Politique sociale
Population et travail
Le Conseil des Etats a rejeté l'initiative "Pour la réduction de la durée du travail" déposée en 1984 par l'USS. – Les Chambres fédérales ont approuvé à une large majorité une révision de l'ordonnance concernant la Caisse fédérale d'assurance qui instaure la retraite flexible pour le personnel fédéral. – La question de l'aménagement du temps de travail partage les syndicats.
Mouvement démographique
Même si la population résidante de la Suisse a augmenté de 0,7% en 1987 pour atteindre 6 566 900 individus, la pyramide des âges ne cesse de se détériorer. En dépit d'un solde migratoire positif et d'un excédent des naissances, la population suisse, à l'instar de celle des autres pays industrialisés, poursuit son inexorable
vieillissement. La part des jeunes de moins de 20 ans à la population totale se chiffrait encore à 31% en 1971 pour s'abaisser progressivement à 24,1% en 1987. Durant la même période, les plus de 65 ans ont connu une évolution inverse, passant de 11,5% à 14,4% de la population totale
[1].
L'Office fédéral de la statistique a soumis au Conseil fédéral trois
scénarios sur l'évolution démographique de 1986 à l'an 2025. Ceux-ci corroborent les données relatives aux changements structurels quant à l'âge de la population. La variante principale suppose que la politique actuelle à l'égard des étrangers (stabilisation de l'effectif et intégration) sera maintenue et que la fécondité (nombre moyen d'enfants par femme) ne dépassera pas le niveau actuel. Sur cette base, on peut affirmer que la croissance de la population sera faible au cours des prochaines décennies (augmentation qui sera moins le fait des naissances que de la progression de l'espérance de vie), que le nombre des personnes en âge de travailler continuera d'augmenter légèrement dans l'immédiat pour s'inscrire ensuite à la baisse, que le nombre des naissances ira en diminuant et enfin, que le nombre des personnes retraitées connaîtra une forte expansion
[2]. Outre le fait que l'on puisse douter de l'effet des mesures incitatives pour relancer la procréation, une politique nataliste ne peut corriger qu'après de très nombreuses années les effets conjugués de la dénatalité et du vieillissement. Il ne fait désormais plus aucun doute que cette évolution agira sur un grand nombre de variables qui sont décisives pour notre société: augmentation des dépenses sociales et de la santé, difficultés liées au financement des pensions, menace sur la crédibilité de notre défense nationale, manque de main-d'oeuvre sur le marché du travail et, partant, baisse du pouvoir d'innovation et retard dans le renouvellement des connaissances et du savoir professionnels et enfin difficulté aiguë d'adaptation de la Suisse aux changements de l'environnement international.
Marché de l'emploi
Si pour l'ensemble de la Suisse le
taux de chômage pour l'année 1987 se situait en moyenne à 0,8% (24 673 personnes), il laissait cependant apparaître d'importantes disparités entre les régions et les secteurs de l'économie. Le Plateau et le Nord-Ouest de la Suisse connaissaient le taux de chômage le plus faible, tandis que la situation était nettement plus nuancée dans les cantons romands et au Tessin. La Suisse romande a connu une évolution de l'emploi toujours moins favorable que la moyenne nationale, à l'exception des cantons de Vaud et de Fribourg. Les taux de chômage les plus élevés sont ceux du Tessin (2,4%), du Jura (2,2%) et de Neuchâtel (2,1 %). Au problème de l'emploi dans les régions, s'ajoute celui des mutations structurelles. Ainsi, le secteur secondaire risque de poursuivre sa perte de poids dans l'économie vu la progression persistante de l'emploi dans les services, ce qui aggraverait encore la situation dans les régions déjà les plus défavorisées. Quant à l'emploi global, il a fortement augmenté en raison de la croissance dans le secteur des services et notamment dans les banques, le commerce de détail et les assurances
[3].
