Accord sur la libre circulation avec l'UE - Reconduction et extension à la Bulgarie et à la Roumanie

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Au mois de mars, le Conseil fédéral a présenté son message concernant la reconduction de l’accord entre la Suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres sur la libre circulation des personnes, ainsi qu’approbation et mise en œuvre du protocole visant à étendre l’accord sur la libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie.

Lors de son examen par les chambres, les débats se sont presque exclusivement concentrés sur la question, plutôt technique, de savoir si la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes (projet 1), d’une part, et son extension à la Roumanie et à la Bulgarie (projet 2), d’autre part, constituaient deux questions indépendantes l’une de l’autre ou un seul et même sujet. Au Conseil des Etats, le contenu du projet n’a pas été contesté. Estimant que les deux arrêtés relevaient d’une seule et même question, la majorité de la commission s’est prononcée, contrairement à la proposition du Conseil fédéral, en faveur d'un seul arrêté fédéral (c’est-à-dire intégrer l’arrêté fédéral concernant l'extension de l'accord sur la libre circulation des personnes à la Bulgarie et à la Roumanie à l’arrêté fédéral concernant la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes). En rapport avec les tensions entre la Suisse et l’UE sur la question de la fiscalité cantonale, une minorité Reimann (udc, AG) a proposé de n’entrer en matière que sur la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes et de renvoyer au Conseil fédéral le projet portant sur son extension à la Bulgarie et à la Roumanie, avec mandat d'en suspendre l'examen jusqu'à ce que l'UE établisse une déclaration à caractère obligatoire aux termes de laquelle elle ne mettra plus en cause le système fiscal suisse. Le rapporteur de la commission, Dick Marty (prd, TI), a déclaré que faire cela reviendrait à tromper les citoyens en leur faisant croire qu’ils ont le choix d’accepter la reconduction de la libre circulation et de rejeter son extension. Selon le député tessinois, une libre circulation à la carte n’existe tout simplement pas. D’autres orateurs se sont également opposés à une séparation des deux objets, estimant que cela reviendrait à proposer au peuple un vote factice. Urs Schwaller (pdc, FR) a notamment déclaré que la libre circulation des personnes devait être considérée comme un dossier unique, sous peine de violer le principe de non-discrimination entre les Etats de l’UE. Déclarant qu’il serait antidémocratique de ne pas permettre au peuple de se prononcer séparément sur chacun des deux objets, Maximilian Reimann (udc, AG) a justifié son rejet de la solution consistant à lier les deux objets. Réunies lors de ce débat, les deux conseillères fédérales Eveline Widmer-Schlumpf et Micheline Calmy-Rey ont expliqué que le Conseil fédéral avait voulu souligner le rapport entre la reconduction et l’extension de la libre circulation en présentant un seul message pour les deux arrêtés fédéraux. Elles ont averti qu’un refus de la reconduction pour une durée indéterminée aurait pour effet, après six mois, l’application automatique de la « clause guillotine », qui entraînerait la dénonciation des six autres accords bilatéraux avec l’UE. Elles ont également ajouté que même si un non à l’extension de la libre circulation à la Bulgarie et à la Roumanie n’aurait pas de conséquences automatiques, il est plus que probable que l’UE n’accepterait pas que la Suisse discrimine deux de ses membres, et la Suisse devrait affronter de pénibles négociations avec l’UE. Le plénum a finalement suivi la proposition de la majorité de la commission et a lié les deux projets. Au vote sur l’ensemble, l’arrêté fédéral a été adopté par 34 voix contre 3.

