Chronique générale
Défense nationale
Même si la politique menée par le DMF rencontre l'approbation de la majorité du peuple, tant le résultat de l'initiative de Rothenthurm que celui de l'initiative demandant le droit de référendum en matière de dépenses militaires, lui ont cependant signifié qu'il devra à l'avenir jouer la carte de la transparence. – R. Binder succède à R. Mabillard au poste de chef de l'instruction de l'armée. – Le Conseil fédéral a présenté un message sur un projet de décriminalisation de l'objection de conscience.
Défense nationale et société
L'acceptation de l'initiative "Pour la protection des marais – Initiative de Rothenthurm" et le rejet à une relativement faible majorité de l'initiative socialiste demandant le droit de référendum en matière de dépenses militaires, se sont révélés être les faits marquants dans le domaine de la défense nationale. Comment interpréter les résultats de ces deux scrutins fédéraux? Est-ce une dégradation de l'image globale de l'armée qui entraîne une détérioration des relations entre le système de défense nationale et la société? Est-ce un signe de défiance à l'encontre de la politique menée par la Confédération dans le domaine militaire? Ou faut-il chercher, ce que d'aucuns n'ont pas hésité à qualifier d'avertissement lancé à la politique du DMF, dans le courant écologique qui est devenu le crédo d'une large couche de la population? Même si le rôle et l'existence de l'armée ne sont aucunement remis en cause, force est pourtant de constater que celle-ci ne jouit plus d'un crédit illimité auprès de la population.
Le Conseil des Etats a accepté une motion de la commission du Conseil national sous forme de postulat demandant au Conseil fédéral une révision des dispositions sur le service d'ordre de la loi fédérale sur l'organisation militaire. Il s'agit en particulier d'étudier l'opportunité de l'engagement de l'armée en matière de lutte antiterroriste. L'avis a prévalu que le recours à l'armée pour rétablir l'ordre intérieur ne devait avoir lieu qu'en dernière extrémité, lors-que les forces de police cantonales ne sont plus à même d'accomplir leur tâche
[1].
Pour beaucoup la notion de défense générale est abstraite et nombreux sont ceux qui ne savent pas toujours avec exactitude ce qui se cache derrière cette dénomination. C'est précisément dans le but d'informer le public sur les tâches et le fonctionnement de la défense générale que s'est créée en Suisse romande l'association Chance Suisse qui entend sensibiliser la population en lui apportant une information sur les prestations fournies par la défense générale
[2].
Organisation militaire
Le Conseil fédéral a nommé le commandant de corps R. Binder au poste de chef de l'instruction de l'armée. Il succède ainsi à R. Mabillard qui fut six années durant à la tête du groupement de l'instruction. Réputé pour sa fermeté, son goût de la discipline et sa méfiance à l'égard de la presse, R. Mabillard avait lors de son entrée en fonction vivement dénoncé la réforme Oswald qui avait assoupli les formes militaires. L'ancien chef de l'instruction s'était fixé trois objectifs généraux: la promotion de la résistance physique et psychique, le renforcement de la discipline et de l'ordre et enfin la promotion de la confiance en soi et dans l'armée. Avec le départ de Mabillard, la présence romande dans les hautes sphères de l'armée se trouvera réduite à la portion congrue. Même s'il partage les idées de son prédécesseur au sujet des objectifs et des principes fondamentaux de la formation, il ne fait aucun doute que R. Binder va modifier le style de l'instruction. En effet, il a déclaré vouloir porter l'accent sur la motivation du soldat et sur la formation des instructeurs en privilégiant l'information à tous les niveaux
[3].