Le recrutement de personnel qualifié et la faculté de conserver la main-d'oeuvre dont ils disposent, sont devenus des sujets de préoccupations pour la plupart des employeurs. En effet, un des problèmes les plus aigus auquel est confronté le marché du travail en Suisse est le manque de personnel qualifié. Les statistiques de l'emploi démontrent l'évolution et l'acuité de la question. En 1982, 29% des établissements déclaraient manquer de personnel qualifié. Ce pourcentage était passé à 36% en 1986 pour atteindre 45% lors du troisième trimestre 1987. Cette pénurie croissante de collaborateurs qualifiés affecte en particulier les entreprises bancaires, les arts graphiques, l'industrie horlogère et la construction. De l'avis des experts, cette situation est la conséquence directe des mutations fondamentales qui affectent depuis plusieurs années le monde du travail. L'introduction massive de nouvelles technologies, l'informatisation et le recours progressif à de nouvelles méthodes de management ont considérablement modifié la structure des besoins des entreprises en personnel. En raison des sombres perspectives démographiques énoncées précédemment, seule une généralisation et une intensification de la formation permanente serait en mesure de surmonter les obstacles conjoncturels et structurels auxquels devra faire face le marché de l'emploi en Suisse
[4].
Temps de travail
Lancée par l'Union syndicale suisse (USS) et déposée en 1984, l'initiative "Pour la réduction de la durée du travail" vise à diminuer par étapes la durée hebdomadaire du travail à 40 heures, ceci sans diminution de salaire. Les initiants entendent ainsi faire bénéficier les travailleurs d'une part de l'accroissement de la productivité dû au progrès technique, tout en créant des conditions de plein emploi
[5]. Dans son message, le Conseil fédéral a proposé aux Chambres fédérales
le rejet de l'initiative sans lui opposer de contre-projet. Il a motivé son refus en estimant notamment que les négociations entre partenaires sociaux perdraient une grande part de leur substance si la durée du travail revendiquée par les syndicats était fixée par voie légale. Il a également invoqué le fait que la capacité d'adaptation de l'économie suisse s'en trouverait réduite, alors que les entreprises sont justement dans une phase de restructuration. Pour le gouvernement, les travailleurs et l'économie ont tout intérêt à ce que les questions touchant à la durée du travail et aux salaires continuent à être traitées entre partenaires sociaux de façon à tenir compte des disparités régionales et des différences entre branches de l'économie. Ce à quoi l'USS a rétorqué en soulignant que l'essentiel des négociations collectives ne se résumait pas à la détermination de la durée du travail
[6].
Le Conseil des Etats a suivi la recommandation du Conseil fédéral et, par 29 voix contre 8, a rejeté ladite initiative. La majorite des députés a estimé qu'elle fixait des règles trop strictes. A ses yeux, la négociation reste la meilleure manière d'atteindre une amélioration des conditions de travail et une disposition constitutionnelle ferait intervenir le législateur dans un domaine traditionnellement réservé aux partenaires sociaux. Qui plus est, a-t-elle fait valoir, une réduction de la durée de la semaine de travail par voie légale restreindrait en outre le développement ultérieur d'autres formes d'aménagement du temps de travail en fonction de l'évolution de la productivité
[7].
Du point de vue patronal, une acceptation de l'initiative entraînerait des changements en profondeur dans la politique du travail, compromettrait le système de la réglementation des conditions de travail par le biais des conventions collectives et réduirait l'importance et le rôle des syndicats. Et les associations économiques de poursuivre en indiquant que la réduction de la durée du travail ne contribuerait pas à une résorption du chômage mais, au contraire, accélérerait encore le remplacement par les entreprises de la main-d'oeuvre par des investissements techniques
[8].
Du côté des syndicats, on a défendu l'initiative en faisant valoir que la courbe ascendante de la productivité permettrait de diminuer encore la durée du travail. A leurs yeux, elle remplit une importante fonction d'harmonisation, dans la mesure où elle permettrait d'adapter progressivement les durées excessives de 50, 60 voire même davantage d'heures hebdomadaires aux 40 heures pratiquement déjà obtenues ou prévues par voie contractuelle dans d'importants secteurs de production à forte implantation syndicale
[9].
