Coup de semonce pour la politique agricole suisse

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Les partisans du non à l'arrêté étaient d'horizons divers. Soutenus par de grands distributeurs, comme Coop ou Denner, désireux de pouvoir faire commerce en toute liberté, ils provenaient aussi bien des rangs démocrates-chrétiens qu'écologistes ou socialistes. Leur principal argument concernait le problème des contingents à l'importation. Selon eux, le correctif apporté par l'arrêté serait insuffisant et ne permettrait pas de modifier une situation existant depuis 1933, et allant à l'encontre des intérêts des consommateurs; certains détenteurs de contingents, appelés 'importateurs de salon', disposeraient d'une rente de situation de par leur monopole, tandis que des distributeurs actifs seraient obligés de leur racheter leurs contingents. De tels privilèges coûteraient, d'après une étude de l'Université de Bâle, 100 millions de CHF par an au consommateur. Les problèmes de quantité et de qualité constituèrent le second volet du débat; pour les opposants à l'arrêté, une limitation de la production et une amélioration de la qualité devraient passer, d'une part, par des exigences plus strictes pour le taux de sucre naturel dans le moût et, d'autre part, par une limitation des rendements à l'hectare.



Arrêté fédéral sur la viticulture. Votation du 1er avril 1990

Participation: 40,8%
Non: 881 601 (53,3%)
Oui: 771 186 (46,7%)

Mots d'ordre:
- Non: PDC (12*), PES, AdI, PEP, PdT, DS, PA, Alliance Verte; Fédération suisse des consommateurs, USS, CSCSS, VKMB.
- Oui: PRD (6* ), UDC, PLS (1*); Vorort, USP, les associations professionnelles des vignerons.
- Liberté de vote: PSS (3*).
* Recommandations différentes des partis cantonaux

L'analyse Vox de ce scrutin met d'abord en évidence l'importance du nombre de votes blancs; cela traduit la difficulté qu'il a pu y avoir à appréhender un texte complexe ne concernant que très indirectement une grande partie de la population. L'information du public ne semble avoir été que très partielle; une majorité des votants opposés à l'arrêté a éprouvé de la difficulté à motiver son choix, et seul le problème des inégalités relatives au contingentement semble avoir eu un certain impact. L'analyse pose en fin de compte le problème des votations à caractère technique, sur lesquelles les citoyens peinent à se faire une opinion.

Les partisans du oui à l'arrêté provenaient majoritairement des partis bourgeois, en particulier de leurs représentants issus de cantons producteurs de vin, et étaient associés aux organisations professionelles des viticulteurs. Ils avaient surtout en vue la protection des producteurs, laquelle, pour eux, ne peut passer que par une limitation des importations. Cela empêcherait les vins étrangers d'envahir le marché et de mettre en péril la viticulture helvétique, qui a besoin d'une certaine protection pour faire face aux défis internationaux qui l'attendent; l'inéluctable libéralisation devrait se faire en douceur, afin de permettre aux vignerons de s'y adapter. Par ailleurs, le système de contingentement existant ne serait, pour les défenseurs de l'arrêté, pas si injuste; selon eux, les structures du marché d'importation permettent, malgré tout, une certaine concurrence. Par ailleurs, la promotion de la qualité aurait été, dans le texte contesté, tout à fait satisfaisante; les mesures préconisées auraient garanti une production de choix adaptée aux vignobles helvétiques et aux besoins de l'économie.

Malgré le rejet de l'arrêté, les aspirations des votants à plus de libéralisme ne pourront que difficilement être réalisées. En effet, la limitation des importations est d'abord réglée dans la loi sur l'agriculture, et l'arrêté ne se préoccupe que de quelques modalités mineures. Selon J.-P. Delamuraz, ce problème ne pourra être pris en compte qu'à long terme, dans le cadre d'une profonde réflexion sur toute la question du contingentement en général. D'autre part, la reconduction de l'ancien arrêté devrait, selon le chef du DFJP, priver la Confédération des moyens de lutter contre la surproduction en 1991. Un projet pour un nouvel arrêté viticole sera rapidement mis en consultation, et un message du Conseil fédéral devrait intervenir au milieu de l'année 1991.

L'arrêté soumis au peuple fut pourtant bien accepté lors de son passage devant les Chambres en 1989. Ce n'est qu'ensuite qu'un comité référendaire transcourants, emmené par R. Engler (pdc, AI), le mit en cause par le biais d'un référendum soutenu par de grandes maisons de distribution. Le texte contesté contenait, aux côtés de modifications mineures, trois innovations importantes. Premièrement, il visait à adapter, indépendamment des normes de qualité, la production aux capacités d'absorbtion du marché par des limitations de la production. Deuxièmement, il fondait juridiquement, sur le plan fédéral, le classement des vins en trois catégories et fixait la teneur minimale en sucre des moûts servant à la fabrication du vin. Troisièmement, il réformait légèrement le système des contingents individuels à l'importation par le biais d'un nouveau mode de répartition, consistant en une mise aux enchères partielle tous les quatre ans.

Le résultat de la votation sur l'arrêté viticole constitue un nouveau coup de semonce pour la politique agricole de la Confédération. En effet, le refus, par plus de 53 pourcents des votants, de ce texte dépasse le cadre de la viticulture, et se situe en droite ligne du rejet de l'arrêté sucrier en 1986 et du bon score réalisé par l'initiative "en faveur des petits paysans" en 1989. Ainsi, la remise en question des protections dont bénéficie la paysannerie suisse se poursuit, et est aussi vigoureuse à l'intérieur des frontières helvétiques que sur le plan international. Cependant, alors que la Suisse alémanique, à l'exception de cinq cantons, s'est massivement opposée à cet arrêté, tous les cantons romands ainsi que le Tessin se sont, malgré tout, prononcés en sa faveur. La barrière linguistique n'est ici qu'apparente; les cantons ont voté selon leurs intérêts et les régions viticoles ont été naturellement les plus promptes à accepter ce texte.

La campagne précédant le scrutin vit souvent l'affrontement d'un lobby contre un autre. D'un côté, les milieux de la viticulture se battaient pour que la politique traditionnelle de la Confédération fût reconduite et, de l'autre, deux géants de la distribution luttaient pour une libéralisation du marché. Denner, accompagné cette fois-ci de Coop, se comporta comme lors de l'initiative "en faveur des petits paysans"; utilisant des moyens importants, il fut, sous la forme de nombreux placards publicitaires, très présent dans les médias. Son attitude a été largement critiquée et fut une cible privilégiée pour les partisans de l'arrêté ; certains de ses agissements (rémunération de la collecte de signatures à l'appui du référendum) furent considérés par d'aucuns comme d'inquiétantes dérives des droits démocratiques.