Affaire Alain Berset et Ringier

Sauvegarder en format PDF

Des révélations de Schweiz am Wochenende ont agité les sphères médiatique et politique au mois de janvier 2023. L'hebdomadaire appartenant au groupe CH Media a publié des documents dévoilant des échanges d'e-mails fréquents entre Peter Lauener, le chef de la communication d'Alain Berset, et Marc Walder, le CEO de Ringier, durant la pandémie de Covid-19. Grâce à des informations confidentielles transmises par Lauener, Blick, titre-phare du groupe Ringier, aurait pu annoncer en primeur des informations telles que la signature des contrats entre la Confédération et les fabricants de vaccin Pfizer et Moderna, ou l'assouplissement des restrictions sanitaires en mars 2021, et ce avant même que ces décisions aient été avalisées par le Conseil fédéral. L'existence d'un canal de communication entre l'un des collaborateurs les plus proches d'Alain Berset et le patron de l'un des groupes de presse les plus puissants du pays a déclenché des réactions outrées dans la presse helvétique. En particulier, le rôle du conseiller fédéral Berset dans cette affaire a été au centre des interrogations: était-il au courant de ces communications ? Niant cela, le fribourgeois a qualifié les fuites d'«illégales et assez scandaleuses». C’est dans le cadre de l’enquête sur l’affaire crypto, qui, en juin 2022, a coûté son poste à Peter Lauener pour violation du secret de fonction, que le procureur extraordinaire de la Confédération, Peter Marti a découvert les échanges d’e-mails entre Walder et Lauener. Relatant ces épisodes dignes d'un feuilleton d'espionnage, la Liberté a précisé qu'Alain Berset et Marc Walder avaient été entendus par le procureur extraordinaire en tant que personnes appelées à donner des renseignements.
Deux semaines après les révélations, le Conseil fédéral a souligné sa confiance en Alain Berset, à la suite d'une séance durant laquelle le fribourgeois s'est retiré de la salle pour laisser ses collègues discuter de l'affaire. Malgré cela, diverses critiques ont fusé dans la presse à l'encontre du ministre de la santé, y compris des appels à la démission soulignant qu'il ne s'agissait là que d'une affaire de plus impliquant Berset. La Weltwoche a notamment fait remarquer que les informations livrées par Blick sur les mesures envisagées, avant que le Conseil fédéral ne les ait validées, auraient permis à Alain Berset de mettre la pression sur le collège. En outre, le fait que les informations soient transmises au directeur général, et non à un.e journaliste, a été perçu comme d'autant plus problématique. Le rédacteur en chef de Blick Christian Dorer, à qui Marc Walder transmettait les informations, n'aurait pas été au courant que celles-ci provenaient immédiatement du cercle proche de Berset.
Cette affaire a remis sur le tapis la question de la crédibilité des médias. Pour Kurt W. Zimmermann, de la Weltwoche, ces révélations entretiennent les préjugés d'après lesquels les médias sont vénaux. «Ringier arbeitet wirklich hart daran, die Glaubwürdigkeit des Schweizer Journalismus zu ruinieren» a-t-il écrit, ajoutant qu'«avec son expérience, Berset n'a pas pu rater que des indiscrétions régulières issues de son département figuraient dans Blick». Par la suite, Blick a réagi en publiant un article pour clamer que personne n'influençait son contenu. En outre, il a été rappelé que des propos de Marc Walder avaient déjà fait les gros titres durant la campagne de la votation sur le paquet d'aide aux médias. Ce dernier avait déclaré vouloir soutenir la politique du gouvernement durant la pandémie à travers la couverture médiatique, des déclarations qui avaient fait bondir les opposant.e.s, craignant une trop grande proximité des médias avec les autorités. Ainsi, ces craintes ont pris une nouvelle ampleur à la lumière des dernières révélations.
D'autres articles de presse ont néanmoins pris le contre-pied des critiques. «Skandal oder Alltag ?» s'est demandé la NZZ, constatant que la proximité entre le monde politique et médiatique n'est pas nouvelle. Pour le Temps, les fuites sont «un mal plus que nécessaire», car elles constituent l'essence même du métier de journaliste et participent «au bon fonctionnement de la démocratie». En effet, les indiscrétions fournissent à la population des informations auxquelles elle n'aurait pas eu accès sans cela, car les autorités ne souhaitaient pas forcément les dévoiler. C'est ce qui permet de faire ressortir des dysfonctionnements, et participe donc à l'échange d'idées, argue le Temps. La possibilité de voir des informations fuiter dans la presse exerce ainsi une pression sur les autorités pour les pousser à la transparence. Le Temps précise cependant que le journaliste doit savoir faire la part des choses et discerner les intérêts de la personne à l'origine de la fuite. En effet, elle le ferait rarement par pur altruisme, poursuivant bien souvent un intérêt personnel. Dès lors, c'est au journaliste de juger s'il existe un intérêt public prépondérant à révéler l'information, tout en vérifiant sa véracité auprès d'autres sources et en donnant la parole aux acteurs concernés. Si les fuites sont donc une pratique courante, certains éléments détonnent dans le cas présent: il s'agissait premièrement d'une communication systématique, qui avait deuxièmement lieu avant que les décisions ne soient prises, et troisièmement, avec un patron de presse et non un journaliste. En se gardant de tirer des conclusions hâtives, une revue de presse permet néanmoins de constater que cette affaire a probablement causé un dégât d'image, à Alain Berset évidemment, mais aussi au secteur médiatique.