Les femmes n'ont pas répondu à l'intense effort de propagande entrepris ces dernières années afin qu'elles s'engagent dans le
Service féminin de l'armée (SFA). Depuis 1982, l'intérêt des Suissesses pour l'armée a baissé continuellement. Alors qu'en 1982 436 femmes avaient accompli une école de recrues, leur nombre est tombé à 354 en 1985. Malgré une vaste campagne de publicité, axée non plus sur le patriotisme comme cela fut le cas auparavant, mais sur l'anticonformisme que constitue pour une femme le fait de s'engager dans l'armée, seules 147 volontaires sont venues étoffer les rangs du SFA en 1987
[4]. Son lancement, chiffré à près d'un million de francs, ne fut pas du goût de tout le monde. La conseillère nationale Fankhauser (ps, BL) a déposé un postulat invitant à mettre fin à cette publicité en faveur du SFA
[5]. Même si l'idée d'un service obligatoire n'entre pas en ligne de compte, la participation des femmes à la défense générale doit, selon le DMF, être améliorée en utilisant et en développant les possibilités offertes par le volontariat du SFA, du service de la Croix-Rouge et de la protection civile
[6].
Instruction
Le chef du DMF, A. Koller, s'est rallié aux conclusions et aux recommandations d'un groupe de travail chargé d'examiner la
profession d'instructeur au sein de l'armée. Le groupe de travail, qui a entrepris ses investigations à la demande du DMF, a approfondi les travaux déjà réalisés en 1985 par la commission de gestion du Conseil national sur le problème inhérent à la carence d'instructeurs au sein de l'armée. Sur le plan des effectifs, les membres du groupe de travail ont proposé une augmentation, devenue indispensable en raison de la complexité croissante des systèmes d'armes modernes, de 308 instructeurs et, à titre de mesure immédiate, préconisé d'en engager 85 au cours des trois ou quatre prochaines années, ce qui est largement au-dessus des possibilités du DMF. Pour cette raison, ils ont recommandé de ne plus intégrer les instructeurs ayant le statut d'employé au contingent de personnel autorisé et, le cas échéant, le parlement pourrait les soustraire du plafonnement du personnel fédéral. Ils ont également suggéré la création d'un modèle de carrière d'officier instructeur qui assure une compatibilité entre les exigences de la carrière de milice et celle de carrière professionnelle. En revanche, et à l'instar du DMF, ils sont d'avis qu'il faut renoncer à dissocier la fonction professionnelle de l'instructeur de son grade de milice. Si le groupe de travail a énuméré les causes inhérentes à la carence d'instructeurs, surcharge de travail pour les officiers de carrière en place, compétition administrative, absence de vie de famille, il n'a proposé en revanche aucune solution susceptible de rendre cette profession plus attractive et d'améliorer son image auprès du public
[7].
Suite aux accidents particulièrement graves survenus en 1985, le Conseil des Etats a transmis une pétition au Conseil fédéral lui demandant de veiller à ce que le temps de repos des conducteurs militaires soit mieux contrôlé et ceci afin d'éviter les accidents de circulation. Les auteurs de cette pétition arguent du fait que le soldat, malgré l'existence d'un droit au repos dans les règlements, n'a en réalité que la possibilité théorique de refuser de conduire un véhicule
[8].
Armement
Même si l'initiative du Parti socialiste demandant l'introduction du référendum financier facultatif pour les dépenses d'armement a été assez nettement repoussée –
1 046 637 non (59,4%) contre 714 209 oui (40,6%) — le consensus contre ce projet de texte constitutionnel ne fut pas aussi manifeste que d'aucuns l'avaient prédit. Avec plus de 40% de oui et trois cantons qui l'ont acceptée, l'initiative a réalisé un meilleur score que ne le laissait présager le débat politique précédant le vote
[9]. Elle demandait que tous les crédits d'engagement du DMF concernant l'acquisition de matériel de guerre, les constructions et l'achat de terrains, ainsi que les programmes de recherche, de développement et d'essai, soient soumis au référendum facultatif. Le débat fut pour le moins animé et les camps nettement distincts. Pour ses auteurs, l'initiative devait permettre d'associer le peuple aux décisions relevant de notre défense nationale et ainsi renforcer les droits démocratiques des citoyens et obtenir que le peuple puisse se prononcer sur d'importants projets controversés comme l'achat des chars Léopard. En cas de refus, les économies ainsi réalisées pourraient être affectées à des fins sociales ou utilisées à la protection de l'environnement. La coalition bourgeoise a accusé les initiants d'avoir lancé ce projet de texte constitutionnel pour de purs mobiles anti-militaristes et de vouloir, à travers celui-ci, affaiblir la défense nationale. Pour appuyer cette thèse, ils n'ont pas manqué de souligner que le PSS, divisé entre partisans et adversaires du pacifisme, n'avait réussi à récolter le nombre de signatures requises qu'avec l'appui de mouvements pour la paix, d'organisations alternatives et de l'extrême gauche. Le PSS a rétorqué en rappelant qu'il s'était rallié sans équivoque à la défense nationale. Pour étayer leur refus, les opposants ont fait remarquer que l'achat de matériel de guerre est tributaire d'une planification à long terme, un refus ponctuel d'un crédit d'engagement pourrait de ce fait remettre en cause toute la procédure d'acquisition. Qui plus est, les fournisseurs étrangers hésiteraient dès lors à livrer du matériel haut de gamme, le secret ne pouvant plus être préservé à cause de la nécessité d'information des citoyens appelés à voter.