Au Conseil national, une minorité de la commission, emmenée par Luzi Stamm (udc, AG) et soutenue par des membres du groupe UDC, a proposé de ne pas entrer en matière. En ce qui concerne la fusion des deux arrêtés fédéraux, la majorité de la commission, soutenue par les groupes UDC et radical-libéral, a proposé de suivre le Conseil fédéral et de voter sur deux arrêtés fédéraux séparés, alors qu’une minorité Mario Fehr (ps, ZH), soutenue par le groupe socialiste et par une grande majorité des Verts et du groupe démocrate-chrétien, a proposé de suivre la décision de la chambre haute. Rappelant les problèmes que connaît l’Italie avec les Roms émigrés illégalement de Roumanie et les risques d’une autre extension à d’éventuels nouveaux membres de l’UE comme la Turquie, la Serbie ou le Kosovo, Luzi Stamm (udc, AG) a défendu sa proposition de non-entrée en matière. Lui reprochant des propos purement démagogiques dans la mesure où la libre circulation des personnes ne s’appliquait pas aux immigrants illégaux, Kathy Riklin (pdc, ZH) s’est opposée aux arguments avancés par le député argovien. Le plénum a finalement décidé d’entrer en matière sur le projet par 138 voix contre 53 (UDC uniquement), rejetant d’ailleurs cinq propositions de renvoi de minorités issues du groupe UDC. Ces dernières souhaitaient poser plusieurs conditions au projet : que l’UE garantisse le respect de la souveraineté fiscale de la Suisse ; que l’UE négocie une clause de sauvegarde pour ces deux pays ; que le projet soit lié au paiement de la contribution versée au titre de la cohésion pour la Roumanie et la Bulgarie ; que le Conseil fédéral présente un rapport sur les conséquences d'une extension de l'accord à d’éventuels nouveaux membres de l'UE ; que le Conseil fédéral négocie une réglementation plus efficace concernant la réadmission des ressortissants bulgares et roumains frappés d’une décision de renvoi. Lors de la discussion par articles, les députés ont décidé, par 101 voix contre 82 et contrairement au Conseil des Etats, de suivre la majorité de la commission et de ne pas intégrer l’arrêté fédéral concernant l’extension à celui concernant la reconduction de la libre circulation. Ils ont également adopté, par 105 voix contre 70, une proposition du président de l’USS Paul Rechsteiner (ps, SG) qui demandait au Conseil fédéral de soumettre, sept ans après la reconduction de l’accord sur la libre circulation, un rapport sur les effets de cet accord et un arrêté fédéral, sujet au référendum, sur la reconduction ou la dénonciation dudit accord. Les propositions du groupe UDC visant à soumettre les arrêtés fédéraux correspondants au référendum obligatoire, ont toutefois été rejetées. Au vote sur l’ensemble, les deux arrêtés fédéraux ont été adoptés par 175 voix contre 10 (projet 1) et par 134 voix contre 45 (projet 2).

Au Conseil des Etats, lors de la procédure d’élimination des divergences, la majorité de la commission a proposé de maintenir sa décision de présenter un seul et unique projet. Face à elle, une minorité Briner (prd, SH) a proposé de suivre la décision du Conseil national et de présenter deux projets distincts. Le conseil a finalement décidé, par 27 voix contre 16, de maintenir sa décision. Il a maintenu également l’autre divergence d’avec le Conseil national en rejetant sans en débattre la proposition Rechsteiner.

Au Conseil national, la majorité de la commission a également proposé de maintenir sa décision de la première lecture (projet en deux parties distinctes). Face à elle, une minorité emmenée par Kathy Riklin (pdc, ZH) a proposé de se rallier à la décision du Conseil des Etats. Le plénum a toutefois suivi la proposition de la majorité par 106 voix contre 86. Par 124 voix contre 61, il a également maintenu la proposition Rechsteiner.

En troisième et dernière lecture, les deux conseils ont campé sur leur positions respectives, tant sur la question de la fusion des deux projets (le Conseil des Etats par 25 voix contre 16 et le Conseil national par 101 voix contre 86) que sur celle du référendum après sept ans (tacitement et par 116 voix contre 66, respectivement).

La conférence de conciliation a proposé de suivre le Conseil des Etats et de ne proposer qu’un seul projet. Au niveau la deuxième divergence, la conférence a également retenu pour l’essentiel la décision de la chambre haute : elle a proposé de biffer la possibilité d’organiser une votation sur la reconduction de la libre circulation au bout de sept ans, mais de charger le gouvernement de présenter, au plus tard avant le prochain élargissement de l'UE, un rapport sur les effets de la reconduction des accords bilatéraux et, au besoin, une série de propositions visant à améliorer les mesures d'accompagnement contre la sous-enchère salariale et sociale. Ces propositions ont été adoptées par 32 voix contre 6 par le Conseil des Etats et par 119 voix contre 58 par le Conseil national. Au vote final, le projet a été adopté par 35 voix contre 2 au Conseil des Etats et par 143 voix contre 40 au Conseil national, les deux tiers environ de l’UDC s’y opposant.

