Dans le canton de Neuchâtel, treize personnes, dont cinq femmes, briguaient un siège au Conseil des Etats lors des élections fédérales de 2023. Parmi celles-ci figuraient les deux sortant.e.s, l'écologiste Céline Vara et le libéral-radical Philippe Bauer. Elue surprise en 2019, Céline Vara avait alors dérobé aux socialistes le siège qu'ils occupaient depuis 1999, surfant sur la vague verte nationale. Alors, lorsque le conseiller national Baptiste Hurni (ps) a annoncé sa candidature pour les Etats, beaucoup y ont vu une charge frontale contre le siège de Céline Vara. Il est vrai que l'autre siège, détenu par le PLR depuis 2007, semblait solide, d'autant plus que Philippe Bauer, en une législature à la chambre haute, s'était affirmé comme une figure importante, en faisant partie de la délégation enquêtant sur l'affaire Crypto, en présidant le groupe de travail chargé de faire la lumière sur les fuites au sein du département d'Alain Berset, ou encore en figurant parmi les candidats pour intégrer la commission d'enquête parlementaire travaillant sur la reprise du Credit Suisse par UBS. Ainsi, le journal Le Temps a, durant la campagne, qualifié l'avocat libéral-radical d'«intouchable», dont la réélection s'annonçait aisée.
Pourtant, Baptiste Hurni s'est défendu d'attaquer qui que ce soit: «comme cette élection se joue à la proportionnelle, en un tour et sans apparentement, tout le monde est contre tout le monde», a-t-il argumenté (Neuchâtel et le Jura sont les deux seuls cantons qui ne connaissent pas un système majoritaire pour l'élection au Conseil des Etats). Le parti socialiste a d'ailleurs tendu la main aux Vert.e.s afin de présenter une liste commune Vara/Hurni. En effet, selon Baptiste Hurni, une alliance aurait permis d'assurer un siège à la gauche, voire d'en obtenir deux, alors qu'existait le risque d'une double victoire de la droite en cas de campagnes séparées.
Cette proposition a finalement été refusée par les Vert.e.s, qui ont considéré irréaliste l'espoir de conquérir deux sièges à gauche. Jugeant «qu'il serait plus judicieux que les socialistes ne s'en prennent pas à leur allié», Céline Vara a misé sur son bilan pour convaincre la population de la reconduire à son poste de sénatrice. En quatre ans à la chambre haute, l'avocate s'est démarquée avec son engagement pour la redéfinition du viol dans le Code pénal, révision adoptée par le Parlement, tout comme sa motion exigeant que l'armée réduise son impact environnemental. Bien qu'elle soit reconnue pour sa capacité de communication, son franc-parler ne lui a pas valu que des amitiés, notamment durant la campagne concernant l'initiative sur les pesticides de synthèse en 2021. Sur la liste écologiste, elle a été accompagné par le conseiller national Fabien Fivaz, également candidat à sa réélection à la chambre basse.
Considéré donc comme le challenger le plus sérieux, Baptiste Hurni avait lui aussi de sérieux arguments à faire valoir. Elu à Berne depuis 2019, vice-président de la Fédération suisse des patients et très actif sur le front de la santé, membre du comité de l'Asloca: des fonctions et un engagement qui ont apporté à l'avocat (lui aussi) une notoriété politique et médiatique faisant de lui un candidat très crédible pour récupérer le siège occupé par le PS entre 1999 et 2019, selon la presse. Des voix critiques se sont cependant élevées contre sa candidature masculine, qui pouvait pousser une femme hors d'un Conseil des Etats n'en comptant déjà pas énormément. Sur la liste socialiste, il était accompagné par Théo Huguenin-Elie, conseiller communal à la Chaux-de-Fonds.
Du côté du PLR, la députée au Grand Conseil Pascale Leutwiler a été désignée comme colistière de Philippe Bauer. De l'avis général, c'était donc une bagarre entre les trois avocat.e.s Bauer, Vara et Hurni qui se profilait, avec une bonne longueur d'avance pour le premier nommé. Malgré cette constellation ne laissant que peu d'opportunités aux autres formations politiques, quatre listes supplémentaires ont été déposées. Elles provenaient des rangs de l'UDC, du POP (avec notamment le conseiller national Denis de la Reussille), du parti vert'libéral et du parti fédéraliste européen. Il y avait cinq candidatures et trois listes de plus en 2019.
Le jour de l'élection, c'est finalement le scénario considéré comme improbable qui s'est réalisé. Les résultats de la ville de Neuchâtel, arrivés en fin d'après-midi, ont permis à Baptiste Hurni et Céline Vara de passer devant Philippe Bauer et d'éjecter ce dernier de son siège sous la Coupole fédérale. Le résultat final était serré: le PS a récolté 23.47 pour cent des suffrages, avec 13'914 voix pour Hurni. Les Vert-e-s ont glâné 22.68 pour cent des voix (12'167 voix pour Céline Vara), alors que le PLR a obtenu un score de 21.38 pour cent (11'900 voix pour Bauer). Parmi les autres listes, l'UDC a récolté 15.64 pour cent des voix, le POP 10.62 pour cent, le PVL 5.98 pour cent et le PFE 0.31 pour cent.
A l'heure des analyses, Philippe Bauer a regretté un probable manque de mobilisation, «à force de dire que le siège était acquis». Dans le même ordre d'idées, le journal ArcInfo a fait remarqué que le duel de gauche a attiré davantage l'attention, au point finalement de déborder le PLR. Finalement, la personnalité clivante du «très à droite et très libéral» Philippe Bauer aurait heurté l'électorat modéré. Même dans un système majoritaire, les candidatures de gauche auraient passé la rampe. Le résultat neuchâtelois va donc à l'encontre des tendances nationales, avec des écologistes en difficulté et le PLR qui a progressé aux Etats. A l'aube de la nouvelle législature, le duo rose-vert devra convaincre, comme l'a souligné Baptiste Hurni: «il va falloir bosser pour répondre aux attentes de la population neuchâteloise, qui nous a montrés aujourd’hui qu’elle a peur pour son pouvoir d’achat». La participation s'est élevée à 35.71 pour cent.