Lors de la conférence Moebius à Lugano, Pietro Supino – éditeur et président de TX Group – a déclaré que la presse suisse survivrait et que le pays est un paradis pour le journalisme. Et pourtant, à l'automne 2023, les suppressions de postes dans les médias ont déferlé sur la Suisse.
Tout d'abord, c'est en Suisse romande que la foudre a frappé. Début septembre, l'écho de trois postes biffés au Temps – pour des raisons financières – a résonné en Romandie. Mais, c'est TX Group, qui possède Tamedia, qui a provoqué, fin septembre, le plus de remous. Pour être précis, il a annoncé la suppression de 28 postes dans ses rédactions francophones, afin d'économiser près de CHF 3.5 millions. La Tribune de Genève, le 24 Heures, la rédaction T – rédaction commune entre les titres de Tamedia en Suisse romande – et Le Matin Dimanche étaient touchés. A la suite de cette annonce, l'Etat de Vaud et la ville de Genève ont communiqué leurs préoccupations à Tamedia. En effet, la diversité de l'information en Suisse romande et un nombre d'emplois importants étaient en jeux. Pour Tamedia, ces coupes de personnel sont nécessaires afin de s'aligner sur l'évolution du chiffre d'affaires et sur un modèle économique visant la transformation numérique des médias, le modèle actuel étant sous pression. De plus, l'entreprise a assuré que ces mesures n'impacteront pas la qualité des informations et que les lecteur.trice.s ne s'en apercevraient pas.
Cette décision n'a été comprise ni par les rédactions, ni par les syndicats. En effet, TX Group a annoncé des bilans fiscaux 2022 positifs – 47 millions de dividendes – et les revenus du groupe avant la communication des licenciements étaient en hausse. Le syndicat Syndicom fut donc en colère : «La seule stratégie industrielle de TX Group se résume [...] à des coupes allant vers une fin inexorable des journaux imprimés et de leurs rédactions.» Tamedia avait déjà supprimé des postes en 2021 – 6.5 postes à temps plein. Le groupe a été accusé, par Melina Schroeter, secrétaire syndicale chez Syndicom, de créer des postes sur le court terme et de les supprimer par la suite, étant attiré par le profit. Le syndicat n'a pas été le seul à manifester son «ras le bol». A la fin septembre 2023, des mobilisations politiques ont été organisées devant la tour Edipresse à Lausanne. Ainsi, des politiciens de la gauche – en campagne pour les élections fédérales 2023 – ont participé à ces mobilisations et souligné l'incompréhension autour de ces licenciements: «des licenciements économiques dans une entreprises aussi profitable, cela soulève l'indignation», s'est exprimé Pierre-Yves Maillard (ps, VD). Lors de ces manifestations, des pancartes brandies par les manifestant.e.s ont revendiqué le maintien des postes et du journalisme: «Tamedia tue vos médias saison 5», «Journalistes virés, Vaudois désinformés» ou encore «Tamedia, l'info en lambeaux». Caroline Gebhard – présidente vaudoise d'Impressum – a dénoncé la politique du groupe alémanique et son rapport à la production d'information : «Depuis des années, TX Group ne soupèse plus, il écrase». Puis, la Suisse alémanique a aussi vu la suppression de 20 postes dans les rédactions des journaux payants de TX Group. En pour cent, ceci reste cependant moins élevé qu'en Romandie où environ dix pour cent des postes ont été supprimés. Par la suite, la presse gratuite a aussi été touchée par des licenciements, élevant le total des coupes des effectifs du TX Group à 80 places en Suisse.
En novembre, CH Media, troisième plus grand groupe médiatique privé de Suisse, a aussi annoncé des licenciements. Le total s'est finalement élevé à 140 postes (dont 80 licenciements). Le groupe de presse argovien a invoqué des raisons financières et la nécessité d'investir pour l'avenir. Il avait ainsi noté une perte de 6.9 millions durant le premier semestre de 2023. De plus, avec le manque de recettes publicitaires, la situation s'est encore aggravée et a mené aux coupes de personnel. Sur le plan social, les médias concernés, cités ci-dessus, ont annoncé avoir essayé de limiter les licenciements, notamment avec la prise de retraites anticipées.
Le secteur privé n'est pas le seul à être sous pression. Avec l'initiative SSR «200 francs ça suffit !», l'entreprise de radio et télévision subventionnée a fait retentir la sirène d'alarme, affirmant que si la redevance était réduite, ceci aurait un impact sur le personnel, estimant le nombre de postes en danger à 900. Aussi, à partir de 2027, CHF 240 millions viendraient à manquer.
Les médias suisses vivent une transition qui, selon certain.e.s, n'est pas un souci et qui, pour d'autres, mènera à la fin de la presse. L'initiative concernant la SSR sera traitée par le Parlement dès 2024 et se glissera certainement dans les urnes helvétiques en 2026.