La menace de référendum qui planait sur cet accord depuis le début de l’année s’est finalement concrétisée. Les syndicats, qui craignaient un afflux de travailleurs étrangers et demandaient des mesures d’accompagnement supplémentaires, n’ont toutefois pas mis leur menace à exécution, ceux-ci ayant obtenu certaines garanties. La surprise est venue de l’UDC : après de longues tergiversations, les démocrates du centre ont renoncé au référendum, sous l’impulsion de l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher. Une ligne de fracture a alors pu être observée au sein du parti entre représentants d’une ligne « économique », favorables à l’accord, et représentants de la ligne « nationaliste », viscéralement opposés à l’ouverture à l’UE. Lancé par les Démocrates suisses, le référendum a néanmoins reçu le soutien des Jeunes UDC – bravant l’autorité de la direction du parti – et la Lega. Sur les 51'941 signatures déposées (dont 51'348 finalement valables) début octobre, cette dernière en a récolté plus de 14'000.

Au mois de février, le peuple a approuvé par 59,6% des voix la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes Suisse-UE et sur son extension aux nouveaux membres de l’UE, la Bulgarie et la Roumanie. La participation a été supérieure à la moyenne avec un taux de 51%, comme c’est habituellement le cas lors de votations sur la politique étrangère. Pour l’essentiel, l’accord sur la libre circulation permet aux travailleurs de l’espace Schengen de pouvoir chercher et accepter sans restriction un emploi dans les autres Etats. Il a été approuvé par le peuple en 2000 et était valable jusqu’à l’année sous revue. En 2008, le parlement a adopté un arrêté comportant l’extension aux nouveaux membres (Roumanie et Bulgarie) et la reconduction définitive de l’accord sur la libre circulation. Le référendum a été lancé par la Lega dei Ticinesi et les Démocrates suisses. Ces derniers ont été rejoints pendant la campagne par les jeunes UDC, puis par l’UDC.

La campagne a été très intense mais très courte (huit semaines), de multiples comités et sous-comités autonomes se sont créés et de nombreuses personnalités se sont fortement engagées, tel Joseph Deiss qui est sorti de la retenue traditionnelle des anciens conseillers fédéraux et a adhéré au camp du oui. Seuls les DS, la Lega, l’UDC, l’UDF, le PdT et l’ASIN ont recommandé de rejeter cet accord. Tous les autres partis, les associations patronales et les syndicats ont recommandé son approbation. Plus particulièrement, la campagne a vu l’UDC se déchirer entre les représentants de l’économie et la majorité de ses délégués. Plus du tiers du groupe parlementaire s’est ainsi opposé à la direction du parti qui prônait le refus de l’accord et de multiples initiatives contradictoires sont sorties de ses rangs. Le président de l’Union suisse des paysans Hansjörg Walter (udc, TG) et l’entrepreneur Peter Spuhler (udc, TG) ont fortement milité pour le oui. Après s’être opposé au référendum, Christoph Blocher, vice-président de l’UDC, a créé son propre comité des arts et des métiers pour faire campagne contre l’accord et pour tenter de court-circuiter les milieux économiques. La campagne a été particulièrement virulente avec l’attaque frontale de Micheline Calmy-Rey par l’ASIN, l’exercice de pressions sur la section cantonale thurgovienne de l’UDC et d’une campagne de désinformation sur internet. Parallèlement, l’ambassadeur de l’UE à Berne a déclaré que les 27 ne pouvaient pas présenter de meilleure variante d’accord en cas de refus de la population suisse, et des fonctionnaires européens ont prédit des conséquences négatives pour la Suisse en cas de rejet.

La grande partie des opposants a estimé que l’accord aurait pour conséquences un pillage des institutions sociales par les immigrants sans travail profitant d’un système social attractif, une aggravation de la criminalité étrangère par une immigration massive et une augmentation du chômage. Certains d’entre eux ont également considéré que la votation était antidémocratique car elle ne permettait pas de se prononcer sur les deux volets de l’arrêté fédéral de manière distincte. Ils affirmaient encore qu’un rejet de l’accord n’entraînerait pas l’activation automatique de la clause guillotine (dénonciation de l’ensemble des accords des bilatérales I si l’un des accords est dénoncé), que le parlement pouvait reconduire l’accord sur la libre circulation tout en excluant son extension et que le Conseil fédéral avait la possibilité de relancer des négociations avec l’UE ce concernant. Ainsi, ils s’opposaient essentiellement à l’extension à la Roumanie et à la Bulgarie et non pas à la reconduction de l’accord en soi. D’autres opposants issus des milieux de gauche ont jugés que l’accord entraînerait un effet de dumping salarial malgré les mesures d’accompagnement. Ils ont effectivement considéré la libre circulation comme synonyme de libre exploitation des personnes au vu des restrictions à l’application des conventions collectives émises par la Cour européenne de justice. Un comité ouvrier, essentiellement romand, a ainsi été créé pour recommander le non. Certains pro-européens s’opposaient finalement à la continuation de la voie bilatérale afin de pousser à une vraie adhésion.

