Premiers débats sur la libéralisation du marché suisse de l'électricité 1995-1997

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Parmi les différents facteurs pouvant contribuer à assurer l'approvisionnement de la Suisse en courant électrique, la libéralisation du marché intérieur de l'électricité a fait l'objet d'un rapport d'un groupe de travail mandaté par l'Office fédéral de l'énergie (OFEN). Celui-ci propose en effet d'abolir le monopole actuel des sociétés d'électricité et de permettre à des producteurs tiers d'accéder au réseau, ce qui devrait notamment amener une baisse des prix du courant. Cette éventuelle libéralisation soulève néanmoins de nombreux problèmes, puisque sa réalisation impliquerait une restructuration complète de la branche ainsi que la modification de plusieurs lois. Publié à l'heure où l'Union européenne discute également de l'ouverture de son marché de l'électricité à la concurrence, le rapport a été généralement bien accueilli par les organismes consultés, à l'exception de la Commission des cartels et des associations écologistes.

Dossier: Libéralisation du marché de l'électricité

Suite à la décision prise dans le courant du mois de juin par les ministres de l'énergie de l'UE de libéraliser le marché européen de l'électricité de façon progressive et partielle, la question de l'ouverture du marché électrique helvétique à la concurrence s'est faite d'autant plus pressante, tant auprès des autorités fédérales et des milieux industriels qu'auprès des producteurs et distributeurs d'électricité. A cet égard, l'Union des centrales suisses d'électricité a fait établir une étude dont les résultats ont démontré que la Confédération connaît une des impositions fiscales sur le courant électrique parmi les plus fortes en Europe. Soucieux de lutter à armes égales avec leurs concurrents européens au cas où une libéralisation du marché national viendrait à être décrétée, les producteurs d'électricité ont dès lors revendiqué un abaissement de la charge fiscale qui frappe l'ensemble du secteur électrique helvétique à hauteur de quelque CHF deux milliards par année.

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A l'avant-scène de la politique énergétique suisse depuis la publication du rapport Cattin en juin 1995, le débat sur la libéralisation du marché helvétique de l'électricité s'est poursuivi durant l'année sous revue. Virtuellement porteuse d'une diminution des tarifs pratiqués par les compagnies d'électricité, une ouverture des marchés dans ce domaine fortement cartellisé a avant tout été revendiquée par les milieux industriels suisses qui, en comparaison internationale, supportent des coûts particulièrement élevés pour le courant électrique nécessaire à leur activité, diminuant ainsi leur compétitivité. Bénéficiant du régime actuel qui leur assure des situations de monopoles locaux, les principaux fournisseurs d'électricité ont en revanche mis en doute les retombées positives d'une pareille libéralisation, notamment sur le plan de la sécurité d'approvisionnement et sur celui des investissements à long terme auxquels plus aucune société électrique n'oserait souscrire en situation de concurrence. Conscientes des problèmes de compétitivité rencontrés par les milieux industriels helvétiques, les Forces motrices du Nord-Est de la Suisse (NOK) et les Forces motrices bernoises (FMB) leur ont néanmoins consenti dès avril des rabais significatifs sur le prix du kilowattheure, suivies en cela par EOS au début du mois de novembre. Quant aux associations écologistes qui avaient rejeté le rapport Cattin vu son manque de prise en considération des aspects environnementaux liés à une éventuelle libéralisation (risques de dumping écologique, notamment), elles ont été associées aux discussions menées par le groupe de travail Kiener qui s'est vu chargé par le Conseil fédéral de dresser un catalogue de propositions concrètes concernant les modalités d'une éventuelle ouverture du marché suisse de l'électricité. Ce nouveau rapport était sur le point d'être remis au chef du DFTCE à la fin de l'année sous revue.

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Au centre des débats sur la politique énergétique suisse depuis maintenant deux ans, la réflexion sur l'ouverture du marché helvétique de l'électricité s'est prolongée, principalement suite à la publication d'un nouveau rapport sur la question destiné à concrétiser les principes généraux contenus dans le rapport Cattin. Etabli par un groupe de travail placé sous la houlette d'Edouard Kiener, directeur de l'OFEN, ce document s'inscrit dans la droite ligne de la politique européenne de libéralisation décrétée en début d'année par le Conseil des ministres de l'UE. Constatant qu'il est impossible pour la Suisse de faire bande à part en la matière du fait que son alimentation en courant est entièrement intégrée aux réseaux européens, le rapport recommande dès lors la libéralisation progressive du marché pour les distributeurs et gros consommateurs d'électricité, et ce dans des proportions similaires à celles consacrées par la nouvelle directive de l'Union. En clair, l'application effective de la proposition du groupe de travail Kiener permettrait à terme aux grandes entreprises suisses de choisir librement leur fournisseur, ce qui obligerait les distributeurs helvétiques à rendre accessible leur réseau à des tiers, moyennant une rétribution (Third Party Access). Dictée par le souci de maintenir la compétitivité de l'industrie suisse grâce à une électricité meilleur marché, l'ouverture du marché de l'électricité n'ira pas sans provoquer une profonde restructuration de ce secteur de l'économie. A ce titre, le rapport préconise que la branche s'organise de manière plus rationnelle en procédant à des fusions, principalement à l'échelon de la distribution de courant pour laquelle la Suisse compte un peu moins de 1'200 entreprises. Si le passage du système cartellaire actuel à une situation de concurrence internationale doit nécessiter en outre l'adoption d'une législation-cadre fixant des garde-fous en matière d'accès au réseau, de transparence des prix, d'amortissement des investissements contractés et de garantie d'une desserte de base propre à la notion de service public, le groupe de travail a en revanche estimé que l'ouverture du marché de l'électricité ne pourra être effective que si un désengagement étatique intervient sur les plans fiscal et réglementaire. Ainsi, le prélèvement annuel de quelque CHF deux milliards de taxes et de redevances diverses dans ce secteur a été jugé en contradiction avec la libéralisation recherchée, de même que le régime de l'autorisation d'exporter du courant et la lourdeur des procédures d'autorisation imposée aux projets.

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Soucieux de ne pas pouvoir amortir certains investissements colossaux auxquels ils ont souscrit en situation de monopole si le marché de l'électricité venait à s'ouvrir rapidement, les producteurs d'électricité ont plaidé en faveur d'une libéralisation progressive calquée sur le modèle européen, mais néanmoins assortie de mesures d'accompagnement. A ce titre, l'Union des centrales suisses d'électricité (UCS) s'est principalement penchée sur la délicate question des «investissements non amortissables» (INA) en matière d'infrastructures énergétiques et a évalué que le montant de ceux-ci oscille entre CHF 1.3 et 8 milliards selon la durée sur laquelle s'étendra le processus de libéralisation et le prix du kilowattheure qui s'établira sur le marché. Pour être en mesure d'éponger de telles pertes, l'UCS a dès lors proposé de majorer de 1.24 à 2 centimes le prix du kWh facturé aux consommateurs durant une période de cinq à dix ans. Défendant pour sa part des scénarios plus optimistes, l'OFEN a estimé que la valeur des «INA» est vraisemblablement comprise entre CHF 1.4 et 1.8 milliard dont la couverture pourrait être garantie par une surtaxe du kWh comprise entre 0.18 et 0.45 centime.

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