Nouvelles technologies, adaptations aux habitudes de consommation et contraintes politiques: le secteur médiatique poursuit sa mue compliquée mais nécessaire
de Mathias Buchwalder et Chloé Magnin
Confrontée à de nouveaux défis avec l'émergence de l'intelligence artificielle (IA), la politique médiatique s'est débattue avec ses vieux démons en 2025. Depuis plusieurs années, la réduction de la redevance radio-TV est en effet l'un des serpents de mer de la politique suisse. Figurant au menu du Parlement, l'initiative populaire «200 francs, ça suffit! (initiative SSR)» a été le cinquième objet suscitant les plus longs débats, sur l'ensemble des objets traités par les chambres en 2025, donnant le ton en vue de la campagne pour la votation prévue le 8 mars 2026 (voir l'analyse APS des interventions). En parallèle, les chambres ont avancé sur d’autres dossiers, concernant l’aide aux médias régionaux, alors que le Conseil fédéral a affiché sa volonté d’encadrer les activités des grandes entreprises technologiques.
Prise en 2024 par le Conseil fédéral, la décision d’abaisser progressivement la redevance radio-TV à CHF 300 d’ici 2029 n’a pas freiné les ardeurs des partisans de l'initiative «200 francs, ça suffit!», déterminés à en découdre dans les urnes. Après 140 prises de paroles réparties sur trois journées, la majorité du Conseil national a recommandé le rejet de l’initiative lors de la session d’été. Une minorité du groupe PLR a rejoint l’UDC pour soutenir l’initiative. L'analyse APS des journaux montre d'ailleurs que l'attention pour la politique médiatique a été la plus forte à cette période de l'année. La chambre basse a été suivie par le Conseil des Etats lors de la session d’automne. En outre, les velléités de la Commission des transports et des télécommunications du Conseil national (CTT-CN) de proposer un contre-projet indirect n’ont pas trouvé grâce auprès de son homologue des Etats (Iv.pa. 25.400, Iv.pa. 25.433). Avec la baisse programmée de la redevance, la SSR a confirmé en novembre des mesures d’économies à hauteur de CHF 270 millions, impliquant la disparition de 900 emplois plein-temps (EPT). Un moindre mal selon une étude de l’OFCOM, qui indique que si l’initiative passait la rampe, la SSR pourrait être contrainte à licencier plus de 3'000 collaborateurs et collaboratrices, sur les 7'000 qu’emploie actuellement l’entreprise de service public.
Dans la presse écrite aussi, les annonces de licenciement deviennent monnaie courante année après année. En 2025, l’annonce principale a été la disparition dès 2026 de la version imprimée de «20 Minutes», avec pour conséquence la perte de 80 EPT. Afin d’aider la presse à effectuer sa transition vers le numérique, les chambres fédérales ont validé lors de la session de printemps l’augmentation des aides indirectes. Deux autres objets plaidant pour un soutien aux médias locaux et régionaux ont été adoptés par l’Assemblée fédérale lors de la session d’hiver. D’une part, via l’initiative parlementaire Bauer (plr, NE), la quote-part de la redevance accordée aux radios et télévisions régionales sera rehaussée à 6-8 pour cent (contre 4-6 auparavant). D’autre part, grâce à l’initiative parlementaire Chassot (centre, FR), un pour cent du produit de la redevance sera utilisé pour le soutien à la formation et à la formation continue, aux agences indépendantes et au Conseil suisse de la presse.
Dans le domaine numérique, l’utilisation des contenus journalistiques par les plateformes de services en ligne constitue une problématique pour les médias, qui ne reçoivent pas de compensation. Pour y remédier, le Conseil fédéral a présenté en juin son projet d’introduction d’un droit voisin en faveur des entreprises de médias. La CTT-CN lui a cependant renvoyé le dossier, demandant à l’exécutif d’élargir la réglementation à l’utilisation de contributions journalistiques par des fournisseurs d’IA. Également sur le thème de la régulation des grandes plateformes, le Conseil fédéral a ouvert en fin d’année une consultation sur la nouvelle Loi sur les plateformes et les moteurs de recherche (LPCom), afin d’améliorer la transparence et l’équité dans l’espace numérique. Il s’agit là d’un projet de régulation des réseaux sociaux réclamé depuis belle lurette par les milieux concernés.
D’ailleurs, l’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes a fait couler beaucoup d’encre durant l’année. Deux postulats (Po. 24.4480, Po. 24.4592) s’inquiétant de la santé mentale des enfants et des jeunes ont été adoptés par le Conseil des Etats, alors que la commission interparlementaire de contrôle de la Convention scolaire romande (CIP-CSR) a déposé des motions dans les parlements cantonaux romands pour thématiser une possible réduction, voire interdiction de l’accès aux réseaux sociaux jusqu’à un certain âge. En novembre, la Commission fédérale pour l'enfance et la jeunesse (CFEJ) s’est prononcée en faveur d’un accès adapté à l’âge, mais pas d’une interdiction, privilégiant une approche d’éducation numérique.
Enfin, une décision des chambres fédérales a montré que certaines pratiques qui paraissent ancestrales à l’heure de l’IA demeurent importantes pour une bonne partie de la population. Alors qu’elle devait être désactivée fin 2026 pour les radios privées, la FM continuera de fonctionner en 2027. Une levée de boucliers menée par le pionnier de la radio Roger Schawinski, combinée à l’information d’une perte d’audience de 25 pour cent annoncée par la SSR à la suite de la désactivation de la FM fin 2024, a convaincu les parlementaires de demander au Conseil fédéral de faire machine arrière en maintenant la possibilité de diffuser sur les ondes ultra-courtes (OUC).
Ce rebondissement illustre les péripéties d’un secteur en pleine transformation, dans lequel les frontières autrefois bien définies entre les formes de médias deviennent floues. L’année 2026 promet d’ores et déjà de soumettre les médias à de nouveaux défis, et démarrera sur les chapeaux de roue avec la campagne annoncée acharnée pour l’initiative «200 francs, ça suffit!».