Droit de référendum en matière de dépenses militaires. Votation du 5 avril 1987
Participation: 42,4%
Non : 1 046 637 (59,4%) / 201/2 cantons
Oui: 714 209 (40,6%) / 21/2 cantons
Mots d'ordre:
— Non: PRD, PDC, UDC, PLS, PEP, AN; Vorort, UCAP, USAM, USP, FTMH, CSCS.
— Oui: PSS, PES, POCH, PST; Syndicat du bâtiment et du bois, Confédération romande du travail.
L'ensemble du monde politique suisse a exprimé sa satisfaction à la connaissance du résultat. Le PSS a estimé que 40% de oui représentait un pourcentage respectable et que l'initiative, même défaite, avait remporté un succès d'estime. Ils ont également affirmé que ce résultat devait être interprété comme la manifestation du malaise de larges couches de la population en face des sommes dépensées pour l'armée alors que la protection de l'environnement est laissée pour compte. Quant à la coalition bourgeoise, elle s'est déclarée satisfaite du rejet de l'initiative qui, à ses yeux, constitue un net désaveu pour la gauche
[10].
On ne peut interpréter le succès relatif de l'initiative comme un vote de défiance face à l'armée en tant qu'institution. En effet, comme l'a montré l'analyse VOX, les oppositions de principe à l'égard de l'armée furent peu nombreuses. Si des motifs antimilitaristes ont pu pousser des électeurs à accepter l'initiative, le souhait d'étendre les droits populaires et de réaliser des économies dans les dépenses militaires ont largement prévalu dans les rangs des 40% d'acceptants. Pour justifier leur position hostile, les opposants ont invoqué des arguments relatifs à l'incapacité du peuple à prendre de telles décisions. Ce sont les citoyens sympathisants de l'UDC et des radicaux qui ont fait preuve du refus le plus net, avec respectivement 90 et 84% de non. La gauche, elle, l'a acceptée dans son ensemble, les votants proches du PSS le faisant avec 66% de oui
[11].
Les Chambres fédérales ont plébiscité le programme d'armement 1987 devisé à quelque 1,8 milliards de francs et centré sur la modernisation de l'équipement de l'infanterie. En effet, celle-ci s'est arrogée plus de la moitié des crédits dont 515 millions pour l'acquisition de 135 000 nouveaux fusils d'assaut 90 et 347 millions pour celle de 320 lance-mines. Quant aux troupes d'aviation et de DCA, elles se verront dotées de nouveaux équipements pour une somme totale de 610 millions de francs dont 395 pour l'achat de 20 avions d'entraînement britanniques du type Hawk. Cet appareil, qui a été préféré à l'Alpha-Jet franco-allemand, est destiné à remplacer au début des années nonante le Vampire DH-115. Ces achats ont mis un terme à l'étape de réalisation 1984-87 du plan directeur de l'armée. Tous les équipements prévus pour cette étape ont été acquis, sauf une arme de DCA type Stinger et un hélicoptère de combat antichar
[12].