Les Chambres fédérales ont approuvé à une large majorité une révision de l'ordonnance concernant la Caisse fédérale d'assurance et les statuts de la Caisse de pension et de secours des CFF, répondant ainsi à une revendication formulée.en 1984 par l'Union fédérative du personnel des administrations publiques. D'aucuns n'ont pas manqué de faire un rapprochement entre ce geste en faveur des fonctionnaires et l'échéance toute proche des élections fédérales. Deux principes avaient guidé le Conseil fédéral dans l'élaboration du nouveau système: la révision ne devait pas entraîner de dépenses supplémentaires et il fallait réaliser l'égalité juridique de l'homme et de la femme au regard de la prévoyance professionnelle. Le modèle à trois paliers choisi par le gouvernement et qui s'applique à tous prévoit que les fonctionnaires pourront prendre une retraite anticipée avec réduction de rente dès 60 ans ou dès 62 ans et sans réduction s'ils ont cotisé durant 40 ans ou qu'ils pourront encore poursuivre leurs activités jusqu'à 65 ans. Comme le principe de l'égalité se réalise au détriment de la femme — celle-ci pouvait auparavant prendre sa retraite dès 55 ans avec 35 années de service — le gouvernement a inclus des dispositions transitoires qui permettront aux femmes de bénéficier de l'ancien système durant une période de 20 ans.
Cette révision va toucher près de 135 000 fonctionnaires de la Confédération, des PTT et des CFF. Elle traduit le souci de renforcer la compétitivité de la Confédération sur le marché du travail. Les mesures prises dans le domaine de la rétribution et de la classification des fonctions s'inscrivent également dans cette logique
[10]. Après avoir dans un premier temps supprimé la retraite à la carte de l'ordre du jour de la session d'automne, afin de permettre aux parlementaires concernés de disposer de suffisamment de temps pour préparer leur campagne électorale, les présidents de groupes qui étaient opposés à cette révision se sont finalement ravisés. Le tollé général soulevé par la décision initiale au-près des associations de personnel, des syndicats et des partis de gauche, comme le désaveu des groupes parlementaires démocrate-chrétien, radical et indépendant-évangélique, ont expliqué cette volte-face.
Au Conseil national, le député Reich (prd, ZH) a proposé en vain une motion de renvoi du dossier en commission pour réexaminer le parfait respect de la neutralité des coûts pour la Confédération ainsi que les incidences du projet sur l'AVS et les caisses de pension de l'économie privée. Il a été appuyé dans sa démarche par les libéraux, les agrariens et une partie des radicaux qui tous craignaient que cette modification en faveur des fonctionnaires n'annonce en fait l'introduction de l'âge de la retraite à 62 ans pour tout le monde. La droite proche de l'économie s'est dite inquiète de l'effet que pourrait avoir le modèle sur le secteur privé. Ce à quoi les partisans du projet, la gauche et le Parti démocrate-chrétien, ont répondu en indiquant que la Confédération ne faisait que suivre le mouvement instauré dans 23 cantons, plusieurs villes ainsi que dans de grandes entreprises. La droite a également relevé qu'en raison des cotisations supplémentaires, le salaire net touché par les fonctionnaires en activité allait diminuer et que ceci pouvait entraîner des revendications salariales. Même si elle a défendu le projet, la gauche n'a cependant pas manqué de relever que la retraite à la carte allait se réaliser parce que les coûts supplémentaires étaient répercutés sur le personnel. En effet, les cotisations passeront de 6 à 7,5% tant pour les assurés que pour l'employeur, mais ce dernier compensera cette dépense par le fait qu'il ne participera plus désormais au financement du rachat des années de cotisation perdues, sauf cas exceptionnels. Finalement, la révision a été acceptée par 102 voix contre 1.
Quant aux membres du Conseil des Etats, ils n'ont formulé aucune opposition de principe au projet gouvernemental. Les délibérations ont pour l'essentiel porté sur l'ajournement ou non du dossier. Une proposition Hefti (plr, GL) voulant renvoyer le projet à la commission préparatoire fut rejetée
[11]. Principale intéressée, l'Union fédérative du personnel des administrations publiques s'est félicitée des améliorations des conditions de travail apportées au personnel, mais a cependant estimé trop faible la rente servie jusqu'à l'âge de l'AVS et regretté que cette révision ne coûte rien à l'employeur mais uniquement aux fonctionnaires
[12].
