Les répliques du séisme de la reprise de Credit Suisse par UBS n'ont pas fini d'ébranler les sphères économique et politique suisses: c'est ce qu'a rappelé le Tribunal administratif fédéral (TAF) en considérant que la décision des autorités d'annuler les obligations AT1 de la banque au moment de son sauvetage le 19 mars 2023 était illégale.
Pour rappel, les obligations AT1 – aussi appelées «contingent convertible bonds» ou coco bonds – sont des titres qui peuvent être dépréciés sous certaines conditions définies par la législation «too-big-to-fail» ayant fait suite au sauvetage d'UBS en 2008. Introduites dans le cadre de la révision partielle de la Loi sur les banques de 2011, ces obligations sont comptabilisées dans les fonds propres de base de la banque. Le risque de dépréciation encouru par les investisseurs en cas de crise est compensé par des rendements attrayants (pouvant aller jusqu'à 9% par an).

Pour tenter de sauver la deuxième banque helvétique de la faillite en mars 2023, le Conseil fédéral a donc donné l'autorisation à la FINMA d'amortir complètement les AT1 de Credit Suisse, dont la valeur était chiffrée à CHF 16.5 milliards. Pour les détentrices et détenteurs des obligations, cela signifiait une perte sèche. Près de 3'000 d'entre eux ont donc réagi en déposant dans la foulée des plaintes auprès du TAF, occasionnant 360 procédures. Parmi ces recourants se trouvaient des investisseurs suisses et étrangers ainsi que des acteurs institutionnels tels que des caisses de pension, selon l'Aargauer Zeitung. Deux ans et demi plus tard, les juges de Saint-Gall ont donné raison aux plaignants. Selon leur jugement, la banque remplissait les exigences réglementaires en matière de fonds propres au moment de la décision, faisant face à un problème de liquidité, et non de solvabilité. Les conditions pour déclarer la situation d'urgence n'étaient ainsi pas réunies. Il aurait, de plus, fallu que Credit Suisse ait fait l'objet d'une procédure d'assainissement pour que la FINMA ait le droit de déclencher l'amortissement des AT1. Enfin, il manquait une base légale claire pour la décision, ont souligné les juges, l'ordonnance de nécessité du 16 mars 2023 n'étant pas suffisante.
Dans Le Temps, le professeur Yvan Lengwiler, spécialiste en réglementation bancaire à l'université de Bâle, a livré un éclairage permettant de mieux comprendre les raisons sous-jacentes à la décision du TAF. D'après lui, le TAF a considéré que le point de non-viabilité à partir duquel le régulateur peut exiger l'amortissement des AT1 n'est atteint qu'au moment où la banque est en situation d'insolvabilité. Dans le cas de Credit Suisse, la situation réelle des fonds propres était masquée par un filtre réglementaire lié à un allègement accordé par la FINMA, raison pour laquelle la banque, sur le papier, remplissait encore les exigences. Le rapport de la Commission d'enquête parlementaire (CEP) a cependant révélé que, dans les faits, la banque avait un problème de capitaux. D'ailleurs, la décision du TAF a de quoi «susciter quelques ricanements dans les milieux bancaires, bien conscients à l'époque que la survie du zombie qu'était devenu Credit Suisse n'était qu'une question d'heures», a précisé Le Temps. Pour le professeur Lengwiler, le jugement du TAF a ainsi démontré une «faille énorme» dans le dispositif «too-big-to-fail».

Deux questions cruciales ont donc émergé de ce jugement. D'une part, les observateurs et observatrices se sont accordés sur le fait que la réglementation devait être plus précise afin que les instruments TBTF tels que les AT1 puissent jouer leur rôle en cas de nouvelle crise.
D'autre part, si le jugement du TAF venait à être confirmé par le Tribunal fédéral (TF) – la FINMA a annoncé un recours contre la décision –, à qui la facture colossale serait-elle adressée ? Selon Le Temps, différents juristes ont indiqué qu'il était trop tôt pour répondre à cette question, qui sera étudiée après le recours au TF. Dans un contexte déjà tendu entre la Confédération et UBS autour de la question des fonds propres, cette inconnue supplémentaire a fait couler beaucoup d'encre. La crainte évoquée: qu'UBS, contrainte de rembourser les détenteurs des obligations AT1 en fonction de la décision du TF, se retourne ensuite contre la Confédération, s'estimant trompée par les conditions du rachat, et que, in fine, ce soit au contribuable de passer à la caisse.

Quelques semaines plus tôt, la justice américaine s'était elle aussi prononcée sur la question, dans le cadre d'une plainte au civil déposée par un groupe d'investisseurs détenteurs d'AT1 contre la Confédération. La Cour du district sud de New York a jugé l'action civile irrecevable, le for juridique pour les actions intentées contre la Confédération se trouvant en Suisse. C'est donc dans les tribunaux helvétiques que se poursuivra cette saga juridique.