Un projet de loi concernant un contingent de casques bleus suisses

Comme il l'avait annoncé dans le programme de législature 1991-1995, le Conseil fédéral a publié un projet de loi concernant les troupes suisses chargées d'opérations en faveur du maintien de la paix. Selon le gouvernement, la création d'un tel contingent répond à la volonté du parlement et du gouvernement d'intensifier la participation de la Suisse aux efforts de la communauté internationale pour le règlement pacifique des conflits. Placé sous la responsabilité conjointe du DMF et du DFAE, le contingent de casques bleus sera composé de 600 volontaires qui auront déjà effectué leur école de recrue. Le projet initial a subi plusieurs modifications lors de la procédure de consultation. Ainsi, les frais de financement ont été fortement réduits: la création du contingent ne coûtera plus que 76 millions de francs au lieu des 123 prévus et les frais annuels ont pu être ramenés de 110 à 79 millions, dont 10 à 20% seront remboursés par l'ONU. De surcroît, les casques bleus pourront être mis à la disposition de la CSCE. Seuls les démocrates suisses et la Ligue tessinoise se sont opposés au texte législatif lors de la procédure de consultation.

Première chambre à se prononcer, le Conseil des Etats a approuvé à l'unanimité la loi prévoyant la création d'un contingent de casques bleus suisses, chargé d'opérations en faveur du maintien de la paix; seule une modification mineure par rapport au projet du Conseil fédéral a été introduite. Au Conseil national, les groupes des Démocrates suisses/Lega, du PA et une minorité des députés de l'UDC se sont opposés à l'entrée en matière. Selon eux, le parlement ne saurait aller à l'encontre de la volonté populaire exprimée en 1986 lors de la votation sur l'adhésion de la Suisse à l'ONU; certains orateurs ont exprimé leur crainte de voir la neutralité suisse remise en cause par l'engagement de ce contingent lors de missions de l'ONU. L'efficacité de l'action des casques bleus dans certaines situations particulièrement conflictuelles (ex-Yougoslavie, Angola) a également été mise en doute. Enfin, il a été reproché les coûts importants que devrait supporter la Confédération pour la création et la formation de ce contingent.

Pour leur part, les partisans du projet ont été nombreux à souligner qu'il fallait distinguer la création d'un contingent de casques bleus et une adhésion à l'ONU. Selon eux, l'envoi de casques bleus helvétiques pour des opérations de maintien de la paix ne représenterait pas un bouleversement de la politique étrangère, mais constituerait plutôt la version moderne de la politique suisse des bons offices. Face à la multiplication des conflits locaux, la Suisse se devrait, selon eux, de contribuer plus activement au rétablissement de la paix et à empêcher l'extension des conflits. En outre, le contingent suisse ne serait engagé que pour des opérations de maintien de la paix et le Conseil fédéral aurait toujours la possibilité de retirer les troupes suisses, s'il l'estimait nécessaire.

Lors de la discussion par article, aucune modification importante n'a été adoptée. La proposition de la majorité de la commission de politique extérieure de mentionner explicitement le respect de la neutralité lors de l'engagement des troupes suisses a été rejetée par 81 voix contre 65. Le chef du DMF s'était opposé à cette modification en soulignant que le respect de la neutralité suisse était garanti par les trois conditions, inscrites dans le projet de loi, au sujet de la mise à disposition d'un contingent de casques bleus (accord des parties impliquées dans un conflit, garantie par l'ONU ou la CSCE d'un comportement neutre des casques bleus qui ne pourront faire usage de leurs armes qu'en cas de légitime défense et droit du Conseil fédéral de retirer en tout temps les troupes suisses). Au vote final, la chambre basse a finalement adopté le projet de loi par 127 voix contre 23.

Référendum sur le projet de loi concernant un contingent de casques bleus suisses

Après avoir laissé entendre qu'ils envisageaient de lancer un référendum contre la loi sur les casques bleus, les députés minoritaires des groupes radical et de l'UDC, dont L. Fehr (udc, ZH) et Ch. Miesch (prd, BL), ont décidé de renoncer à cette éventualité. Cependant, quelques jours plus tard, la Lega dei Ticinesi décidait de lancer un référendum. Les Démocrates suisses, le PA, la Ligue vaudoise ainsi que plusieurs personnalités du parti radical et de l’UDC ont apporté leur soutien à l'action de la Lega. Par la suite, l'entreprise Denner s'est également associée à la récolte de signatures. Le référendum a abouti avec près de 90'000 signatures valables, émanant essentiellement de Suisse alémanique et du Tessin; seulement 4'000 signatures provenaient de Suisse romande.