L'aménagement du temps de travail, qui résulte d'une mutation industrielle et d'une évolution technologique, représente un nouveau sujet de préoccupation pour les partenaires sociaux. Le débat sur la flexibilité du temps de travail, c'est-à-dire l'adaptation du volume des heures de travail au plan de charge de l'entreprise, fut véritablement lancé en automne 1986, lorsque le groupe ETA-Marin (filiale du groupe SMH) et la Fédération des travailleurs de la métallurgie et de l'horlogerie (FTMH) signèrent, dans le cadre d'une nouvelle convention collective de travail, un accord sur l'introduction de l'horaire continu. Selon cet accord, une partie du personnel travaillerait exclusivement en fin de semaine, soit 30 heures réparties sur trois jours et payées à plein temps.
Pour le patronat, seul un aménagement du temps de travail est en mesure de permettre à l'économie suisse de faire face à la concurrence étrangère. Quant à la FTMH, elle a estimé qu'il était impossible de s'opposer au travail en continu et qu'il s'agissait pour les syndicats, par l'intermédiaire des conventions collectives, de réglementer la flexibilité revendiquée par le patronat. A ses yeux, l'accord conclu permettra d'éliminer toute une série d'inconvénients et de désagréments qu'occasionne actuellement aux ouvriers le système des autorisations pour travailler en équipes et le dimanche. Après avoir conservé une certaine réserve, l'USS a relevé que si l'accord comportait deux avantages, la relative régularité des équipes et la réduction massive de la durée du travail, il représentait aussi des risques comme un danger de marginalisation des travailleurs en fin de semaines et la longueur des journées de travail. Même s'il n'est pas opposé au travail en continu, l'OFIAMT reste en revanche fermement opposé à l'idée que des ouvriers puissent travailler tous les dimanches car la loi interdit de travailler plus de 26 dimanches par année. Il a cependant annoncé que les deux parties avaient approuvé le principe d'une solution respectant les exigences de la loi sur le travail tout en tenant compte des besoins de l'entreprise
[13].
Si le patronat est unanime à reconnaître la nécessité de l'aménagement du temps de travail, les syndicats sont plus partagés sur la question. D'une part le mouvement syndical lutte pour éviter un recours plus fréquent au travail de nuit, en exigeant des autorités qu'elles appliquent avec rigueur les critères, notamment économiques, pour autoriser des dérogations à l'interdiction générale du travail de nuit et, d'autre part, souhaite une amélioration des conditions de travail de ceux qui doivent s'adonner au travail en continu. Si la FTMH se montre favorable à la flexibilité, à condition qu'elle s'exerce sur les horaires et non sur les salaires, la Fédération des travailleurs du textile, de la chimie et du papier (FTCP) est quant à elle farouchement opposée à l'introduction du travail en continu qui, selon elle, entraîne la désintégration du tissu social. En 1986, l'USS avait adopté des thèses sur la réduction du temps de travail où elle disait en substance que le principe de l'interdiction générale du travail de nuit et du dimanche ne restreint pas la liberté des travailleurs, mais protège leur santé et leur vie sociale, familiale et culturelle.
Par ailleurs, de nombreuses études ont démontré les effets néfastes sur l'organisme de l'individu qu'engendre le travail de nuit. Le Syndicat suisse des services publics (SSP) exige, à l'instar des autres syndicats, que le travail irrégulier soit compensé non pas sous forme pécuniaire mais par du temps libre, des périodes de repos plus longues, des week-ends réguliers et par la retraite à la carte. Le SSP soutient des prestations effectuées à des heures irrégulières et inaccoutumées s'il s'avère qu'elles sont nécessaires au plan social (transport, services de santé etc.) mais il s'oppose à leur extension dans le secteur privé pour des raisons uniquement techniques ou de rentabilité car ces formes de travail entraîneraient à leur tour des besoins supplémentaires dans les services publics
[14].
Toujours en relation avec l'aménagement du temps de travail, deux motions identiques chargeant le Conseil fédéral de présenter un projet de révision de la loi sur le travail, qui tienne compte des mutations sur le marché du travail, ont été acceptées tant au Conseil national où elle fut déposée par le groupe libéral qu'au Conseil des Etats où elle le fut par le conseiller Meylan (ps, NE)
[15]. Face à l'augmentation du pourcentage de la population active travaillant la nuit et devant les atteintes à l'intégrité physique et psychique et les difficultés sociales qu'entraîne cette évolution, le Conseil national a adopté une motion Renschler (ps, ZH) sous la forme d'un postulat priant le Conseil fédéral de limiter par voie d'ordonnance à 38 heures la durée maximale du travail hebdomadaire des travailleurs employés régulièrement la nuit
[16].
