Dans les urnes, la population helvétique a largement adopté la loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables. Fruit d'un compromis parlementaire, cette réforme âprement discutée au Parlement a été validée par 68.7 pour cent des Helvètes (avec un taux de participation de 45.39 pour cent). La réforme de l'énergie s'impose comme la pierre angulaire de la transition énergétique en Suisse. En effet, elle concrétise l'adoption dans les urnes en mai 2017 de la Stratégie énergétique 2050, et dans une moindre mesure, de la loi sur le climat, en juin 2023. Son objectif est de renforcer l'approvisionnement en électricité de la Suisse en misant sur le développement des énergies renouvelables comme l'hydraulique, le solaire et l'éolien, avec notamment une accélération des procédures pour la construction d'infrastructures énergétiques. Un renforcement de la production indigène d'énergie renouvelable doit permettre d'éviter les pénuries d'énergie en hiver et de renforcer l'indépendance énergétique de la Suisse.
A l'aube de la victoire de la réforme de l'énergie, la presse helvétique a non seulement salué un «plébiscite pour les énergies renouvelables», «Un plebiscito per potenziarele rinnovabili » ou encore un «coup de fouet aux énergies vertes», mais a également ouvert le débat sur la réalisation des objectifs de production d'énergie renouvelable ambitieux et contraignants de la réforme. Certains journaux ont ainsi parlé du début d'une «course contre la montre», alors que plusieurs parlementaires, positionnés à droite sur l'échiquier politique, n'ont pas attendu pour avancer les pions de l'énergie nucléaire. Ainsi, le large consensus au sein de la population helvétique a paradoxalement attisé les braises du débat politique avec le retour en force de l'énergie nucléaire, en particulier au sein de l'UDC, ou encore le dépôt d'une initiative populaire sur l'énergie solaire pour les Vert-e-s.
La campagne a mis en lumière des alliances et des divergences inédites sur la scène politique. D'une part, la majorité de l'échiquier politique, et surtout une large majorité du Parlement, a soutenu la réforme de l'énergie. Les associations économiques ainsi que les principales associations environnementales comme ProNatura, BirdLife, Greenpeace, le WWF ou Aqua Viva ont rejoint le camp des partisans. Si ces associations ont reconnu la tension naissante entre la protection de la nature et la production d'énergie renouvelable, elles ont considéré que l'acte modificateur unique était un projet équilibré qui ne pouvait être perçu que comme un pas en avant vers la transition énergétique et la protection du climat et de l'environnement. D'une autre part, plusieurs associations environnementales moins connues, comme Helvetia Nostra, Paysage libre Suisse ou encore la Fondation Franz Weber se sont opposées à cette nouvelle loi fédérale. Il est intéressant de noter que le référendum a été lancé par un simple citoyen valaisan, Pierre-Alain Bruchez, avant qu'il soit rejoint dans sa démarche par la Fondation Franz Weber, plus habituée dans cette exercice de droit démocratique. Cette frange d'opposants a été ensuite rejointe par l'UDC Suisse qui a décidé, lors de son assemblée des délégués en mars 2023, de préconiser le rejet de la réforme de l'énergie par 242 voix contre 149 et 6 abstentions. Ce rejet a été perçu comme un camouflet infligé au ministre de l'énergie Albert Rösti, qui devait non seulement défendre la réforme selon le principe de collégialité, mais qui avait également largement contribué à son élaboration en tant que conseiller fédéral, ainsi qu'en tant que président de la Commission de l'environnement de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil national (CEATE-CN). Comme le relève l'édition du Temps du 25 avril 2024, cette décision a également créé de la «discorde» au sein des sections cantonales et au sein du groupe parlementaire UDC. En effet, plusieurs parlementaires comme Jakob Stark, Christian Imark ou encore Pierre-André Page ont non seulement martelé leur soutien à l'objet et mis l'accent la qualité des travaux parlementaires lors de l'assemblée des délégués du parti, mais également menés campagne au sein du comité de soutien à la loi.
Ces alliances et divergences inédites ont modelé le débat lors de la campagne. Du côté des opposants, notamment au sein de l'association Paysage libre Suisse, on a critiqué une réforme qui «sacrifie la nature sur l'autel de la production d'énergie et de la protection du climat», qui pose «l'écologie contre la nature», ou encore clamé que «seule une nature forte» peut sauver de la crise climatique indiquant également qu'il ne faut pas céder à l'«hystérie électrique». Pour sa part, l'UDC a concentré sa campagne sur les «milliards pour les barons de l'énergie». L'argument de la protection de la nature a été rejoint par l'attaque aux droits démocratiques des cantons et des communes, avec dans le viseur des opposants, la volonté d'accélération des procédures et la primauté de la production énergétique sur la protection de la nature et du paysage. A l'inverse, les partisans de la réforme de l'énergie ont mis en avant un projet équilibré, fruit des compromis parlementaires et qui doit permettre de concrétiser la Stratégie énergétique, et donc d'assurer le tournant énergétique de la Suisse. L'Alliance pour l’électricité a indiqué que la loi protégeait non seulement la nature et le paysage, mais également les consommateurs et consommatrices grâce à un renforcement de l'énergie indigène qui devrait garantir une meilleure stabilité des prix de l'électricité. En outre, les partisans ont utilisé l'argument du renforcement de la souveraineté énergétique pour convaincre l'électorat UDC et mis en avant le soutien des grandes associations environnementales comme garant du bien-fondé de la réforme pour la protection de la nature et des paysages.
