Dernière mise à jour: 21.10.2024, 12:23

Dossier: Les révoltes paysannes de 2024, dans la rue et au Parlement Sauvegarder en format PDF

Révolte paysanne

En 1975, il y a 50 ans, la Suisse était traversée par un soulèvement agricole contre l'imposition de nouvelles mesures d'hygiène dans la production laitière. Uniterre, alors encore nommée l'Union des producteurs suisses (UPS), réussissait à faire reculer le Conseil fédéral. Peu après, de nouvelles manifestations éclateront dans le canton de Vaud contre l'impunité de la Migros et ses propos sur le revenu paysan. Les paysannes et paysans de la région refusèrent notamment d'écouler le purin produit par un élevage porcin du géant orange. Revenant sur ces événements auxquels il a participé, un agriculteur vaudois regrette qu'après tant d'années de lutte, rien n'ait vraiment changé. Cet article publié dans le 24 Heures était peut-être prémonitoire de ce qui allait se passer durant ce début d'année 2024, 50 ans après lesdites «Guerre du lait» et «Guerre du purin».
En effet, l'hiver fut chaud dans les campagnes. Les feux de bois et les phares des tracteurs ont jailli de partout, éblouissant le débat agricole pendant plusieurs mois. La colère paysanne a résonné en Suisse et s'est inspirée de mouvements similaires en France, en Allemagne et en Belgique. En Allemagne d'abord, les agriculteurs et agricultrices ont bloqué les routes, les autoroutes et la capitale pour protester contre la décision de l"Ampelkoalition" – à savoir le gouvernement fédéral composé des libéraux, des écologistes et des socialistes – de mener des coupes dans le budget agricole, contraint par la cour constitutionnelle de revoir à la baisse ses dépenses globales. Malgré une rectification des mesures prévues, les paysannes et paysans ne se sont pas arrêtés, signe d'une colère qui rongeait la profession depuis longtemps. En France, les agriculteurs et agricultrices ont réclamé pouvoir simplement «vivre de (leur) travail», demandant des simplifications administratives, une baisse du nombre de contrôles et de meilleurs revenus. A Bruxelles, des milliers de tracteurs ont cerné le Parlement européen pour protester contre la politique agricole commune et l'imminence d'un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur.
En Suisse, on a pu apercevoir les premiers signes de la colère paysanne dans les localités, ou plus précisément à l'entrée de celles-ci, les panneaux des villages étant retournés; une manière de visibiliser le fait qu'on «marche sur la tête» s'agissant de l'agriculture, comme expliqué par les instigateurs romands. Par la suite, plusieurs rassemblements ont été organisés, principalement dans les villages, la capitale ayant été épargnée. Seule la ville de Genève a été partiellement encombrée de tracteurs, à l'appel de l'organisation paysanne Uniterre qui en a profité pour dénoncer le duopole Migros-Coop «qui contrôlent 80 pour cent du marché et imposent leurs prix de manière opaque». D'autres événements ont figuré sur les premières pages des journaux, à l'image du SOS géant formé par plus de 400 tracteurs ou des plus de mille tracteurs rassemblés dans différentes communes bernoises lors d'un même soir, surprenant même le président de l'Union suisse des paysans (USP) Markus Ritter (centre, SG).
De plus, plusieurs pétitions ont été lancées, à l'adresse du gouvernement ou des grands détaillants, à l'image de la pétition de l'USP pour réclamer de meilleurs prix à la vente. Elle a récolté pas moins de 65'000 signatures, une manière plus consensuelle d'agir pour l'organisation paysanne. Contrairement aux organisations agricoles dans les pays voisins, l'USP a décidé, dès le départ, d'être sur la retenue, Markus Ritter l'expliquant par sa volonté de préserver, au sein de la population, une image positive de l'agriculture. Pourtant, les agricultrices et agriculteurs n'ont cessé à travers l'histoire de la Suisse de protester de manière plus ou moins violente, à l'image de la manifestation de l'automne 1996 contre l'érosion du revenu agricole et les mesures prises pour éradiquer la maladie de la vache folle.
Tout au long de ces événements de 2024, de nombreux portraits d'agricultrices et agriculteurs à bout de souffle ont paru dans la presse – notamment sur la tête de proue des manifestations en Romandie, Arnaud Rochat – relatant leur expérience du quotidien et les raisons de leurs colères. Ainsi, quatre revendications principales sont ressorties des manifestations : de meilleurs revenus, moins de «paperasse», une politique agricole plus stable et plus de reconnaissance pour le travail fourni. Quelques semaines avant l'éclatement des colères agricoles en Suisse, Agroscope dévoilait dans un rapport que le revenu agricole avait baissé en 2022 et là se situe bien le nerf de la guerre. En effet, bons nombres de paysannes et paysans dénoncent des revenus en baisse et des prix de vente de leur production qui n'augmentent pas malgré des coûts de production toujours plus élevés. Ainsi, le revenu moyen par heure est d'un peu plus de CHF 17, toute région et type de domaine confondus, en prenant en compte que les agricultrices et agriculteurs effectuent, pour la majorité, bien plus d'heures que les autres corps de métier.