Salaires
Le Conseil fédéral a transmis un message aux Chambres fédérales proposant une révision de la classification des fonctions et un relèvement des salaires réels des fonctionnaires de 2%. Le gouvernement a expliqué que les nouvelles exigences qu'imposent aux collaborateurs les restructurations, les rationalisations ainsi que les instruments de travail modernes, nécessitent une révision complète de cette classification. En outre, il a défendu le principe d'une allocation d'automne qui se monte à 600 francs et qui sera versée à tous les agents de la Confédération. Ces innovations ont pour but de parer le plus rapidement à l'hémorragie dont le personnel fédéral est victime.
L'ensemble de ces mesures vise à améliorer la
compétitivité de la Confédération sur le marché de l'emploi. Le salaire de certains de ses agents accuse parfois un retard réel d'environ 5% par rapport à ceux qu'offrent divers secteurs similaires de l'économie privée. Ceci explique certainement les difficultés auxquelles est confrontée la Confédération en ce qui concerne le recrutement sur le marché de l'emploi
[17]. Le problème du personnel est particulièrement aigu aux PTT où certaines catégories d'employés ont accusé un nombre de démissions inégalé. Dans l'espoir de freiner cet exode, mais aussi à la suite d'une manifestation de plus de 1000 employés des PTT, le Conseil fédéral a pris un paquet de mesures spéciales en faveur du personnel fédéral travaillant à Genève et dans les environs. En effet, depuis le 1er juillet 1987, celui-ci reçoit une indemnité spéciale de 2000 francs par an et, si nécessaire, une allocation de loyer de 300 à 500 francs au plus par mois durant cinq ans
[18].
La rareté de la main-d'oeuvre n'a cependant pas semblé avoir entraîné une hausse généralisée au niveau des salaires versés. Il est néanmoins indéniable que certains employeurs n'ont eu d'autre alternative que celle d'octroyer des rémunérations plus élevées pour se doter de spécialistes dont ils avaient un urgent besoin. L'enquête sur les salaires et traitements effectuée par l'OFIAMT traduit, pour la période allant d'octobre 1986 à octobre 1987, une augmentation moyenne du gain des travailleurs de 2,4% en valeur nominale (1986: 3,6%). Compte tenu du renchérissement de 2,0%, les gains ont progressé de 0,4% en termes réels (1986: 3,2%). L'enquête a toutefois laissé apparaître des différences d'une branche économique à une autre. Ainsi, dans l'industrie et les arts et métiers, les salaires ont progressé de 2,8%, alors que ce taux n'était que de 2,1% dans le secteurs des services
[19].
Conventions collectives de travail (CCT)
Après de laborieuses négociations, la Société suisse des entrepreneurs (SSE) et les syndicats concernés (Syndicat du bois et du bâtiment, Fédération chrétienne des travailleurs de la construction suisse, l'Union suisse des syndicats autonomes et l'Association suisse des salariés évangéliques) ont convenu d'une nouvelle CCT dans le domaine de la construction. Celle-ci a mis fin à une période de crise entre partenaires sociaux qui a connu son point culminant lors des manifestations de mécontentement qui se sont déroulées en Suisse romande. Parmi les améliorations fixées dans la convention collective figurent une compensation du renchérissement de 2%, une hausse générale des salaires réels de 2% et une adaptation individuelle du salaire en fonction de la performance de 1% pour 1988. En outre, la convention prévoit pour 1989 une réduction de la durée du temps de travail d'une demi-heure par semaine. Dès 1988, les entreprises auront la possibilité de fixer leur propre calendrier en tenant compte de la flexibilité du temps de travail et des besoins des entreprises qui diffèrent selon la saison
[20].
Une nouvelle CCT dans l'artisanat du métal, ratifiée par l'Union suisse du métal et les syndicats, entrera en vigueur le 1er janvier 1988 pour une durée de quatre ans. Principales innovations: la durée du travail passera de 43 à 42 heures par semaine dès le ler janvier 1988 et à 41 heures dès le ler janvier 1990, avec compensation intégrale du salaire; l'indemnité de fin d'année, équivalente à 60% d'un salaire mensuel dans l'ancienne convention, sera portée à 70% dès le lei janvier 1989, puis à 80% dès le ler janvier 1991; enfin, une augmentation de 1,5% des salaires réels entrera en vigueur le Zef janvier 1988
[21].
