Comme anticipé dans la presse, les grandes lignes des mesures destinées à renforcer la stabilité des banques, communiquées début juin par le Conseil fédéral, contenaient une hausse des exigences en matière de fonds propres pour les banques d'importance systémique (EBIS). Parmi les nombreuses mesures prévues, c'est celle-ci qui a suscité le plus de réactions dans la sphère publique, et en particulier de la part de l'UBS, principale concernée. Le feuilleton ne fait que commencer, puisque le Parlement aura son mot à dire à ce sujet, s'agissant d'une modification de la loi. Toutes les mesures, que ce soit des modifications de loi ou d'ordonnance, seront mises en consultation au préalable.
Dans le but d'améliorer le dispositif «too-big-to-fail», le Conseil fédéral s'est appuyé, d'une part, sur son rapport d'avril 2024 sur la stabilité des banques, et, d'autre part, sur le rapport de la Commission d'enquête parlementaire (CEP) de décembre 2024. Trois priorités ont été identifiées pour renforcer la place financière et diminuer les risques pour l'Etat, les contribuables et l'économie suisse. Il s'agit de «renforcer la prévention, renforcer les liquidités et augmenter les instruments à disposition en cas de crise». Dans l'aspect préventif, une nouvelle mesure clé doit être l'instauration d'un régime de responsabilité: les banques devront indiquer à l'avenir quelles personnes prennent quelles décisions, afin d'imputer clairement la responsabilité d'un comportement fautif à l'individu concerné et prendre des sanctions en conséquence. Il pourra s'agir de la restitution de rémunérations variables déjà versées ou de la réduction voire la suppression de bonus, ce qui n'avait pas été possible lors de la faillite de Credit Suisse, faute de base légale, a indiqué Le Temps (7.6.). En outre, les compétences de la FINMA en termes de surveillance des marchés financiers vont être élargies. Celle-ci pourra, si cela est confirmé par le législatif, ordonner des mesures d'intervention plus rapidement et de manière plus efficace, prononcer des sanctions administratives pécuniaires contre les établissements manquants à leurs obligations, et retirer l'attestation d'une activité irréprochable ou prononcer une activité d'exercer. Pour le renforcement des liquidités, la BNS proposera des possibilités d'approvisionnement étendues grâce à une simplification des transferts de sûretés pour les banques. En ce qui concerne les instruments à disposition en cas de crise, le Conseil fédéral a prévu d'améliorer le plan de stabilisation et de liquidation des banques d'importance systémiques, inscrivant de nouvelles solutions de liquidation dans la loi.
Mais parmi ces mesures, c'est donc l'obligation pour les banques d'importances systémiques de déduire de leurs fonds propres la valeur comptable des participations qu'elles détiennent dans des filiales étrangères qui a fait couler le plus d'encre. Actuellement, les banques suisses ne doivent que partiellement couvrir leurs participations dans des filiales à l'étranger par des fonds propres. Ainsi, si une filiale perd beaucoup de valeur, la banque mère, en Suisse, enregistre une diminution de ses fonds propres, qui ne sont pourtant pas destinés au financement des filiales. La banque mère ne dispose donc plus de ces fonds lorsqu'elle doit couvrir ses propres risques opérationnels, ce qui peut restreindre considérablement sa marge de manœuvre. En obligeant les banques à une capitalisation complète de leurs filiales dans les fonds propres, le Conseil fédéral veut éviter que les difficultés de filiales étrangères n'aient d'impact sur les fonds propres de base dur (common equity tier 1, CET1) de la banque, à l'image de ce qui était arrivé à Credit Suisse. Dans son communiqué de presse, le Conseil fédéral a précisé renoncer à des mesures visant à un relèvement général des exigences en matière de fonds propres. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une hausse du ratio de fonds propres, mais d'une application du ratio actuel à toutes les échelles. Des délais transitoires relativement longs seront accordés aux banques afin de se conformer aux exigences de fonds propres.
Ces révisions de lois seront mises en consultation dans deux projets distincts. Le premier traitera de la modification des exigences en termes de fonds propres, le second des autres mesures. Dans le même temps, des modifications d'ordonnances seront soumises à consultation. L'ordonnance sur les fonds propres (OFR) sera modifiée afin d'instaurer des règles plus strictes concernant l'évaluation des actifs dont la valeur est insuffisante durant une crise, comme des logiciels ou des créances fiscales latentes. Des ajustements seront également apportés à l'ordonnance sur les liquidités (OLiq), afin que les banques en difficulté fournissent régulièrement des informations complètes et à jour, ainsi que des scénarios d'analyse sur l'état de leurs liquidités. Cela permettra une évaluation en tout temps de la part de la FINMA ou des autres autorités de régulation.
Sans surprise, l'UBS a été très critique envers la mesure de capitalisation complète des filiales étrangères dans les fonds propres, estimant que cela nuirait à sa compétitivité en raison des montants importants qui devraient être levés, estimés à CHF 20 milliards. En parallèle, l'Association suisse des banquiers a qualifié le paquet de mesures de «surchargé»: trop de nouvelles réglementations, avec un champ d'application trop large. Dans son communiqué de presse, la faîtière du secteur bancaire a regretté qu'on réagisse «à une crise au sein d'une seule banque, imputable à cette banque elle-même, par une vague réglementaire touchant toutes les banques». A l'inverse, la présidente de la CEP et sénatrice Isabelle Chassot (centre, FR) a salué des mesures «ciblées et pertinentes, faisant écho aux recommandations, motions et postulats de la commission d'enquête». Le Conseil fédéral a en effet précisé que ces interventions seront intégrées dans les projets de révision de la loi et des ordonnances. La sénatrice Chassot a cependant regretté que le Conseil fédéral renonce à régler la question des fonds propres nécessaires pour les filiales à l'étranger par voie d'ordonnance, soulignant que le Parlement «a montré par le passé ne pas être à l'abri du lobbying dans ce dossier».