La part des acquisitions revenant à l'industrie suisse s'élève à environ 60%, auxquels s'ajoutent des affaires compensatoires de 355 millions de francs. Sur cette part, 55% iront à l'industrie privée et 45% aux fabriques fédérales d'armement. Si la participation suisse est importante, certains parlementaires n'ont pas manqué de souligner l'inégalité dans la répartition des commandes aux dépens de la Romandie et des régions de montagne. Le radical vaudois Debétaz a estimé que la part revenant à la Romandie, environ 15%, était trop faible, cette proportion ne correspondant pas à la répartition de la population. Le député Cavelty (pdc, GR) a, pour sa part, souhaité que les importantes commandes de grand matériel à la plaine soient compensées par des commandes d'équipement aux régions de montagne. Face à ce mécontentement, le chef du DMF a rétorqué en indiquant que son département s'efforçait de parvenir à une distribution équitable des commandes entre les régions, même si parfois cela entraînait des dépenses supplémentaires. Malgré ces assurances et les recommandations formulées par le Conseil fédéral pour une plus juste répartition des commandes militaires, une quinzaine d'entreprises romandes, spécialisées dans la production d'équipements militaires, ont constitué une organisation, le Groupe romand de production de matériel militaire, chargée de défendre leurs intérêts face à l'industrie alémanique et au Groupement de l'armement
[13].
Constructions militaires
Le parlement a octroyé des crédits pour une somme totale de 414 millions de francs pour le programme des constructions militaires et des acquisitions de terrains (1986: 443,6 millions). 177 millions iront à des ouvrages d'entraînement au combat, dont 132 millions pour le renforcement des divers terrains. Par ailleurs, 20,4 millions seront utilisés pour des installations de transmission, 6,2 millions pour l'alarme sur les aérodromes et 10 millions pour la réfection des pistes. Un cinquième environ des crédits accordés se répartira entre sept projets logistiques, dont un hôpital militaire protégé devisé à 29 millions de francs et construit à Nottwil (LU)
[14].
L'armée aura toujours davantage de peine à réaliser de nouvelles places d'armes, c'est ce qui ressort d'un rapport rédigé par le DMF. L'exiguïté du terrain contraindra l'armée suisse à renoncer à la construction de nouvelles places d'exercices et de tirs. Pour le chef de la division places d'armes et de tirs du DMF, l'accent devra être mis sur une exploitation plus rationnelle des possibilités existantes et l'armée devra trouver une meilleure harmonisation avec les intérêts du tourisme et de l'agriculture, sans pour autant négliger l'instruction
[15].
Malgré les véhémentes protestations de la commune de Balzers, l'armée suisse a repris ses exercices de tir sur la place d'armes grisonne de Luzisteig, en face du Liechtenstein. En décembre 1985, des exercices qui s'étaient déroulés à ce même emplacement avaient déclenché un important incendie de forêt au-dessus de Balzers. Le DMF avait alors promis de réparer les dégâts et de prendre des mesures de sécurité. Le conseil communal de Balzers avait exigé de son gouvernement qu'il intervienne au-près de son homologue helvétique afin que les tirs sur le terrain d'Andwiesen soient suspendus aussi longtemps qu'aucun compromis n'ait pu être trouvé entre Berne et Vaduz. Du côté du DMF, on a indiqué ne pas pouvoir se passer de cette place d'armes et que, d'ailleurs, un certain nombre de mesures de sécurité avaient déjà été prises pour parer aux incendies. En effet, le programme des constructions 1987 a prévu un montant de 3,7 millions de francs pour des mesures anti-incendie à St. Luzisteig: construction de chemins d'accès, aménagement d'un réservoir et extension du réseau des hydrants
[16].