Il n'a, pourtant, pas fallu attendre les révoltes agricoles pour que ces thématiques soient débattues au Parlement. En effet, les autorités ont été chargées en 2023 de faire une proposition pour améliorer la situation, notamment s'agissant de la charge administrative d'ici à 2027, dans le cadre de la Politique agricole 2030 (PA30+). D'autres solutions sont esquissées, à l'image de l'initiative parlementaire sur la transparence des prix, afin d'en savoir plus sur les marges aux différents échelons de la chaine agro-alimentaire, les détaillants étant critiqués pour leurs pratiques à cet égard. Un autre texte parlementaire réclame, finalement, des prix planchers négociés entre groupements de producteurs et acheteurs, dans le but d'assurer un prix minimum qui ne descendrait pas en dessous des prix de production. Par ailleurs, lors du pic desdites révoltes et en dehors des arcanes du Parlement, l'Interprofession Lait (IP-Lait) a renouvelé les contrats-type pour le lait et a décidé, sous la pression de la colère qui grondait, d'augmenter de 3 centimes le kilo de lait. S'agissant des mesures écologiques, souvent décriées comme trop excessives et contraignantes, on peut noter la suppression décidée par le législatif d'une mesure phare prévue de longue date, à savoir l'obligation d'allouer 3.5 pour cent des terres arables à la biodiversité, qui avait initialement été révisée par le Conseil fédéral pour en réduire les contraintes. Un autre point qui a soulevé le débat dans les médias lors de cette période de manifestations est le privilège du paysan s'agissant de l'essence. En effet, les agricultrices et agriculteurs paient l'essence pour leurs machines agricoles 60 centimes moins cher que les autres usagers, ce qui représente un coût total de CHF 65 millions par années de recettes fiscales en moins pour la collectivité. Alors que cette aide indirecte aurait dû être supprimée, car non conforme tant aux objectifs climatiques qu'à la Loi sur les subventions (LSu), comme noté par la NZZ am Sonntag du 18 février 2024, Guy Parmelin a demandé, avec succès, à ses collègues du Conseil fédéral de la maintenir afin de ne pas faire peser un poids supplémentaire sur les épaules de l'agriculture suisse. A noter que c'est précisément la planification de la suppression d'une telle subvention qui a mis le feu aux poudres dans les champs allemands.
Les journalistes du Tages-Anzeiger (éditions du 9 janvier 2024) estiment ainsi que la situation des agricultrices et agriculteurs en Suisse n'est pas comparable à celle de nos voisins européens. D'une côté, le revenu agricole a fortement augmenté ces dix dernières années et se rapproche du revenu des autres branches, bien qu'une baisse probablement conjoncturelle se soit faite ressentir ces deux dernières années. D'un autre côté, les politologues Michael Hermann et Claude Longchamp expliquent que la paysannerie bénéficie d'une place privilégiée au sein des instances de pouvoir: un dixième des parlementaires sont paysans et paysannes ou ont un lien avec l'agriculture, alors que ce corps de métier ne représente que 2% de la population active en Suisse, tandis que le Conseil fédéral compte quatre personnes proches de l'agriculture – Elisabeth Baume-Schneider et Albert Rösti sont filles et fils d'agriculteurs et ce dernier est agronome, alors que Beat Jans a fait la formation d'agriculteur et que Guy Parmelin est lui-même vigneron de métier. Le temps aura, pour autant, partiellement désavoué les propos de Michael Hermann qui postulait que «Die Schweizer Bauern sitzen im Zentrum der Macht und können den Traktor zu Hause lassen.» Reste à voir si les concessions et promesses faites par la politique permettront d'éviter de nouvelles manifestations, une fois les récoltes de 2024 passées.

Stop aux contrôles et à l'administration qui étouffent le paysan! (Mo. 24.3020)

Dossier: Réduire la charge administrative pour les agricultrices et agriculteurs

La motion déposée par Pierre-André Page (udc, FR) pour simplifier et réduire la charge administrative des paysannes et paysans a été tacitement acceptée par le Conseil national. L'agriculteur de profession se réfère aux nombreuses manifestations paysannes à travers toute l'Europe et en Suisse pour justifier sa demande. Le Conseil fédéral a dit soutenir la motion, annonçant vouloir poursuivre le travail entrepris à ce sujet, alors que le principe des contrôles en fonction des risques, introduit en 2020, a d'ores et déjà permis de réduire la fréquence des contrôles, ce qui va dans la direction souhaitée.