Les partisans ont eux estimé qu’un refus de cet accord entraînerait la dénonciation des accords bilatéraux avec l’UE en raison de l’automaticité de l’application de la clause guillotine. Ils ont jugé que l’abrogation des bilatérales I créerait une incertitude présentant un danger pour les salaires et les places de travail, l’UE étant le plus grand partenaire commercial de la Suisse, et mettrait ainsi le pays en position de faiblesse pour de nouvelles négociations, les nouveaux arrivants dans l’UE n’étant pas aussi bien disposés envers la Confédération que ne l’était le noyau originel. Les partisans se sont présentés en ordre dispersé. Plus particulièrement, les milieux économiques ont insisté sur les avantages dont la Suisse avait bénéficié avec la libéralisation du marché du travail et l’accès privilégié aux marchés européens, ainsi que sur les dangers d’une abrogation des bilatérales I pour l’économie d’exportation. Les milieux de gauche ont considéré que les accords bilatéraux avaient permis la mise en place de mesures d’accompagnement qui protégeaient efficacement les travailleurs en étendant les mesures de contrôle et l’application des conventions collectives nationales de travail (CCNT).

Le 8 février, le peuple a aisément accepté par près de 60% des voix la reconduction et l’extension de la libre circulation. Tous les cantons l’ont accepté sauf le Tessin, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Intérieures et Glaris. D’autre part, l’acceptation a été plus forte en Suisse romande et dans les villes.


Votation du 8 février 2009

Participation : 51%
Oui : 1 517 132 (59,6%)
Non : 1 027 899 (40,4%)

Mots d’ordre :
– Oui : PS, PLR, PDC, PE, PEL, PEV (2*), PBD, PCS ; Economiesuisse, USP, USAM, USS, UCAPS, UPS.
– Non : UDC (1*), PdT, DS, Lega, UDF, PDL ; ASIN.
* Recommandation différente des partis cantonaux.

L’analyse VOX a montré que la confiance placée dans le Conseil fédéral a été l’élément le plus important dans le choix des votants. Les personnes qui lui faisaient confiance ont approuvé l’accord à 83%, alors que celles qui s’en méfiaient l’ont accepté à 25%. Les sympathies partisanes ont également joué un rôle important. Les sympathisants du PDC, du PLR et du PS ont ainsi suivi les recommandations de leur parti respectivement par 75%, 77% et 80% des voix. Ceux de l’UDC ont fait de même à 94%, rejetant massivement l’accord. Finalement les personnes non alignées sur un parti se sont exprimées en faveur de l’accord à 69%, soit presque 10% de plus que la moyenne nationale. Par ailleurs, l’appartenance gauche-droite a entraîné des répercussions moins fortes que les sympathies partisanes. Ainsi, l’approbation a été plus forte parmi les votants de gauche (91%) et d’extrême gauche (77%). Les votants se classant au centre ont approuvé l’accord par 64%, ceux s’estimant à droite l’ont fait à 46% et ceux de l’extrême droite à 21 %. La position par rapport aux étrangers a pesé également de manière importante sur la décision des électeurs. Les tenants d’une politique égalitaire à leur encontre ont soutenu massivement l’accord (83%), ceux qui donnaient une préférence nationale l’ont majoritairement rejeté (70%). Les caractéristiques sociales et économiques ont eu un faible impact sur l’issue de la votation. Toutefois, les catégories urbaines, matériellement aisées et issues de hautes écoles ont approuvé cet accord de manière plus nette. Finalement, la Suisse romande l’a approuvé à 66%, la Suisse alémanique à 59% et la Suisse italienne à 34%.