Article constitutionnel sur l'énergie (MCF 87.075)

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Ce nouvel article constitutionnel 24 octies concrétiserait une politique énergétique nationale puisqu'il doterait la Confédération de compétences lui permettant d'édicter des prescriptions sur la consommation d'énergie des installations, des véhicules et des appareils. En sus, l'Etat aurait pour tâche de favoriser les économies d'énergie ainsi que de développer des techniques énergétiques nouvelles. L'avant-projet comporte trois innovations par rapport à l'article constitutionnel refusé en 1983: il désire renforcer la collaboration avec les cantons; il prévoit que la Confédération obtienne une compétence en matière d'établissement des principes applicables à la fourniture et à l'emploi de l'énergie, ce qui lui permettrait non pas d'imposer des prix mais, par exemple, d'interdire les tarifs dégressifs; il veut instituer une taxe non affectée sur l'énergie. La principale nouveauté réside dans ce dernier point. Trois versions de cet impôt ont été étudiées: elles s'établiraient à deux, quatre ou dix pourcent et permettraient progressivement, outre le financement spécifique de la politique énergétique, des dépenses dans le domaine de la protection de l'environnement, des mesures connexes touchant les transports publics et une incitation accrue à des économies d'énergie.

Si l'on se réfère au résultat de la procédure de consultation, on remarque que tous les partis — excepté le Parti libéral suisse — les syndicats et tous les cantons — sauf Vaud et le Jura — approuvent l'idée d'un article constitutionnel. Les opposants se recrutent principalement parmi les organisations d'employeurs (USAM notamment), des transports privés routiers (dont le TCS, l'ACS, l'ASTAG) et du secteur de l'énergie. Remarquons néanmoins que l'Union des centrales suisses d'électricité (AES) a recommandé à ses membres d'abandonner les tarifs dégressifs d'énergie électrique, ceux-ci encourageant les consommateurs à ne pas économiser. Selon lesdits adversaires, les dispositions actuelles suffiraient pour permettre à la Confédération d'agir; de plus, un article constitutionnel permettrait une politique fédérale trop dirigiste. Le principe d'un impôt énergétique est encore plus controversé. Les partis bourgeois gouvernementaux ainsi qu'une minorité de cantons le refusent. Les milieux patronaux, le secteur de la production énergétique et les organisations faîtières des transports (sauf l'AST) sont opposés à tout principe de taxation. Pour eux, seule une énergie très chère conduirait à de véritables économies d'énergie mais une taxe élevée nuirait à la compétitivité de notre industrie. Pour dix-neuf cantons, les syndicats, le Parti socialiste suisse, les consommateurs, les milieux écologiques, la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie (CDEn), une telle taxe est souhaitable, voire indispensable.

Dans le projet finalement adopté par le Conseil fédéral, résultant de la procédure de consultation, la Confédération se trouve dotée d'un devoir («doit» agir) alors que, dans l'avant-projet, la formulation était plus suggestive («peut» agir). Par contre l'exécutif renonce à l'insertion, dans le nouvel article, de l'impôt énergétique, suite aux nombreuses oppositions émises à son encontre lors de la consultation, notamment de la part des milieux patronaux et énergétiques. Le gouvernement n'abandonne pas pour autant une telle taxation; celle-ci fera l'objet d'une réglementation séparée, discutée par le parlement dans le cadre du nouveau régime des finances fédérales. A ce titre, le DFF a demandé à un groupe d'économistes bâlois un rapport en vue de la suppression de la taxe occulte; il en résulte que celle-ci n'est envisageable que dans le cadre d'une compensation par l'imposition de tous les agents énergétiques.

Lors de sa session d'automne, le Conseil national a approuvé l'article énergétique proposé par le gouvernement, avec cependant quelques modifications mineures liées à sa forme (accepté par 127 voix contre 42). Les partis démocratique du centre, libéral et radical, pouvant compter sur le soutien du Vorort et des entreprises du secteur énergétique, ont combattu en vain l'adoption de cette formulation relativement active. La chambre basse a par contre refusé deux arrêtés fédéraux, proposés par deux minorités de la commission et soutenus par la gauche, les écologistes et les indépendants, demandant d'inscrire le principe d'une taxe énergétique dans une norme constitutionnelle séparée. Si l'un prévoyait une taxe affectée sur l'énergie, l'autre stipulait que les besoins fondamentaux des ménages pourraient être exonérés de cet impôt.