Durant la session de printemps, le Conseil national s'est penché sur l'examen de l'initiative populaire "Pour la protection des marais – Initiative de Rothenthurm" qui vise à sauvegarder les marais et les marécages d'une beauté particulière et présentant un intérêt national ainsi qu'à interdire la construction d'une partie de la place d'armes de Rothenthurm (SZ). Une disposition transitoire de ce projet de texte constitutionnel prévoit en outre qu'il y aura lieu de démanteler toute installation ou construction et de remettre dans son état d'origine tout terrain modifié lorsque ces ouvrages ou modifications ont été entrepris après le ler juin 1983. Malgré une importante minorité, composée des socialistes, de l'extrême gauche, des écologistes et d'une majorité d'indépendants et d'évangéliques, le Conseil national s'est finalement rallié au Conseil des Etats et a recommandé, par 115 voix contre 56, le rejet de ladite initiative sans lui opposer de contre-projet. En revanche, il a souscrit à la révision de la Loi sur la protection de la nature et du paysage (LNP) conçue par le Conseil fédéral comme contre-projet indirect à l'initiative et destinée à réduire son impact. Aux termes de ce nouveau texte, la Confédération déterminera les biotopes d'importance nationale qui méritent d'être protégés
[17].
Tout au long de la campagne qui a précédé le scrutin populaire, la sensibilité de l'opinion face aux atteintes de l'environnement n'a cessé de se renforcer. Mais les milieux hostiles à l'initiative ont ignoré ce courant écologique et ont délibérément militarisé la question en présentant l'initiative comme une dangereuse manoeuvre destinée à affaiblir la défense nationale. Pour D. Raymond, responsable de l'information de la Société suisse des officiers, les promoteurs de l'initiative auraient dissimulé leurs véritables intentions derrière des options à la mode. Et de poursuivre en indiquant qu'il est incontestable que les milieux qui ont lancé l'initiative vont se retrouver pour approuver l'introduction d'un service civil et pour certains, la suppression de l'armée. Avis d'ailleurs partagé par le conseiller national F. Jeanneret (pl, NE), membre du comité suisse contre l'initiative, pour qui ce nouvel article constitutionnel, sous le couvert de la protection des sites naturels, ne serait en fait qu'une attaque contre la présence de l'armée en Suisse centrale. D'autres arguments ont été évoqués par les opposants comme le réel besoin de disposer d'une place d'armes, le fait que les hauts-marais n'étaient guère menacés par les activités militaires et que l'initiative devenait superflue depuis l'acceptation par les Chambres de la nouvelle LPN.
Quant aux défenseurs de l'initiative populaire, ils ont créé un groupe de travail chargé de définir la conception de la campagne. Principale ligne directrice de la tactique choisie, ne pas jeter l'anathème sur l'armée ni remettre en cause cette institution. Les initiants se sont d'ailleurs toujours défendus de vouloir porter atteinte à la défense nationale et ont dit ne rechercher que la préservation de certains terrains agricoles et surtout d'un milieu naturel unique. Le public-cible choisi se recrutait parmi les électeurs sans affiliation politique, les jeunes, les femmes et les citadins économiquement privilégiés. Pour obtenir le plus grand nombre de voix possible et pour dépasser le cercle traditionnel de la gauche et des écologistes, il a décidé d'éviter toute remise en cause globale de l'armée, mais n'a cependant pas manqué de contester le degré de ses droits sur la nature. Il a également recommandé de poursuivre dans la région de Rothenthurm l'agitation douce utilisée jusqu'ici. Il a jugé pertinent de donner des informations concrètes et positives et de jouer sur l'émotion et, paradoxalement, sur la prise de conscience patriotique, les adversaires n'ayant pas non plus manqué de faire observer que l'armée était elle aussi le garant d'une protection efficace de l'environnement
[18].
A la surprise générale, le peuple et la majorité des cantons se sont prononcés en faveur de l'initiative qui a obtenu
1 153 448 de oui (58%) contre 843 555 de non (42%). Seuls trois cantons, Valais, Thurgovie et Schwyz ont rejeté l'initiative. L'acceptation a été particulièrement nette en Suisse romande puisque quatre cantons romands se situent parmi les sept les plus favorables
[19]. Pour le DMF, le résultat du scrutin signifie qu'il devra abandonner le terrain d'exploration projeté dans la zone marécageuse. Comme A. Koller l'a souligné, il est très peu vraisemblable que l'armée renonce à l'aménagement d'une place d'armes à Rothenthurm, un projet redimensionné et conforme aux exigences écologiques devrait voir le jour.
