La votation historique sur l’EEE a donné lieu à une participation exceptionnelle (78,7%); il faut remonter au mois de juillet 1947 pour retrouver un pareil taux. Alors que, pendant la session spéciale des Chambres fédérales, les sondages effectués indiquaient encore qu'une majorité de citoyens avait l'intention de voter oui, le peuple et les cantons ont rejeté le traité EEE à une majorité de 50,3% et par 14 cantons et 4 demis-cantons. L'élément marquant de ce scrutin a été le clivage net entre la Suisse romande d'une part et la Suisse alémanique et le Tessin d'autre part.
Votation du 6 décembre 1992
Participation: 78,7%
Non: 1'786'708 (50,3%) / 14 et 4/2 cantons
Oui: 1'762'872 (49,7%) / 6 et 2/2 cantons (BL, BS, FR, GE, JU, NE, VS, VD)
Mots d'ordre:
Non: UDC (2*: VD, BE), PES (6*: VD, FR, GE, NE, JU, BL), PA, DS, Lega dei Ticinesi, UDF, FraP; ASIN, USP, Astag, LSPN
Oui: PRD (2*: GR, SZ), PDC (2*: OW, NW), PSS, PLS, AdI, PEP, PdT, gouvernements cantonaux; UCAP, Vorort, USAM (8*: AG, AI, BL, GR, NW, TG, ZH, BE), USS, CSCS, Association suisse des banquiers, nombreuses associations économiques
Liberté de vote: WWF, ATE
*Recommandations différentes sur les plans cantonaux.
Selon l'analyse VOX, les premières traces de recul des opinions favorables au traité sont intervenues dans le courant de l'été dès le début de l'offensive des opposants, emmenés par l'UDC zurichoise, et avec la prise de conscience des conséquences de la participation à I'EEE sur la démocratie directe et sur le plan social. Les adversaires du traité ont renforcé leur potentiel d'opposition par une publication d'annonces conséquente qui faisait contrepoids à la partie rédactionnelle de la presse. D'autre part, la campagne des partisans a débuté plus tardivement. Durant les dernières semaines avant la votation, la campagne a atteint une intensité jamais connue ces dernières années.
L'analyse du comportement des citoyens montre que, au moment du vote, les indécis se sont largement ralliés aux courants majoritaires de leur région: ce phénomène a ainsi renforcé l'acceptation en Suisse romande alors que, de l'autre côté de la Sarine, les indécis se sont plutôt rangés du côté du non. Le même phénomène s'est répété pour les abstentionnistes habituels qui s'étaient rendus aux urnes à cette occasion. Outre le clivage linguistique manifeste, il a également pu être mis en évidence que les citadins, les personnes de niveau de formation supérieur et celles se situant politiquement à gauche ont été largement favorables à l'EEE. La plupart des grandes villes alémaniques, telles Bâle, Zurich, Berne, Lucerne et Winterthour, ainsi qu'une partie de leur banlieue, se sont prononcées en faveur du traité. L'analyse par communes confirme cette tendance générale et révèle que le non a été beaucoup plus important dans les régions économiquement pauvres, les zones périphériques et les communes traditionnellement «conservatrices» que dans les régions riches ainsi que dans les villes et les communes «progressistes». Ces conclusions s'appliquent tout particulièrement aux communes alémaniques alors qu'elles doivent être relativisées pour la Suisse romande, où l'acceptation de I'EEE a été plus forte.
Les principales motivations avancées par les partisans s'articulent autour de deux thèmes principaux: d'une part, des motifs d'ordre culturel comme le refus de l'isolement et la volonté d'ouverture vers l'Europe; d'autre part, des arguments économiques, basés sur les avantages que procurerait l'accès au grand marché européen. Ces deux types de motivations étaient également présents chez les adversaires de l'EEE, mais en sens inverse: d'un côté, un réflexe identitaire, alimenté par la crainte de voir s'effondrer une certaine conception de la Suisse, qui s'est manifestée par le refus de toute perte de souveraineté et de l'immigration de travailleurs étrangers; d'un autre côté, la peur du chômage et de la baisse des salaires. Enfin, une troisième catégorie d'opposants a invoqué les lacunes d'information et le manque de clarté du Conseil fédéral. La victoire des adversaires, en Suisse alémanique, a résidé dans leur capacité à énoncer des arguments qui «cadraient» avec certaines croyances et valeurs de la population.
Le revirement récent des autorités fédérales qui, jusqu'à ces dernières années exprimaient une certaine indifférence, voire de la méfiance à l'égard de la CE, peut expliquer un certain désarrói et finalement l'opposition d'un grand nombre de citoyens. Il n'a pas été possible d'évaluer l'impact de la décision du Conseil fédéral de déposer une demande d'adhésion à la CE; on peut cependant signaler qu'une forte majorité des personnes sondées se seraient opposées à une adhésion et qu'un peu plus d'un tiers des personnes ayant approuvé I'EEE auraient refusé d'adhérer à la CE.