Prorogation du régime financier et amélioration des finances fédérales (MCF 80.088)

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Fort de ces diverses recommandations, le Conseil fédéral a rédigé un rapport destiné à proroger le régime financier et à améliorer l'état des finances publiques. Ce projet d'arrêté fédéral contient trois importantes innovations. Elles visent en premier lieu à insérer dans la Constitution (Cst.) la suppression de la limitation de la durée de perception des deux impôts que sont l'impôt pour la défense nationale (IDN) (dit désormais impôt fédéral direct, IFD) et l'impôt sur le chiffre d'affaires (ICHA). Elles résident ensuite dans l'atténuation partielle des conséquences de la progression à froid en matière d'impôt fédéral direct, d'une part en augmentant les déductions sociales en vigueur et d'autre part en introduisant un «rabais dégressif» sur le montant des impôts prélevés sur les personnes physiques. Toutefois, pour compenser les pertes fiscales résultant de ces mesures et accroître un tant soit peu les recettes, l'exécutif prévoit un relèvement de 5.6 à 6.4 pour cent du taux de l'ICHA applicable aux livraisons de détail et de 8.4 à 9.6 pour cent de celui frappant les livraisons de gros.

Etant donné que l'article 41ter de la Constitution fédérale actuellement en vigueur, limite la perception des deux impôts précités à la fin de l'année 1982, le Conseil fédéral avait présenté aux Chambres, à la fin de 1980, un projet de régime financier à instaurer dès 1983. Une nouvelle fois, l'exécutif tentait de sortir du provisoire puisqu'il ne limitait plus la perception de ces impôts dans le temps; le régime provisoire en vigueur date de 1971 et des projets aux solutions définitives ont échoué en 1977 et 1979. En outre, il saisissait l'occasion pour ne pas se borner à assurer les anciennes rentrées fiscales, mais encore pour élever les taux de l'ICHA afin d'assainir quelque peu les finances fédérales. D'autre part, la mauvaise situation financière l'incitait à ne remplir que partiellement l'obligation que lui fait l'article 41ter de corriger périodiquement les effets de la progression à froid (par suite de la compensation du renchérissement, passage des contribuables dans des classes de revenu plus élevé). Il augmentait donc les déductions sociales et élargissait les rabais généraux sur les montants des impôts à payer. On escomptait que ce nouveau régime apporterait, à partir de 1984, au moins CHF 625 millions de recettes supplémentaires par an. Quant à l'ICHA, on en est revenu au principe de la fixation de taux maximums abandonné en 1975. Pour 1983, l'augmentation du rendement à été estimée à CHF 760 millions, dans la mesure où les réductions concernant l’IFD ne se feront sentir qu'à partir de 1984.

Au cours des délibérations parlementaires, le projet du gouvernement a subi des modifications qui ont restreint l'apport fiscal. La commission du Conseil national, présidée par la socialiste zurichoise Lilian Uchtenhagen (ps, ZH), obtint un large consensus pour une version qui tempérait quelque peu, d'une part, les taux de l'ICHA (6.2% pour les détaillants et 9.3% pour les grossistes en lieu et place de respectivement 6.4% et 9.6%) et augmentait encore, d'autre part, les déductions sociales, tout en renonçant aux rabais sur les montants de l'impôt à payer. Ces remaniements réduisirent les recettes supplémentaires escomptées de 30 pour cent. Cependant, la commission déposa deux motions. La première visait à remédier aux inégalités et aux distorsions de concurrence engendrées par le système de l'ICHA perçu en une seule phase. La seconde, votée par la commission à une faible majorité, demandait – tout comme une motion radicale de l'année précédente – que l'on établît un programme d'appui destiné à prendre la relève des mesures d'économie limitées dans le temps et adoptées par le peuple et les cantons en 1980 (réduction des subventions et des rétrocessions aux cantons).

Malgré la polarisation entre la gauche et la droite – phénomène qui, ces années passées, a pesé de plus en plus lourd sur la politique financière de la Confédération – les principaux détenteurs d'influence du système politique se sont appliqués à mettre sous toit une prorogation du régime actuel. Compte tenu du rejet par les citoyens de deux projets de nouveau régime financier en 1977 et 1979, un effort commun s'est révélé indispensable. On n'a pas voulu, en effet, courir le risque d'un état d'urgence dont on ne serait sorti qu'en recourant alors au droit de nécessité. Ainsi, l'écho suscité par les propositions du Conseil fédéral fut vraiment positif. Des porte-paroles du PRD et de l'UDC, il est vrai, réclamèrent une augmentation plus modeste de l'ICHA, tandis que, de leur côté, les socialistes et les démocrates-chrétiens désiraient des déductions sociales plus importantes. Toutefois, seule l'Alliance des indépendants et l'extrême-gauche manifestèrent leur opposition, toutes deux en raison de la pression fiscale accrue sur les consommateurs. De plus, l'extrême-gauche estima que la dégression pour les revenus modestes était insuffisante.