L'analyse VOX réalisée à l'issue du scrutin a montré que l'acceptation de l'initiative de Rothenthurm ne saurait être interprétée comme un désaveu de l'armée car la protection de l'environnement a constitué le motif de décision le plus important. Celui-ci a joué un rôle décisif pour 63% des partisans de l'initiative, tandis que 20% ont déclaré que leur vote était dirigé en premier lieu contre l'installation d'une place d'armes à Rothenthurm. Seuls 5% ont reconnu avoir voté oui pour affirmer leur opposition à l'armée. Le succès de l'initiative pour la protection des marais peut être attribué au fait qu'elle ne comportait pas de matière à alimenter des conflits; l'armée n'ayant pas beaucoup d'intérêts en jeu, la question de la défense nationale n'a donc pas joué le rôle déterminant que souhaitaient lui conférer les opposants, a poursuivi l'analyse Vox. L'initiative a non seulement été acceptée par les milieux de gauche, mais également par des milieux bourgeois et traditionnellement conservateurs, ce qui permet d'étayer la thèse selon laquelle les partisans de l'initiative ont d'abord fait valoir un souci écologique et non un réflexe antimilitariste
[20].
Initiative de Rothenthurm Votation du 6 décembre 1987
Participation : 47,7%
Oui: 1 153 448 (57,8%) / 20 cantons
Non : 843 555 (42,2%) / 3 cantons
Mots d'ordre:
— Oui: PSS, PES, AdI*, POCH, PST; USS; Ligue suisse pour la protection de la nature.
— Non: PRD, PDC*, UDC, PLS, PEP`, AN; UCAP, USAM, USP; Société des officiers.
* Recommandations différentes des partis cantonaux
Objecteurs de conscience
Le Conseil fédéral a publié un
projet de modification du code pénal militaire et de la loi fédérale sur l'organisation militaire. La révision partielle du code pénal militaire, qui entend décriminaliser l'exécution des peines, prévoit pour l'essentiel que l'authentique objecteur ne sera plus condamné à la prison mais astreint à un travail d'intérêt public une fois et demie plus long que le service militaire. La notion d'objecteur de conscience continuera de se fonder sur des motifs religieux et éthiques, mais sera élargie dans ce sens qu'il ne sera plus nécessaire de prouver un grave conflit de conscience mais simplement l'impossibilité de concilier le service militaire avec les exigences de sa conscience. Une condamnation par un tribunal militaire subsistera et l'objection continuera d'être considérée comme une infraction même si désormais elle ne sera plus consignée dans le casier judiciaire
[21]. Le projet du gouvernement n'a pas fait l'unanimité. Ainsi, une partie de la droite, s'appuyant sur les refus populaires du service civil de 1977 et 1984, a estimé que la révision allait trop loin. Il faut, selon eux, maintenir intact le principe du service militaire obligatoire dans l'armée de milice. Quant aux défenseurs du service civil, PSS, POCH, AdI et PEP, ils ont jugé ce texte insuffisant car il n'offre pas l'alternative du libre choix entre le service militaire et le service civil. Ils considèrent ce projet comme transitoire et hybride. D'une part, il emprunte au modèle du service civil l'idée d'un engagement de longue durée en faveur de la collectivité tout en maintenant le caractère pénal de l'objection et, d'autre part, il perpétue la distinction entre les différents motifs de conscience et, de ce fait, ne s'adresse qu'à une minorité d'objecteurs
[22].
Dans le même message, le Conseil fédéral a proposé d'introduire dans la loi sur l'organisation militaire, le principe du service militaire sans arme qui figure actuellement dans une ordonnance dont la validité est limitée. Les critères d'admission au service militaire sans arme pour raisons de conscience correspondent à ceux retenus pour les authentiques objecteurs de conscience. Le service des soldats refusant de porter une arme sera prolongé de six à vingt jours afin de compenser le fait que ceux-ci ne seront astreints ni au service de garde ni aux tirs obligatoires mais aussi afin de dissuader ceux qui chercheraient dans cette alternative une solution du moindre effort
[23].