L'image d'une Suisse repliée sur elle-même après le rejet de l'EEE, la situation difficile des Casques bleus en Bosnie-Herzegovine ainsi que les hypothèses d'un nouvel échec du Conseil fédéral sur un projet de politique extérieure et d'une nouvelle divergence entre Alémaniques et Romands ont contribué à charger l'enjeu du scrutin d'une dimension émotionnelle non-négligeable. Arguant notamment que la constitution d'un contingent de Casques bleus helvétiques constituerait indéniablement un pas décisif vers une adhésion à l'ONU et affecterait par là-même la crédibilité de la neutralité suisse, l'UDC, les démocrates suisses, la Lega, le parti de la liberté (ex-PA), rejoints par l'ASIN, la Ligue vaudoise et l'entreprise Denner se sont prononcés contre le projet du Conseil fédéral. Parmi les opposants figuraient également le POP/PdT, pour qui la participation de Casques bleus suisses aux interventions décidées par l'ONU ne pouvait être le fondement d'une politique de paix. De leur côté, le PRD, le PDC, le PS, le PL, l'AdI, les Verts, le PEP, de même que la Société suisse des officiers (SSO), les associations caritatives et les évêques suisses se sont prononcés en faveur des Casques bleus dans le but de renforcer la solidarité internationale de la Suisse. Les pacifistes du GSsA, tiraillés par l'enjeu du scrutin, ont, quant à eux, appelé à voter blanc. Il est intéressant de relever que - faute de soutien financier des organisations faîtières de l'économie - les moyens mis à la disposition des partisans étaient nettement inférieurs à ceux des opposants qui ont, pour leur part, bénéficié de l'appui financier substantiel de Karl Schweri, patron de la firme Denner.

Suite à un référendum déposé en 1993, le peuple s'est prononcé le 12 juin sur la mise sur pied d'un contingent de Casques bleus suisses. Malgré une campagne d'information importante menée par le Conseil fédéral - durant laquelle Flavio Cotti et Kaspar Villiger ont notamment affirmé qu'un tel contingent n'impliquait ni une adhésion obligatoire à l'ONU, ni un risque pour la neutralité du pays - le projet de loi relative aux troupes suisses chargées d'opération en faveur du maintien de la paix a été refusé par 57,2% des votants. Quant aux cantons, ils ont tous refusé le projet du gouvernement à l'exception de Genève, Vaud, Neuchâtel et du Jura qui l'ont accepté à de faibles majorités.


Votation du 12 juin 1994

Participation: 45,8%
Non: 1 203 870 (57,2%)
Oui: 898 925 (42,8%)

Mots d'ordre:
- Oui: PRD, PDC, PS, PL, PES, AdI, PEP; Vorort, USS, Société suisse des officiers, Associations caritatives.
- Non: UDC (5*), DS, Lega, PdL (ex-PA), PdT; ASIN.
- Bulletin blanc: GSsA.
* Recommandations différentes des partis cantonaux.

L'analyse Vox révèle que les personnes disposant d'un revenu élevé et d'une formation supérieure, les citadins et, dans une moindre mesure, les Suisses romands se sont montrés les plus favorables à la constitution d'un contingent de Casques bleus, alors que les personnes de plus de 70 ans, les paysans (surtout), les ouvriers et les commerçants/artisans se sont révélés les plus réticents. L'analyse a par ailleurs établi une étroite corrélation entre la confiance accordée au Conseil fédéral et la décision du vote. Si les plus ardents défenseurs des Casques bleus ont été les partisans du PS, l'électorat du PDC et du PRD est apparu très partagé sur cette question, quand bien même les partis nationaux avaient donné un mot d'ordre clair pour le oui. Les sympathisants de l'UDC ont, pour leur part, fidèlement suivi le mot d'ordre négatif de leur parti, tout comme les démocrates suisses et le parti de la liberté. L'électorat de l'AdI et du PES a, quant à lui, voté en majorité pour les Casques bleus. Plus de la moitié des opposants ont invoqué des raisons financières pour motiver leur refus. Du côté des partisans, la volonté de voir la Suisse s'engager sur le plan international et apporter sa contribution à la solidarité entre Etats a été l'argument le plus fréquemment avancé.

Un postulat Fritschi (prd, ZH) invitant le Conseil fédéral à présenter un rapport exposant comment l'armée pourrait participer plus activement à la promotion de la paix

Le Conseil national a transmis un postulat Fritschi (prd, ZH) invitant le Conseil fédéral à présenter aux Chambres un rapport exposant comment, au lendemain du non aux Casques bleus, l'armée pourrait participer plus activement à la promotion de la paix. Le gouvernement est également prié d'envisager la possibilité de développer le Corps suisse d'aide en cas de catastrophe et de présenter un rapport à ce sujet.

La motion Roth (pdc, JU) invitant le Conseil fédéral à transférer les moyens financiers prévus pour la création d'un contingent de Casques bleus sur un compte auprès du DFAE

Le Conseil des Etats a, en outre, transmis comme postulat la motion Roth (pdc, JU) invitant le Conseil fédéral à transférer les moyens financiers prévus pour la création d'un contingent de Casques bleus sur un compte auprès du DFAE destiné à des mesures suisses en faveur du maintien et de la construction de la paix.