En 1987, la Suisse n'a pas connu une seule journée complète de grève et un seul conflit collectif de travail a éclaté. Il s'agissait en l'occurence de
l'action de protestation survenue dans le bâtiment. A l'appel des sections romandes de la FOBB, plus de 6000 ouvriers ont défilé à Genève durant les heures de travail pour protester contre le refus patronal d'accepter une augmentation générale des salaires de 3% et pour exiger une baisse de la durée du travail de 42,5 à 40 heures. Cette manifestation, à laquelle ni les sections alémaniques et tessinoises, ni les trois autres syndicats signataires de la convention ne s'étaient associés, a également permis au syndicat de démontrer son pouvoir de mobilisation en vue du prochain renouvellement de la CCT. Pour le patronat, en l'occurence la Société suisse des entrepreneurs, cette manifestation a constitué une violation de la paix du travail car la FOBB a, selon lui, décidé de ces grèves sans recourir à la procédure prévue dans la convention pour résoudre les différends relatifs aux salaires. Et la SSE de porter plainte contre le syndicat incriminé auprès du tribunal arbitral du secteur de la construction et de réclamer une amende de 100 000 francs. Du côté syndical, on a indiqué qu'il ne s'agissait pas de débrayage mais d'assemblées libres convoquées démocratiquement et ne remettant pas en cause la paix du travail
[22].
La commémoration du
cinquantième anniversaire de l'accord de paix dans l'industrie des machines a fourni l'occasion d'une discussion plus générale sur la paix du travail en Suisse. Même si la coopération et la concertation sont solidement implantées dans la vie économique, politique et sociale et que personne ne songe à remettre en cause le principe des conventions, certaines voix s'élèvent du côté syndical pour émettre des réserves. En effet, aux yeux de certains, les conventions collectives et, partant, la paix sociale, ont freiné l'amélioration des conditions sociales ou du moins en ont retardé l'avènement. Les opinions divergent quant à l'interprétation de l'obligation absolue de paix. Les uns visent l'amélioration des réglementations de paix absolue par le biais d'une procédure de règlements de conflits encore plus élaborée. Les autres, souhaitent remplacer l'obligation absolue de respecter la paix du travail par une paix relative, instaurant la légitimité de certaines grèves
[23].
Si dans leur grande majorité les partenaires sociaux s'accordent à reconnaître que la paix du travail a facilité l'adaptation de l'économie suisse aux changements de l'environnement économique, monétaire et technologique et assurent qu'elle a joué un rôle décisif dans le développement de l'industrie et permis d'accroître la prospérité commune, certains posent un regard plus critique et se refusent à la considérer comme intouchable. II en va ainsi pour G. Tissot, secrétaire général adjoint du syndicat interprofessionnel des travailleurs à Genève, qui considère que la paix du travail est devenue une sorte de mythe, comme la relation que l'on établit entre elle et la prospérité économique. A ses yeux, c'est grâce à la prospérité économique dont la Suisse a bénéficié au cours de ces cinquante dernières années que la paix du travail a pu se maintenir et non l'inverse. Et d'affirmer que la paix du travail a très fortement bénéficié des circonstances régnant en Europe: consensus dans l'Europe en guerre de la fin des années trente, boom économique de la reconstruction des années cinquante et période de haute conjoncture dans les années soixante
[24].
