Le 6 mars 2024, le Conseil national a repris les débats en plénum concernant la révision totale de la loi sur les douanes (LD), après que le projet soit retourné à la Commission, que de nombreux amendements aient été proposés et que de nombreuses critiques aient été formulées. Pour structurer le débat, le projet a été séparé en cinq blocs. En résumé, les amendements proposés par la majorité de la CER-CN et approuvés par le Conseil national visent à favoriser les conditions cadres de l'économie suisse, en particulier à l'import de matériel et de denrées alimentaires. Les compétences de l'OFDF et des douaniers se voient également élargies par les propositions de la majorité bourgeoise, en particulier concernant les données personnelles sensibles et la récolte d'empreintes digitales. Par ailleurs, les propositions de l'UDC visant à renforcer les contrôles aux frontières et à limiter la coopération avec les autorités étrangères n'ont pas séduit la chambre basse. La gauche, qui souhaitait globalement maintenir un projet plus fidèle à celui du Conseil fédéral, n'a pas non plus réussi à rallier de majorité. A l'issue des débats, toutes les propositions de la majorité de la CER-CN ou issues du projet initial du Conseil fédéral on été acceptées, à l'exception d'une proposition conjointe de Martina Munz (ps, SH) et Kathrin Bertschy (pvl, BE) à l'article 9 de la Loi sur les droits de douane (LDD).
Le Conseil national a directement entamé les débats sur le premier bloc, en particulier sur les articles 1 à 12 de la LE-OFDF. Un des premiers points de tension a été soulevé par une minorité UDC menée par Thomas Aeschi (udc, ZG), qui s'est opposée à l'allègement de l'article 1, portant sur les objectifs de la loi. Cette minorité aurait préféré conserver la formulation stricte proposée par le Conseil fédéral, qui mentionnait explicitement la lutte contre la criminalité transfrontalière et l'immigration illégale. Le Conseil national a toutefois suivi la majorité de la Commission, qui a opté pour une version plus allégée. Le débat central du bloc 1 s'est ensuite concentré sur l'article 6 let. e. La majorité de la commission, représentée par Markus Ritter (centre, SG) et Olivier Feller (plr, VD), a souhaité, sous l'impulsion des milieux économiques, ajouter une composante à la définition des redevances d'importation, à savoir l'inclusion des prix d'adjudication (taxes d'attribution) lors des enchères de contingents tarifaires. Ce changement permet aux entreprises d'être remboursées lors de la réexportation des marchandises. Cette proposition a été vivement critiquée par le PS, les Vert-e-s, les Vert'libéraux et une minorité centriste, qui y voyaient une « subvention cachée » à l'industrie agroalimentaire, notamment celle de la viande. La ministre des finances, Karin Keller-Sutter, a également exprimé des préoccupations sur la conformité de cet amendement avec le droit international et les pertes de revenus pour la Confédération. Cependant, la majorité a fini par l'emporter.
Le deuxième bloc portait principalement sur des mesures destinées à simplifier les contrôles douaniers et à alléger la bureaucratie liée à l'importation de marchandises. À nouveau, les minorités de gauche et de droite ont eu du mal à convaincre la majorité bourgeoise. Une proposition de la majorité visait à ce que seules les marchandises soumises à des droits de douane soient déclarées à la frontière, afin que les démarches administratives soient simplifiées. Une minorité UDC menée par Thomas Aeschi (udc, ZG) aurait souhaité expliciter plus clairement les catérogies de produits concernés. La minorité de gauche menée par Franziska Ryser (vert-e-s, SG) et représentée à la tribune par Sophie Michaud Gigon (vert-e-s, VD) s'est opposée tant aux amendements proposés par la majorité que par l'UDC, craignant qu'ils ne compromettent les recettes fiscales et facilitent la contrebande. La ministre des finances Karin Keller-Sutter s'est également opposée à ces deux amendements qui réduiraient l'efficacité du programme DaziT. Lors du vote, les arguments de la majorité en faveur de la simplification des processus ont été plébiscités et les deux propositions minoritaires refusées. L'article 14 a ensuite suscité un autre débat sur la bureaucratie, avec une proposition de la majorité de droite visant à lister explicitement les personnes soumises à l'obligation de déclaration, y compris les plateformes de vente en ligne. Cet amendement a été critiqué sans succès par la gauche comme étant excessivement bureaucratique et potentiellement contraire à la liberté économique. Le dernier débat du bloc 2 a concerné l'importation de matières premières pour l'industrie agroalimentaire suisse. A l'article 29, la majorité de la Commission, encouragée par les milieux économiques, souhaitait consulter systématiquement les parties prenantes avant de délivrer des autorisations d'importation. La gauche a critiqué cette approche comme étant trop lourde, mais a finalement soutenu une proposition alternative de Daniela Schneeberger (plr, BL), qui prévoyait une consultation plus restreinte pour certains produits. Seule une petite minorité de 21 parlementaires UDC aurait souhaité conserver la proposition initiale de la majorité.
