En mai 2024, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des États (CER-CE) a examiné le projet de révision de la loi sur les cartels (LCart). Par 10 voix contre 0 et 2 abstentions, elle a soutenu le projet global, notamment les points sur la modernisation du contrôle des concentrations, le renforcement du droit civil des cartels et l’amélioration de la procédure d’opposition. L’évaluation de l’impact notable d’un accord sur la concurrence, formulé dans l'article 5, al. 1bis et issu de la motion d'Olivier Français (plr, VD) 18.4282, a toutefois été au centre des débats. En effet, la majorité de la commission a préconisé une application plus étroite – c'est-à-dire avec davantage de critères – des articles 5, al. 1bis et de l'art. 7 sur l'évaluation des accords cartellaires illicites tandis que la minorité souhaitait supprimer ces dispositions et maintenir la pratique actuelle. En outre, la majorité s'est opposée à la limitation de l’infraction de l'entente horizontale sur les prix (art. 5, al. 3, let. a) et a refusé d'introduire une dérogation dans le domaine du sport professionnel. Finalement, la commission a proposé à l'unanimité d’accorder une plus grande marge de manœuvre au Conseil fédéral dans les cas urgents (art. 8).
Le Conseil des Etats a débattu sur le projet lors de la session d'été 2024. Si l'entrée en matière et l'article 4, al. 1bis se sont décidés sans opposition, la suite du texte a fait l'objet d'intenses débats. Concernant l'art. 5, al. 1bis, Hans Wicki (plr, NW) est intervenu au nom de la commission pour argumenter en faveur d'une application plus étroite de l'article, en introduisant des critères clairs pour juger de l'illégalité d'un accord de concurrence. Selon la majorité, il faudrait mieux encadrer la pratique de la Commission de la concurrence (COMCO), dont les enquêtes devraient, avec ce nouvel article, démontrer clairement les effets dommageables d'une restriction de la concurrence avant d'agir. Opposé à la mesure, Carlo Sommaruga (ps, GE) a dénoncé cet article, estimant qu'il s'agissait d'une pièce rapportée suite à la motion Français 18.4282 et qu'il affaiblirait la LCart. Selon lui, cet article va à l'encontre des recommandations de l'OCDE, il compliquerait la procédure de la COMCO, et nuirait aux consommateurs et aux PME. Hannes Germann (udc, SH) s'est également opposé à l'article, estimant qu'il est anticonstitutionnel et menacerait les relations de libre-échange avec l'Union européenne (UE). A l'issue du débat sur cet article, le ministre de l'économie Guy Parmelin s'est également exprimé contre cette mesure, estimant qu'elle pourrait entraîner des procédures inefficientes. Finalement, l'article 5 al. 1bis a été refusé par 24 voix contre 20. Le droit en vigueur devrait donc rester inchangé pour cet article.
Ensuite, le Conseil des Etats s'est penché sur l'article 5, al. 3 let. a), une proposition d'une minorité de la CER-CE, composée de Hannes Germann (udc, SH), Primin Bischof (centre, SO), Thierry Burkart (plr, AG), Fabio Regazzi (centre, TI), Erich Ettlin (centre, OW) et Martin Schmid (plr, GR). Cette proposition vise à ce que seuls les cas les plus flagrants de restrictions de la concurrence puissent être directement sanctionnés. Portant la voix de la minorité, Hannes Germann (udc, SH) est intervenu pour expliquer que la COMCO estime actuellement que pratiquement tous les accords qui influencent les prix, même indirectement, doivent être sanctionnés. La minorité souhaite que la COMCO agisse de manière plus ciblée. Hans Wicki (plr, NW), pour la majorité, a expliqué qu'une telle mesure irait trop loin et que des procédures judiciaires en cours sur la question rendent cette proposition inappropriée pour l'instant. Finalement, La proposition de la minorité a été adoptée par 28 voix contre 16.