«L'éclat entre le Conseiller fédéral Alain Berset et le chef de Ringier, Marc Walder, est avec assurance la meilleure histoire médiatique de l'année» a écrit la Weltwoche en novembre 2023 au sujet des échanges d'informations entre le CEO de Ringier et Peter Lauener, chef de la communication d'Alain Berset durant la pandémie. Et pourtant, le rapport très attendu des CdG l'affirme: des zones d'ombre persistent en raison de «sources lacunaires» et, de ce fait, aucune lumière n'a pu être faite sur cette affaire, outre qu'Alain Berset savait que des échanges avec Peter Lauener existaient – mais qu’il ne connaissait pas la teneur de ces échanges. Le rapport affirme que le lien entre le Département fédéral de l'intérieur (DFI) et Ringier n'a pas pu être établi, mais se contredit en soulignant que Peter Lauener aurait fourni des documents confidentiels à Marc Walder, a rapporté Le Temps. Le quotidien romand, tout comme Alain Berset, ont questionné le manque d'investigations des CdG, demandant pourquoi les recherches ne se sont pas étendues à d'autres départements où des leaks d'informations confidentielles étaient aussi connus (DFF et DEFR). Le Temps demande aussi pourquoi les commissions n'ont pas analysé les mails privés d'Alain Berset. De plus, Marc Walder n'a pas répondu aux demandes des commissions. Ces dernières n'ayant pas de moyen de pression, il n'a pas été interrogé. Les commissions n'ont pas non plus interrogé d'autres médias responsables de leaks (Tamedia, radios, télévisions, médias sociaux), craignant la même réaction ou estimant que les démarches seraient trop complexes pour les médias en ligne.
De son côté, Alain Berset a affirmé ne pas avoir eu connaissance de transmissions de données confidentielles, bien qu'avoir été au courant des relations étroites entretenues entre Marc Walder et le DFI. Le Conseiller fédéral socialiste, affirme premièrement que des échanges fréquents avec le CEO de Ringier n'ont rien d'illégal, lui-même ayant fréquemment échangé avec ce dernier. En effet, Marc Walder était particulièrement intéressé à aider la coupole fédérale durant la pandémie. Il aurait notamment proposé de faire des tests pour la vaccination à grande échelle dans les grandes entreprises, ce qui a, par la suite, été adopté par le Conseil fédéral.
Alain Berset a aussi affirmé, dans une interview accordée au Tages Anzeiger, que ces leaks n'ont pas profité à son département. Les leaks seraient d'après le Conseiller fédéral un obstacle à un travail de qualité sous la coupole fédérale. Le Fribourgeois a aussi souligné que les fuites ont eu un impact important sur sa sécurité et celle de sa famille, renforçant le point qu'il n'avait pas d'intérêts à ce que des informations finissent dans les médias avant l'heure. Ce dernier point a été remis en doute par les CdG.
Le rapport a encouragé le Conseil fédéral à discuter de la gestion des leaks, afin qu'une telle situation puisse être prévenue dans le futur. Une liste de propositions a été soumise au Conseil fédéral. Ce dernier doit encore se prononcer sur celle-ci.

A la suite de la décision du Tribunal cantonal des mesures de contrainte à Berne, les Corona-Leaks ont refait sursauter les médias. Ainsi, l'ancien chef de la communication d'Alain Berset, Peter Lauener a été accusé d'avoir transmis des informations secrètes à Marc Walder, CEO de Ringier , par e-mails, durant la pandémie. C'est Peter Marti, en charge des investigations sur les indiscrétions de la Confédération jusqu'en mai 2023, qui avait mis le doigt sur ces échanges de courriels. Deux plaintes avaient été déposées contre lui, l'une venant de Peter Lauener pour «abus de pouvoir et autres délits» – classée – et l'autre de Walder pour avoir envoyé des lettres à un procureur fédéral extraordinaire concernant l'affaire, après la fin de son mandat – le tribunal n'est pas entré en matière. En mars, l'affaire était au point mort, car le Tribunal cantonal des mesures de contrainte à Berne devait définir si les e-mails pouvaient faire état de preuves dans l'affaire des Corona-Leaks. Le tribunal a rendu sa décision à la fin mai 2024. Dans son rapport, elle note que, bien que des informations en ce temps confidentielles ont été transmises par Peter Lauener à Marc Walder par e-mails, les courriels ne peuvent pas être acceptés comme preuve de culpabilité devant la justice. En effet, comme Marc Walder travaille pour le milieu journalistique – bien qu'il ne produise pas de contenu journalistique en tant que CEO de Ringier –, la protection des sources journalistiques et le secret rédactionnel s'appliquent, les mettant lui et Peter Lauener hors de portée de la justice. Cette décision peut toutefois faire objet d'un recours au Tribunal fédéral (TF) par le Ministère public de la Confédération (MPC) dans les 30 jours qui suivent la décision de la cour bernoise.