Protection des travailleurs
Les Chambres fédérales n'ont pas été en mesure d'aplanir toutes les divergences qui subsistaient entre elles au sujet de la révision du Code des obligations qui doit servir de
contre-projet indirect à l'initiative des syndicats chrétiens "Pour la protection contre les licenciements". Déposée en 1981, elle vise notamment à contraindre l'employeur à motiver par écrit un congé si le travailleur concerné en formule la demande et à permettre à l'ouvrier d'attaquer, par voie juridique, son éventuel renvoi. A l'instar des députés du Conseil national, les sénateurs ont accepté l'obligation, si une partie en fait la demande, de motiver par écrit le licenciement ordinaire et le licenciement immédiat. En revanche, le Conseil des Etats s'est montré plus restrictif en ce qui concerne les dispositions relatives au congé abusif. S'il a accepté de considérer comme abusif le congé donné en raison de l'appartenance du travailleur à une organisation syndicale ou à une commission d'entreprise ou encore l'accomplissement d'obligations militaires, il s'est par contre démarqué de la Chambre du peuple en décidant de ne pas considérer comme abusif le congé donné pour des raisons inhérentes à la personnalité ou en raison de l'exercice d'un droit constitutionnel si ces raisons portent un préjudice au travail dans l'entreprise. La majorité a fait valoir que les personnes incriminées constituaient une charge inacceptable pour les entreprises. Il a également refusé d'intégrer dans les licenciements abusifs ceux donnés afin d'empêcher le salarié de revendiquer des avantages dus. Au cours de la procédure d'élimination des divergences, le Conseil national s'est aligné sur plusieurs points. Il a notamment admis qu'un congé donné pour une raison liée à la personnalité du travailleur ou en raison de l'exercice d'un droit constitutionnel ne sera pas jugé abusif si le comportement du travailleur porte un grave préjudice à l'entreprise. Par contre, il a maintenu l'obligation non seulement de notifier le congé immédiat par écrit, mais encore de le motiver sur demande de l'une des parties. En fin d'année, il subsistait toujours des divergences entre les deux chambres
[25].
Le Conseil national a adopté le projet de révision de la loi fédérale sur le service de l'emploi et la location de service. Ce faisant, il a assuré une meilleure protection aux travailleurs. Ainsi, dans le domaine du placement privé, le projet étend le régime de l'autorisation obligatoire aux placements effectués par les organisations professionnelles, les organismes d'utilité publique, à la location de services ainsi qu'aux conseillers en personnel s'occupant de la recherche de collaborateurs et de la sélection de partenaires contractuels. Une forte minorité, emmenée par les radicaux et les libéraux, a fustigé l'interventionnisme des dispositions adoptées et a dénoncé une nouvelle ingérence de l'Etat dans les relations entre employeurs et employés. Elle s'est également opposée en vain à l'obligation pour les entreprises de travail intérimaire de fournir des sûretés comme garantie minimum de salaire. La droite et les milieux économiques craignent que la loi, en renforçant le rôle des services publics de placement et des offices communaux de travail, n'aboutisse à un monopole de l'Etat en matière d'emploi. Les députés du Conseil national ont par ailleurs repoussé une proposition Couteau (pl, GE) visant à réserver le service public de placement aux seuls chômeurs ou salariés menacés de perdre leur emploi.
De leur côté, les partisans de la révision, la gauche et le PDC, ont défendu l'idée selon laquelle ladite révision avait pour but de prévenir les abus de la part de petites officines dont les travailleurs sont victimes. Autres innovations adoptées: les conditions de travail et de salaire seront appliquées aux travailleurs si l'entreprise est soumise à une convention collective dont les effets sont étendus à l'ensemble de la branche, les bureaux de placement et de location de service seront désormais obligés de présenter un rapport aux autorités s'occupant du marché de l'emploi et enfin, les employeurs seront obligés de déclarer les licenciements importants et les fermetures d'entreprises
[26]. Après les délibérations, les représentants de l'économie ont maintenu que la conception de ladite révision était erronée et inefficace sur le marché de l'emploi mais ont aussi dénoncé le fait qu'elle renforce, à leurs yeux, le placement public au détriment du privé et qu'elle contribue à gonfler l'appareil administratif de l'Etat
[27].
Le dossier de la participation des travailleurs dans les entreprises a avorté sans qu'aucune solution acceptable pour les uns comme pour les autres ait pu finalement être trouvée. En effet, la commission du Conseil national chargée de trouver un consensus pour une loi limitant la participation à l'exploitation, à l'exclusion de la gestion d'entreprise, a rejeté l'entrée en matière sur les variantes qui lui étaient soumises. Les commissaires ont ainsi refusé un premier projet visant à établir une loi laissant une marge de manoeuvre aux partenaires sociaux dans l'élaboration des règles contractuelles sur la participation. Ils ont également écarté un deuxième projet qui prévoyait de confier la participation des travailleurs aux partenaires économiques.