En ce qui concerne l'intensité de la campagne, l'analyse APS confirme que la réforme de l'énergie a phagocyté l'attention médiatique lors de la campagne du 9 juin 2024. Selon les chiffres APS, la campagne sur la réforme de l'énergie a été plus intense que la plupart des campagnes populaires en Suisse depuis 2013, bien que moins intense que la campagne sur la Stratégie énergétique (mai 2017), la loi sur le CO2 (juin 2021) ainsi que celles sur la loi sur le climat et l'innovation (juin 2023). En particulier, l'analyse note un changement de paradigme depuis la campagne sur la Stratégie énergétique 2050. Alors que la campagne de mai 2017 avait été majoritairement dominée par le camp opposé à la Stratégie énergétique 2050, la campagne de juin 2024 met en lumière une campagne sur la réforme de l'énergie plus intense du côté des partisans. Cette analyse APS est confirmée par les statistique du Contrôle fédéral des finances (CDF) qui indique un budget de CHF 4’393’055 millions pour les partisans, avec le WWF Suisse et la Fondation Suisse de l'énergie comme principaux donateurs, et de CHF 1’580’155 pour les opposants, avec l'association Paysage libre Suisse comme principal donateur.
En parallèle, l'analyse VOX indique que l'adoption de la réforme de l'énergie a été identique sur l'ensemble de l'éventail politique helvétique, à l'exception des sympathisant.e.s de l'UDC qui ont soufflé le chaud et le froid sur cette réforme. D'après l'analyse, l'argument de l'urgence de l'expansion de la production des énergies renouvelables et la volonté de contrecarrer le changement climatique ont reçu un large écho au sein de la population. Les citoyens et citoyennes ont ainsi retenu la nécessité d'amorcer le tournant énergétique comme principal objectif de la réforme. L'argument de l'indépendance énergétique a également fait mouche chez les défenseurs de la réforme, alors que les arguments des risques pour la nature et le paysage, et de l'affaiblissement des droits démocratiques ont été entendu, mais uniquement par les opposants à la réforme.
Au final, cette large adoption, lors de la votation du 9 juin 2024, de la loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables par deux tiers de la population helvétique a esquissé plusieurs enseignements. Premièrement, elle s'impose comme la première victoire politique majeure d'Albert Rösti dans son nouveau costume de conseiller fédéral. Malgré le défi imposé par son parti politique, le ministre UDC a réussi à naviguer en eaux troubles et à imposer «sa» réforme de l'énergie. Deuxièmement, après l'adoption de la loi sur le climat et l'innovation en juin 2023, le peuple Suisse a confirmé sa volonté d'accélérer le tournant énergétique en assurant une production indigène et renouvelable afin de renforcer la sécurité énergétique de la Suisse. Troisièmement, si certains politiciens comme Roger Nordmann (ps, VD) se réjouissaient d'une votation qui «enfonce le dernier clou dans le cercueil du nucléaire», d'autres ont plutôt saisi la balle au bond pour tenter de reprendre ou de garder la main sur la politique énergétique Suisse. D'un côté, les Vert-e-s ont déposé une initiative populaire pour renforcer la présence des panneaux photovoltaïques sur les toits et les façades des bâtiments. D'un autre côté, la droite a jugé que, pour atteindre les objectifs ambitieux de la réforme, il fallait avoir «le courage» de remettre le nucléaire sur la table. Une chose est certaine: la conseiller fédéral Albert Rösti ne pourra pas laisser très longtemps le dossier énergétique dans un tiroir du palais fédéral.
Votation du 09 juin 2024
Participation: 45.39%
Oui: 1'717'607 (68.72%) / Cantons: 26
Non: 781'811 (31.28%) / Cantons: 0
Consignes de vote:
- Oui: Vert-e-s, PS, PES, Le Centre, PLR, PVL, MCG, PST, PSS, CDC, USP, USS, USAM, UVS, TravS, ATE, UTP, Association des entreprises électriques suisses, WWF, Pro Natura, Greenpeace, Grève du climat, Fondation suisse pour la protection et l'aménagement du paysage, Groupement suisse pour les régions de montagne (SAB), Club alpin suisse (CAS), Fédération suisse de pêchem, Société Suisse des Entrepreneurs, HotellerieSuisse, GastroSuisse, AutoSuisse, HabitatDurable, Stiftung für Konsumentenschutz (SKS), Schweizerisches Konsumentenforum, Fédération romande des consommateurs
- Non: UDC*, Fondation Franz Weber, Payage Libre Suisse, Helvetia Nostra, Aqua Viva
- Liberté de vote: UDF*
* Sections cantonales divergentes
- Oui: UDC(BE), UDC (FR), UDC (GL), UDC (JU), UDC (SG) UDC (TI), UDF (BE)
- Non: UDF (FR), PLR (AG)
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