Le
nombre des objecteurs de conscience a connu une légère progression par rapport à l'année 1986. En effet, ils ont été 601 à refuser de servir contre 542 l'année précédente. Parmi ces 601 objecteurs, 169 ont invoqué des raisons religieuses ou éthiques entraînant un grave conflit de conscience tandis que 83 ont refusé de servir pour les mêmes mobiles, mais sans grave conflit de conscience. Les réfractaires purement politiques étaient au nombre de 40 tandis que 309 avaient d'autres motifs comme la crainte de la discipline ou du danger. Même s'il s'agit là d'une minorité infime en regard des jeunes gens qui accomplissent leurs obligations militaires, d'aucuns n'ont cependant pas manqué de souligner que cette hausse du nombre des refus de servir pourrait être annonciatrice d'une nouvelle vague de révolte des adolescents
[24].
Protection civile
L'exercice de protection civile "Fourmi", basé sur un scénario de guerre, a engagé quelque 1200 personnes durant cinq jours dans le tunnel autoroutier du Sonnenberg (LU). Cet exercice avait pour but de vérifier la fermeture des portes de béton, de tester l'aération et d'installer dans le tunnel des postes de commandement et des installations sanitaires. Même si les responsables de l'entreprise se sont déclarés satisfaits du déroulement des opérations, tous les objectifs fixés n'ont pu être atteints. Il en va ainsi de la fermeture des portes qui n'a pu se faire dans le laps de temps initialement imparti, de la formation des cadres qui a laissé apparaître des lacunes ou encore de l'hôpital de secours qui a manqué singulièrement de locaux
[25].
Le DFJP a achevé la préparation de la réquisition des véhicules pour la protection civile. Dorénavant, 45 000 véhicules seront à disposition des organismes de protection civile des communes pour remplir leurs tâches d'intervention de service sanitaire et pour assurer l'alarme
[26].
Un groupe de travail, mandaté par le DFJP, a exposé les possibilités d'intervention de la protection civile en cas d'urgence telles qu'elles existent actuellement et a présenté diverses propositions et recommandations concrètes en vue d'améliorer ces possibilités. La protection civile devrait par exemple devenir pour les autorités cantonales et communales un instrument immédiatement utilisable dans des situations extraordinaires, c'est-à-dire celles dans lesquelles les moyens ordinaires se révèlent insuffisants. Par ailleurs, poursuit le rapport, il faut veiller à ce que l'infrastructure créée pour le cas de guerre puisse aussi être utilisée le plus largement possible pour assurer la protection civile en temps de paix
[27].
Sélection bibliographique
P. Spälti, Aktuelle Fragen unserer Landesverteidigung, Zürich 1987.
D. Majer, Neutralitätsrecht und Neutralitätspolitik am Beispiel Österreichs und der Schweiz, Heidelberg 1987.
Interview A. Koller, in Bilanz, 1987, p. 262 ss.
"Schweiz ohne Armee?", in Neue Wege, 81/1987, Nr. 3.
D. Reymond, Arguments concernant l'initiative populaire demandant le droit de référendum en matière de dépenses militaires, Lausanne 1987.
Rüstung bis zum Jüngsten Tag?: Dossier zur Schweizerischen Rüstungspolitik, Zürich 1987.
P. Spälti, DieRüstungsreferenduminitiative: schlecht getarnter Anschlag auf unsere Landesverteidigung, Zürich 1987.
"Zivilschutz als Teil der Gesamtverteidigung", in Bulletin du Groupe d'Etude Suisse Armée + Sciences sociales, 11/1987, No 1.
[1] BO CE, 1987, p. 309 ss. Cf. aussi APS, 1986, p. 57.
[3] Presse du 25.6.87. Interview Binder: SGT, 25.6.87 ainsi que L'Hebdo, 29, 16.7.87. Interview Mabillard: JdG, 5.12.87.
[4] Rapp. gest., 1987, p. 243.
[5] Délib. Ass. féd., 1987, II, p. 58.
[8] BO CE, 1987, p. 314; cf. aussi APS, 1986, p. 61.