La suite du débat s'est porté sur l'article 6, al. 4. La minorité, composée de Fabio Regazzi (centre, TI), Pirmin Bischof (centre, SO), Erich Ettlin (centre, OW), Peter Hegglin (centre, ZG) et Martin Schmid (plr, GR), a proposé de faire une exception pour les accords dans le domaine des ligues sportives professionnelle, notamment pour le hockey sur glace, afin de permettre aux clubs d'établir des plafonds salariaux. Cette mesure vise à freiner les augmentations salariales excessives. Les députés socialistes Carlo Sommaruga (ps, GE) et Pierre-Yves Maillard (ps, VD) ont affiché leur soutien à la mesure. Tous deux ont souligné que les clubs sportifs sont des acteurs économiques qui diffèrent des entreprises de production «classiques», et qu'il est plus judicieux d'introduire une règle de fair-play financier entre clubs sportifs dans la LCart plutôt que dans d'autres régulations pensées pour le reste de l'économie. Au nom de la majorité, Hans Wicki (plr, NW) a estimé que la création d'une telle réglementation posait plusieurs problèmes. Tout d'abord, elle constituerait une incohérence, car elle insère un cas spécifique dans une règle de droit générale et abstraite. De plus, la majorité a estimé que seul l'avis des clubs a été pris en compte dans cette proposition, en omettant de consulter les joueurs. Werner Salzmann (udc, BE) a plaidé pour que le législateur reste en dehors de la libre concurrence entre les clubs. Guy Parmelin est intervenu à la fin du débat en déplorant le manque de clarté de cette proposition et de ses conséquences. Il a expliqué également que les réglementations sectorielles sont étrangères au droit suisse des cartels et que la LCart actuelle est suffisante. Finalement, la proposition de la minorité a été acceptée par 31 voix contre 8 et 5 abstentions.
Ensuite, les députés se sont penchés sur l'article 7, al. 3 proposé par la majorité. Cet article concernait l'abus de position dominante sur le marché et, en substance, pose la même question que l'article 5, al. 1bis susmentionné. Bien que ces articles traitent différents domaines – les ententes illicites pour l'art 5, al. 1bis et les abus de positions dominantes pour le présent article – la majorité a estimé que la COMCO devrait démontrer la nocivité d'un abus de position dominante avant d'agir. En outre, Beat Rieder (centre, VS) a formulé une variante individuelle. Cette variante propose de reprendre la proposition majoritaire, à l'exception de la lettre «g» de l'art. 7 al. 3, afin que la COMCO n'ait pas à fournir des preuves dans le cas d'un comportement cartellaire compliquant ou rendant impossible les importations parallèles. Au nom de la minorité, Carlo Sommaruga (ps, GE) s'est opposé aux deux propositions, estimant que tant l'une que l'autre remettraient en cause le fonctionnement actuel de la LCart et fonctionnerait au détriment des PME et des consommateurs. Le Conseil fédéral s'est également opposé aux deux options. En premier lieu, c'est la variante Rieder qui a été acceptée par 23 voix contre 21. Toutefois, à la fin de la séance , Hannes Germann (udc, SH), soutenu par Primin Bischof (centre, SO), a proposé de revenir sur le vote de l'article 7, al.3, estimant que la variante Rieder constitue une totale contradiction avec le vote du Conseil sur l'article 5, al. 1bis. La majorité du Conseil des Etats a accepté de revenir sur le vote, malgré le mécontentement de Beat Rieder (centre, VS). Finalement, la proposition de la minorité a évincé la variante Rieder par 22 voix contre 17 et 6 absents lors du vote. C'est donc la version initiale du Conseil fédéral qui reste en vigueur.
La majorité a également proposé un amendement de l'article 49, al. 1. Dans cet article, la majorité souhaitait que les mesures préventives mises en place par une entreprise pour empêcher des pratiques illégales soient prises en considération lors de la détermination d'une sanction pour pratique cartellaire. En somme, si une entreprise prend des mesures pour éviter les infractions, la COMCO doit avoir une base légale pour en tenir compte dans sa décision. Selon le député Germann (udc, SH) cette mesure n'est pas nécessaire. Le Conseil fédéral s'est également opposé, estimant que les entreprises ne devraient pas être récompensées alors qu'elles ont enfreint la loi. Finalement, la proposition de la majorité a été acceptée par 30 voix contre 12.
A l'issue de ce long débat, comptant pas moins de septante prises de paroles, le Conseil des Etats a approuvé, au vote sur l'ensemble par 33 voix contre 4 et 1 abstention, ce projet de révision. Par ce vote, la chambre haute a par ailleurs accepté de classer les motions 16.4094, 18.4282 et 21.4189. Le texte est désormais entre les mains de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER-CN) qui devra traiter les divergences.