Dans un contexte compliqué, la politique de sécurité suisse a vécu une année 2025 sous haute pression
Au cours de l’année 2025, les débats liés à l’armée ont occupé une place importante dans l’agenda politique fédéral, dans un contexte international toujours marqué par la guerre en Ukraine et une dégradation de l’environnement sécuritaire. La presse s'est fortement intéressée aux enjeux de sécurité, tels que le financement de l’armée, la vague de démissions au plus haut niveau du département de la défense (DDPS) ou encore l’obligation de servir et ses modalités. Par rapport à 2024, la proportion d'articles relatifs au thème «Armée» a considérablement augmenté dans la presse, en particulier les articles consacrés au service civil et à la protection civile ainsi qu'à l'armement et à l'équipement (voir l'analyse APS des journaux). Les mois de mars – au moment du passage de témoin à la tête du DDPS entre Viola Amherd et Martin Pfister – et de juin – quand la question du prix des avions de combat F-35 était sur toutes les lèvres – se caractérisent par un nombre d'articles particulièrement élevé.
L’une des thématiques qui a le plus marqué l’année 2025 a été celle de l’avenir de l’obligation de servir. Premièrement, l’initiative populaire «Pour une Suisse qui s’engage (initiative service citoyen)» proposait d’instaurer un service citoyen obligatoire pour toutes les personnes de nationalité suisse, indépendamment du genre, à accomplir sous la forme d’un service militaire, de protection civile ou d’un autre engagement au service de la collectivité. Le Parlement a suivi le Conseil fédéral en préconisant le rejet de l'initiative. Alors que la droite s'inquiétait notamment des conséquences pour le marché du travail, la gauche s'opposait à l'instauration d'un service obligatoire pour les femmes, tant que l'égalité n'était pas atteinte dans d'autres domaines. N'ayant pas réussi à rassembler une large coalition derrière leur texte, les initiantes et initiants ont subi une lourde défaite dans les urnes le 30 novembre 2025. En effet, l’initiative a été rejetée par 84.1 pour cent des votantes et des votants ainsi que par l’ensemble des cantons. Deuxièmement, en parallèle du traitement de l’initiative, le Parlement a poursuivi un autre chantier, distinct sur le plan institutionnel mais étroitement lié sur le fond: la réforme du système de l’obligation de servir sur le modèle d’une «obligation de servir dans la sécurité». Des motions déposées par la Commission de la politique de sécurité du Conseil national (CPS-CN) et par celle du Conseil des Etats (CPS-CE) ont été adoptées, afin de charger le gouvernement d’élaborer un modèle qui offrirait plusieurs voies d’engagement: l’armée, d’une part, et, d’autre part, une organisation de protection contre les catastrophes fusionnant la protection civile et le service civil.
La question des effectifs de la protection civile et du service civil a par ailleurs constitué un autre enjeu majeur de l’année. S'appuyant sur le constat que le nombre de personnes engagées dans la protection civile risque de passer en dessous du seuil considéré comme nécessaire à l’horizon 2030, les chambres ont validé la révision de la Loi fédérale sur la protection de la population et sur la protection civile (LPPCi). Celle-ci prévoit, dans certains cas, l’affectation de personnes astreintes au service civil à des tâches de protection civile, ainsi que l’intégration dans la protection civile de personnes n’ayant pas pu achever leur service militaire. En parallèle, une révision de la Loi sur le service civil (LSC) a été acceptée, avec pour objectif de limiter l’attrait du service civil afin de freiner la diminution des effectifs de l’armée. Ces deux objets ont donné lieu à des discussions nourries sur la répartition des charges entre les différentes formes de service, mais ont bénéficié de l'appui du camp bourgeois pour passer la rampe.
