et la protection contre les radiations. Née des problèmes connus par le système d'information helvétique lors de la catastrophe de Tchernobyl, elle tend à préciser les tâches et compétences dans le domaine de l'alarme, de l'appréciation de la situation, de la prise des décisions, mesures et règlements lors d'un accident nucléaire. De plus, elle contient les valeurs limites, le gouvernement ayant décidé de ne pas surcharger la loi-cadre [28].
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CEDRA
1987 devait être l'année de la prise de position du Conseil fédéral quant au projet «Garantie 85» de la CEDRA, celui-ci devant produire la démonstration d'une élimination sûre des déchets radioactifs. L'enjeu est d'importance puisque l'avenir des centrales nucléaires est étroitement lié aux problèmes posés par leurs déchets. La réponse du gouvernement était attendue pour le milieu de l'année puis fut différée à fin 1987. L'exécutif a finalement ajourné sa décision au printemps 1988, désireux qu'il était de prendre, auparavant, connaissance du rapport concernant les scénarios énergétiques [29].
Dans le cadre de la poursuite de ses recherches quant aux lieux de stockage des déchets faiblement et moyennement radioactifs, la CEDRA a pris en considération le site du Wellenberg, situé sur la commune de Wolfenschiessen dans le canton de Nidwald. En réaction à l'opinion favorable de l'exécutif cantonal, une initiative a été lancée par le comité pour la participation des citoyens de Nidwald aux décisions en matière d'énergie atomique (MNA). Elle demandait un droit de participation et de décision populaire dans les prises de décision gouvernementales en matière de nucléaire. En avril, au cours de la Landsgemeinde, le souverain a approuvé, contrairement au parlement cantonal qui voulait que ce droit lui soit attribué, cette initiative [30].
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Politique cantonale
Une autre contestation cantonale en matière d'énergie nucléaire provient de Soleure où le peuple avait à se prononcer sur l'initiative souhaitant que le canton intervienne au niveau fédéral (initiative du canton) afin d'exiger l'arrêt de la centrale de Gösgen, par le biais du retrait de l'autorisation générale fédérale. Le souverain a suivi ses autorités et a refusé ce texte [31].
Enfin, le Conseil fédéral a proposé d'accorder la garantie au nouvel article constitutionnel genevois faisant obligation aux autorités cantonales de s'opposer à la construction d'installations nucléaires, assortie néanmoins d'une réserve sauvegardant le droit fédéral [32].
 
[15] LNN, 21.1. et 25.4.87; JdG, 16.1.88; TA, 20.1.88.
[16] FF, 1987, II, p. 1401 et 1988, I, p. 91 ss.; Lib., 22.4. et 2.10.87; La Suisse, 24.4.87; presse du 24.4.87. Cf. aussi APS, 1986, p. 111 s.
[17] FF, 1987, II, p. 1409 ss. Cf. supra, part. I, 4c (Einkommenssicherung).
[18] LM, 12.2.88.
[19] BO CE, 1987, p. 646 ss.
[20] FF, 1987, II, p. 1293 ss.; presse du 21.5.87; La Suisse, 23.12.87.
[21] 24 Heures, 23.12.87.
[22] FF, 1987, III, p. 105 ss.; BO CE, 1987, p. 607 ss.
[23] BO CE, 1987, p. 106 ss.; BO CN, 1987, p. 958 ss.
[24] BO CE, 1987, p. 110 ss.
[25] BO CE, 1987, p. 108 s.
[26] BO CE, 1987, p. 502 ss.
[27] Avant-projet: NZZ, 16.6. et 15.12.87; motions: Délib. Ass. féd., 1987, I, p. 112 (Schmidhalter) et III, p. 37 (AdI/PEP); prises de position: NZZ, 16.6.et 15.12.87.
[28] Ordonnance: RO, 1987, p. 652 ss.; NZZ, 16.6. et 15.12.87.
[29] Cf. aussi APS, 1986, p. 113 s.; NZZ, 15.12.87.
[30] 24 Heures, 15.1.87; NZZ, 27.4.87; TA, 27.4.87; Vat., 15.1., 21.1., 5.2., 3.10. et 24.11.87. Cf. aussi APS, 1986, p. 113.
[31] SZ, 17.2., 14.9. et 29.10.87; Bund, 25.2.87; BaZ, 3.12.87; NZZ, 4.12.87; 24 Heures, 12.12.87.
[32] FF, 1988, I, p. 221 ss.