Le troisième bloc a concentré les débats sur quatre thèmes principaux, à savoir, la perception de la TVA lors de l'importation de produits, la transparence quant à la provenance de métaux précieux, le remboursement des droits de douane pour certains produits de base utilisés dans l'industrie agroalimentaire, ainsi que la production d'amidon en Suisse. Globalement, les minorités ont essuyé défaite sur défaite. En détail, la minorité menée par Markus Ritter (centre, SG) a proposé de modifier la loi sur la TVA (LTVA) afin de supprimer la franchise douanière, actuellement fixée à CHF 300. Concrètement, selon cette proposition, toute marchandise importée devrait être déclarée et serait soumise à la TVA, même «des pâtes achetées à Milan» selon Beat Walti (plr, ZH). La proposition, soutenue par une majorité des élu.e.s des Vert-e-s et du Centre et une partie de l'UDC, n'a toutefois pas été acceptée. Ensuite, plusieurs propositions issues de minorités roses-vertes menées par Samuel Bendahan (ps, VD), Balthasar Glättli (vert-e-s, CN) et Franziska Ryser (vert-e-s, SG) visaient à introduire des obligations de diligence pour les importateurs de minerais en reprenant les normes de l'OCDE, et à renforcer la transparence sur l'origine des métaux précieux importés. Ces mesures ont été refusées par la majorité, qui les considérait difficiles à mettre en œuvre, bien que soutenues par l'Association suisse des fabricants et commerçants de métaux précieux (ASFCMP). Une autre partie du débat a porté sur une proposition majoritaire concernant l'importation, puis la réexportation de matières premières alimentaires, en particulier des graisses animales. Selon Kathrin Bertschy, le remboursement des droits de douanes pour cette denrée coûte CHF 10.5 Mio. par année à l'Etat. La députée vert'libérale a fustigé la majorité de vouloir normaliser cette pratique lucrative dans la loi, alors qu'elle est non conforme aux règles de l'OMC. Finalement, une proposition conjointe de Martina Munz (ps, SH) et Kathrin Bertschy (pvl, BE) visant à protéger la production suisse d'amidon contre une distorsion de la concurrence due à l'importation de blé tendre a été soutenue par une courte majorité de 96 voix (17 PLR, 39 PS, 21 Vert-e-s, 9 Centre, 10 Vert'libéraux) contre 85 (9 PLR, 63 UDC, 13 Centre) et 9 abstentions.
Dès le début des débats concernant le bloc 4, la question du contrôle des personnes aux frontières, en particulier aux articles 90, 91, 93, 104 et 111 de la LE-OFDF, a concentré l'essentiel des dissensions. Au nom de la minorité UDC, Thomas Aeschi (udc, ZG) a proposé, à l'art. 90, l'instauration de contrôles systématiques aux frontières. Il a également signalé au Conseil national que, si le législatif n'accédait pas aux demandes de l'UDC, celle-ci lancerait alors son «Initiative pour la protection des frontières». A l'article 93, le député bernois Erich Hess (udc, BE) a encore une fois proposé l'instauration de tels contrôles aux frontières, sans succès. La minorité de gauche, quant à elle, s'est opposée à l'élargissement des pouvoirs de l'OFDF dans les contrôles de marchandises et de personnes, notamment à l'article 104, qui permettrait la collecte d'empreintes digitales. Balthasar Glättli (vert-e-s, ZH) s'est particulièrement inquiété que la Commission ne prenne pas suffisamment en compte les questions liées à la protection des données et qu'avec ses propositions, elle transforme «les douanes et les gardes-frontières en une super-police», abîmant ainsi les compétences cantonales dans le domaine. Malgré le soutien des Vert'libéraux à la gauche sur cette question, la majorité a voté en faveur de l'extension des compétences. En outre, a l'issue du bloc 5, l'actualisation de l'Arrêté fédéral portant approbation et mise en œuvre des accords bilatéraux d'association à l'Espace Schengen et à l'Espace Dublin a été accepté sans grand débat, par 159 voix (27 PLR, 34 PS, 62 UDC, 28 Centre, 8 Vert'libéraux) contre 28 (2 PS, 4 UDC, 21 Vert-e-s, 1 Vert'libéral) et 4 abstentions.
Le dernier bloc portait essentiellement sur la protection des données. La minorité de gauche (Ryser) a souhaité encadrer plus clairement les nouvelles compétences de l'OFDF à l'article 117, portant sur le traitement de données personnelles sensibles, afin d'éviter une perte de compétence des cantons dans ce domaine, d'assurer une gestion claire du système d'information, et d'éviter des atteintes aux droits fondamentaux. Emmanuel Amoos (ps, VS) a toutefois exprimé l'avis partagé du groupe socialiste, qui estime, d'un côté, que le traitement de données aussi sensibles devrait relever exclusivement du Service de renseignement de la Confédération (SRC) et de Fedpol. D'un autre côté, les données sensibles relatives à la santé devraient pouvoir être accessibles à l'OFDF, lorsque des personnes importent des médicaments pour se soigner ou en cas de maladies contagieuses. Ces opinions minoritaires n'ont néanmoins pas convaincu au-delà du camp rose-vert. Thomas Aeschi a également proposé de supprimer les dispositions permettant la transmission de données sensibles à des autorités étrangères. «Si cela ne concernait que des étrangers, je n'y verrais pas de problème» a-t-il déclaré. Cette proposition a été refusée par tous les partis, à l'exception de l'UDC.
Pour terminer, lors du vote sur l'ensemble, le Conseil national a approuvé le texte par 120 voix (27 PLR, 64 UDC, 27 Centre, 2 Vert'libéraux) contre 62 (39 PS, 21 Vert-e-s, 2 Vert'libéraux) et 8 abstentions. Le texte semble avoir particulièrement partagé le groupe Vert'libéral, dont les membres ont oscillé entre les propositions majoritaires et minoritaires, et qui a compté 6 abstentions lors du vote sur l'ensemble. Au vu des divergences, les discussions au Conseil des Etats promettent d'être nourries.