[9] Résultats: FF, 1987, II, p. 829 s. et presse du 6.4.87.
[10] Sur l'orientation antimilitariste de l'initiative: 24 Heures, 28.2.87; NZZ, 5.3., 12.3. et 25.3.87. Le Comité d'action suisse "Non à l'affaiblissement de notre volonté de défense" avait été fondé à Berne à la fin 1986 et était présidé par le CE J. Schönenberger (pdc, SG) et les CN J. Martin (prd, VD) et A. Ogi (udc, BE). Position du DMF: NZZ, 27.2.87. Position des milieux de l'armée: ASMZ, 153/1987, p. 168 ss. Position des initiants: Friedenszeitung, 1987, Nr. 65/66 et 69; SP Information, 221, 9.2.87; 222, 23.2.87; 224, 23.3.87 et 225, 6.4.87. Interview H. Hubacher: BaZ, 1.4.87. Cf. aussi L'Hebdo, 13, 26.3.87 et Domaine public, 857, 26.3.87. Cf. aussi APS, 1986, p. 60 s.
[11] Vox, Analyse de la votation fédérale du 5 avril 1987, Genève 1987.
[12] FF, 1987, I, p. 1161 ss.; BO CN, 1987, p. 924 ss.; BO CE, 1987, p. 475 ss. Cf. aussi presse du 25.9.87.
[13] Presse du 1.6.87. Les 35 premiers exemplaires du nouveau char de combat Léopard 87 ont été remis à la troupe (presse du 8.7.87).
[14] FF, 1987, I, p. 1041 ss.; BO CE, 1987, p. 307 ss.; BO CN, 1987, p. 1385 ss.
[15] FF, 1987, II, p. 869 ss. Cf. aussi presse du 16.5.87.
[16] NZZ, 26.1., 28.1. et 31.1.87; SGT, 28.1. et 29.1.87.
[17] BO CN, 1987, p. 130 ss., 148 ss., 552, 819 et 1040; BO CE, 1987, p. 168, 240 ss. et 424; FF, 1987, I, p. 969 s. (AF concernant l'initiative de Rothenthurm); 1987, II, p. 962 ss. (Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage); RO, 1988, p. 254 ss. Cf. aussi motion Müller (adi, ZH): place d'arme de Rothenthurm: Délib. Ass. féd., 1987, I, p. 10 et infra part. I, 6d (Natur- und Heimatschutz).
[18] Militarisation de l'initiative: NZZ, 6.11.87; JdG, 20.11.87; Domaine public, 865, 26.11.87; FAN, 1.12.87; L'Hebdo, 50, 10.12.87. Stratégie des initiants: Lib., 20.11.87. Prise de position du DMF: Documenta, 1987, no 4, p. 35. Prise de position des milieux de l'armée: ASMZ, 153/1987, p. 398, 493 s., 577 s., 669 et 713. Armée et environnement: Bund, 10.1.87; NZZ, 9.4.87; SGT, 28.11.87 ; Friedenszeitung, 1987, Nr. 69; ASMZ, 153/1987, p. 397.
[19] Presse du 7.12.87. Vote romand: NZZ, 8.12.87.
[20] Vox, Analyse de la votation fédérale du 6 décembre 1987, Zurich 1988.
[21] FF, 1987, II, p. 1335 ss.; cf. aussi APS, 1986, p. 63.
[22] Friedenszeitung, 1987, Nr. 71/72; ASMZ, 153/1987, p. 494. Cf. aussi presse du 29.5.87 et Domaine public, 867, 11.6.87.
[23] FF, 1987, II, p. 1335 ss.
[24] Presse du 10.2.88. Cf. aussi Friedenszeitung, 1987, Nr. 67.
[25] Presse du 4.11.87; Vat., 13.11., 17.11., 18.11., 19.11., 21.11., 29.11. et 5.12.87; LNN, 14.11., 17.11., 18.11., 21.11. et 12.12.87.
[26] 24 Heures et SGT, 28.7.87.
[27] Rapp. gest., 1987, p. 171 s.