En mars, la chambre du peuple approuva ce compromis à une large majorité. Personne ne prit au tragique le fait qu'elle ne se soit pas contentée d'adopter les deux motions précitées, mais ait encore limité à une période de douze ans la perception des deux impôts principaux, faisant ainsi droit aux réserves émises par la plupart des partis bourgeois. Se souvenant du lieu où la commission avait siégé pour sa première réunion, on loua «l'esprit de Beatenberg» et ses effets conciliateurs. Cependant, le Conseil des Etats qui examina le projet en juin, crut préférable de ne pas se fier à cet esprit. Pour tenir compte de la revendication d'une correction totale de la progression à froid, revendiquée notamment par les employés, il rétablit, malgré les objections du grand argentier, les rabais généraux et les combina avec les déductions sociales plus élevées. Les recettes supplémentaires, prévues à l'origine par le Conseil fédéral, furent ainsi presque diminuées de moitié. Le Conseil national ne s'opposa pas à cette solution minimale. Une proposition du radical Affolter (prd, SO) au Conseil des Etats visant à préciser l'obligation constitutionnelle de compenser la progression à froid a été refusée; les deux motions du Conseil national ont été adoptées.

Bien que le résultat des délibérations parlementaires n'eût vraiment satisfait personne – on parla alors d'un consensus «d'insatisfaction moyenne» –, la résistance fut molle durant la campagne précédant la votation populaire. L'Alliance des indépendants et certains groupements bourgeois rejetaient les recettes supplémentaires et revendiquaient une correction entière de la progression à froid, tout en réclamant d'autres réductions de dépenses. L'extrême-gauche était aussi opposée au projet; elle ne voulait pas économiser, mais imposer plus fortement les revenus élevés et ménager les consommateurs. Pourtant, presque tous les autres partis et associations se prononcèrent en faveur du projet. Dans les milieux bourgeois, on faisait remarquer avec satisfaction que, pour la première fois, les «frères siamois» avaient été séparés, c'est-à-dire que l'on s'efforçait d'obtenir des recettes supplémentaires avec les seuls impôts indirects et non plus simultanément au moyen des impôts directs. L'Union suisse des arts et métiers (USAM) adopta un comportement neutre. Quant au comité d'action opposé au projet, aucun homme politique de premier plan n'y adhéra. En effet, l'impression prévalait qu'il n'y avait rien à gagner au rejet de ce projet: ni avantages durables pour certaines catégories de contribuables, ni solution productive pour la Confédération.

La figure dominante de la campagne fut celle du conseiller fédéral Ritschard. Malgré ses ennuis de santé et bien que le projet ne correspondît pas entièrement à ses vœux, il parcourut villes et campagnes, prenant part à des douzaines de meetings et gagna les sympathies tant par le sérieux de son engagement que par ses plaisanteries pleines de bon sens. Dans ce contexte, il mit notamment la population en garde contre un endettement perpétuel et la charge considérable des intérêts; il évoqua aussi l'impuissance d'un Etat sans ressources financières.

Après les deux échecs de la TVA (taxe à la valeur ajoutée), ce fut la première fois, depuis 1975, qu'un projet d'imposition fiscale passait la rampe, et ce avec une majorité de quelque 70 pour cent des voix, tous les cantons l'approuvant sans exception. Certes, la participation ne dépassa guère 30 pour cent. Ces chiffres reflètent, d'une part, un large consensus sur la nécessité de la solution proposée et, d'autre part, une indétermination quant aux avantages et aux inconvénients du projet pour les uns et les autres. En effet, un sondage d'opinion a révélé que seule une infime partie des citoyens étaient un tant soit peu au courant du contenu du projet. D'après un sondage réalisé par le Centre de recherche de politique suisse de Beme, cinq pour cent seulement des interrrogés connaissaient bien le contenu du projet ce qui est relativement faible.


Votation du 29 novembre 1981

Participation: 30.35%
Oui: 818'327 (68.95%) / Cantons: 20 6/2
Non: 368'508 (31.05%) / Cantons: 0

Consignes de vote:
– Oui: PDC (1°), PEV, PLR, PLS (2*), PSS, UDC (1*), eco, UPS, USP, USS, TravS, FSE.
– Non: AdI, PST, POCH, MRS.
– Liberté de vote: DS (2*), USAM.
* entre parenthèses: nombre de sections cantonales divergentes
° entre parenthèses: nombre de jeunes partis divergents