La catastrophe de Tchernobyl en 1986 relança l'ensemble du processus d'un article constitutionnel sur l'énergie. Lors de leur session spéciale, les Chambres repoussèrent l'idée d'une loi sur l'électricité, arguant notamment de la nécessité ex ante d'une base légale. Les débats sur ces deux thèmes débouchèrent sur l'élaboration d'un second article ainsi que sur la création du Groupe d'experts sur les scénarios énergétiques (GESE). En 1987, le gouvernement présenta la nouvelle norme. En février 1988, le GESE soumit, après bien des vicissitudes, son compte rendu qui présentait notamment les prémices, les possibilités et les conséquences du non-développement de l'énergie nucléaire, voire de son abandon. En 1989, le parlement adopta la version soumise au vote populaire de l'article constitutionnel. Celle-ci diffère peu de la version de 1983 mais renforce le rôle des cantons, octroie à la Confédération des compétences dans le domaine des énergies renouvelables et abandonne la formulation potestative du premier alinéa.

La campagne précédant la votation fut animée, notamment par les nombreux comités fédéraux et cantonaux de soutien ou d'opposition. Au niveau national, le groupe d'action en faveur de l'article, composé de quelques 130 parlementaires des partis bourgeois, argua du respect, par la norme, des principes de subsidiarité et de fédéralisme. Son hétéronyme, rassemblant 30 députés ainsi que des représentants du commerce, de l'industrie, des organisations patronales et artisanales, invoqua, à l'encontre de l'article, l'interventionnisme étatique, la bureaucratie et l'entorse au devoir fédéraliste. Plus généralement, les affirmations en faveur de la norme fédérale se basèrent sur la volonté d'une véritable politique énergétique, sur le maintien des prérogatives de l'économie en matière d'approvisionnement et de distribution, sur la nécessité de promouvoir les énergies alternatives et les économies ainsi que sur l'indispensable amélioration de la protection de l'air. Les raisonnements en sa défaveur se fondirent sur l'inutilité de l'article qui, bien que n'ayant qu'une portée politique, conduirait à une étatisation partielle de l'approvisionnement et compromettrait la capacité concurrentielle de l'économie ainsi que son insertion européenne.

Le 23 septembre, le peuple et les cantons suisses ont accepté, par 71 % des suffrages, de réglementer la politique énergétique par le biais d'un article constitutionnel. Il permettra à la Confédération d'agir à trois niveaux: par des principes sur l'utilisation rationnelle des énergies indigènes et renouvelables, par des prescriptions sur la consommation des installations, véhicules et appareils ainsi que par un encouragement des techniques ayant trait aux économies et aux énergies alternatives. Formulé de façon assez générale et déclamatoire, il ne comporte ni taxe sur l'énergie – retirée après la procédure de consultation mais que le gouvernement souhaite reprendre dans le cadre de la réforme des finances fédérales – ni principes tarifaires, éliminés lors des délibérations parlementaires.


Votation du 23 septembre 1990

Participation: 40,3%
Oui: 1 214 925 voix (71%) / tous les cantons.
Non: 493 841 voix (29%)

Mots d'ordre:
– Oui: PRD (11*), PDC, PS, PES, AdI (1*), PEP, Alliance verte, PdT, DS; USP, USS, CSCS, Ligue suisse pour la protection de la nature, WWF, Fédération suisse pour l'énergie, Forum suisse de l'énergie, Association suisse pour l'énergie atomique, Association pour l'aménagement des eaux.
– Non: PLS, PA; Vorort, USAM, ACS, UCAP, Société suisse des propriétaires fonciers, Redressement national.
– Liberté de vote: UDC (12*).
* Recommandations différentes des partis cantonaux.