Parmi les nombreuses réformes engagées pour moderniser le système militaire, l'objet ayant suscité les plus longs débats dans le chapitre «Armée» au Parlement en 2025 a été la modification de la Loi sur l'armée (LAAM) et de l'ordonnance correspondante (OOrgA) (voir l'analyse APS des interventions), visant entre autres à rendre plus flexible la durée de l'école de recrue et des cours de répétition. Séparé en trois volets, le projet doit également améliorer la capacité de l'armée à faire face aux cybermenaces, permettre les échanges numériques entre le commandement et les militaires, et préciser le fonctionnement des affaires compensatoires pour les acquisitions faites à l’étranger. Les chambres ont adopté cette révision lors de la session d'hiver, après avoir réglé lors d'une conférence de conciliation la dernière divergence sur le nombre de militaires armés que peut convoquer le Conseil fédéral pour un engagement de plus de trois semaines.
Comme les années précédentes, le message sur l'armée 2025 a également suscité des débats importants. Sur le plan du financement de l'armée, le Conseil fédéral a demandé des crédits d’engagement d’environ CHF 1.7 milliard. Ce message s’inscrit dans la trajectoire décidée en 2022, qui prévoit d’augmenter progressivement les dépenses de défense pour atteindre environ 1 pour cent du PIB à moyen terme. Le message sur l'armée 2025 fixe donc un plafond de dépenses de près de CHF 30 milliards pour la période 2025–2028. Au Parlement, les débats ont notamment porté sur le volume des investissements dans les munitions, sur le calendrier de mise hors service des avions de combat F-5 Tiger et sur l’équilibre à trouver entre les besoins de l’armée et les restrictions imposées aux autres départements pour respecter les contraintes budgétaires. La gauche a dénoncé la priorité accordée à l’armée dans un contexte d’économies, tandis que la droite a justifié ces hausses par la nécessité de combler un retard d’investissement accumulé depuis plusieurs années. Durant la session d'hiver, les discussions sur le budget 2026 de la Confédération ont confirmé la tendance, puisque le Parlement a alloué des montants supplémentaires à l'armement, à la cybersécurité et à Fedpol.
Au-delà de ces dossiers, l’année 2025 a également été marquée par une série de démissions et d’annonces de départs à la tête du DDPS. En janvier, la cheffe du département, la conseillère fédérale Viola Amherd, a annoncé son départ du Conseil fédéral pour fin mars 2025, sur fond de critiques récurrentes de la droite conservatrice et de pressions liées à ses tentatives de modernisation de l’armée. Quelques semaines plus tard, la presse a révélé que le chef de l’armée, Thomas Süssli, et le directeur du Service de renseignement de la Confédération (SRC), Christian Dussey, avaient eux aussi présenté leur démission. La fuite prématurée de ces informations dans les médias a conduit le DDPS à déposer une plainte pénale pour violation du secret de fonction et a ravivé les critiques parlementaires sur la gouvernance du département. Plusieurs voix, en particulier au sein du PS et des Vert-e-s, ont appelé à l'institution d’une commission d’enquête parlementaire après avoir dénoncé le «chaos» qui règnerait au DDPS. A cela se sont ajoutées des controverses liées, d’une part, à la remise en cause, par les autorités américaines, du «prix fixe» des avions de combat F-35 menant à de potentiels surcoûts et, d’autre part, aux dysfonctionnements des drones de reconnaissance israéliens acquis par la Suisse. Ensemble, ces affaires ont écorné l’image du département dans l’opinion publique et au Parlement.
En conclusion, les questions relatives à l’armée ont, en 2025, suscité des débats passionnés au Parlement et dans l’espace public, en particulier autour de l’avenir de l’obligation de servir, du financement de l’armée et de la politique d’exportation d’armement (voir rétrospective annuelle «Politique économique»). Ces dossiers ont une nouvelle fois mis en lumière l’opposition entre la gauche et la droite, notamment sur la définition de la neutralité et le niveau des dépenses militaires, tandis que la crise de direction au sommet du DDPS a ajouté une dimension institutionnelle aux controverses existantes. Tout porte à croire qu’en 2026, les débats liés à la réforme de l’obligation de servir, à la mise en œuvre de la nouvelle politique d’armement de la Suisse et à la composition de la nouvelle équipe dirigeante du DDPS se poursuivront.