Les syndicats, qui tentaient d'imposer une participation des salariés qui s'étende aussi aux conseils d'administration des entreprises, ont déclaré vouloir peser de toute leur influence pour élargir le droit de participation individuel et celui des commissions d'entreprises au travers des conventions collectives de travail. Pour eux, une loi sur la participation n'aurait de sens que si elle ouvrait la voie à l'élargissement des commissions d'entreprises et des compétences reconnues à la participation. Même si elles se montrent conciliantes à l'égard de certaines formes de consultation des travailleurs au niveau de l'exploitation, notamment au travers des conventions collectives de travail, les associations économiques sont hostiles à une participation plus large. Une telle innovation compromettrait, à leurs yeux, la capacité de décision des entreprises et, partant, l'esprit d'initiative
[28].
Sélection bibliographique
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T. Straubhaar, Die Schweiz nach 2000 "ein Altersheim?", Zürich 1987;
M. Heimo, "Quel avenir démographique pour le peuple suisse?", in Civitas, 42/1987, p. 161 ss.;
A. Müller, "Marché du travail et barrières démographiques", in La Vie économique, 61/1988, no 1, p.15s.
D. Freiburghaus, Präventivmassnahmen gegen die Arbeitslosigkeit in der Schweiz: Methoden der Wirkungsanalyse und erste Ergebnisse, Bern 1987;
R. Mazzi, La précarisation de l'emploi, Lausanne 1987;
K. Hug, "Le marché suisse du travail: 1987, année charnière?", in La Vie économique, 61/1988, no 1, p. 11 ss.
BIT (éd.), La flexibilité du marché de l'emploi: un enjeu économique et social, Genève 1987;
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H.-P. Tschudi, "Flexibilität der Lebensarbeit" et K. Ley, "Flexible Arbeitszeiten: Überlegungen zu ihrer aktuellen Bedeutung und rechtlichen Sicherung", in M. Rehbinder (éd.), Flexibilisierung der Arbeitszeit, Bern 1987;
J. Schneider, "Flexibilité du temps de travail: la raison d'ETA", in Plädoyer, 5/1987, no 5, p. 23 ss.
cf. infra, part. IIIb (Lit.). Protection des travailleurs
H.-P. Tschudi, La protection des travailleurs en droit suisse, Berne 1987.
[2] Office fédéral de la statistique, Scénarios de l'évolution de la population suisse 1986-2025, Berne 1987. Cf. aussi A. Müller, "Marché du travail et barrières démographiques", in La Vie économique, 61/1988, no 1, p. 15 s.
[3] La Vie économique, 61/1988, no 1, p. 11 ss.; no 2, p. 2 et 10 ss.
[4] Rapp. gest., 1987, p. 309 ss.; presse du 25.8.87. Cf. aussi K. Hug, "Le marché suisse du travail: 1987, année charnière?", in La Vie économique, 61/1988, no 1, p. 11 ss.
[5] Cf. APS, 1986, p. 151.
[6] FF, 1987, II, p. 1033 ss.
[7] BO CE, 1987, p. 562 ss.
[8] SAZ, 10.6., 16.9. et 14.10.87.
[10] FF, 1987, II, p. 501 ss. Cf. aussi APS, 1986, p. 152. Position de la Confédération sur le marché du travail cf. supra, part. I, 1c (Verwaltung) et infra (Salaires).
[11] FF, 1987, II, p. 501 ss.; BO CE, 1987, p. 409 ss.; BO CN, 1987, p. 1151 ss.
[12] Journal des fonctionnaires fédéraux, 6.3., 15.3., 31.3., 24.9. et 8.10.87.
[13] USS, 7.1.87; FOBB, 24.2.87; L'Hebdo, 26.2.87. Cf. aussi APS, 1986, p. 151 s.
[14] Patronat: RFS, 27.10.87. FTCP: L'Hebdo, 26.2.87. SSP: USS, 9.9.87; VO, 17.9.87. Interview K. Ley sur le temps de travail: L'Hebdo, 1.10.87.
[15] BO CN, 1987, p. 991; BO CE, 1987, p. 325.
[16] BO CN, 1987, p. 991; USS, 18.3. et 24.6.87.
[17] FF, 1987, III, p. 809 ss. Presse du 22.10.87.
[19] La Vie économique, 61/1988, no 8, p. 34.
[20] Presse du 18.12.87. Cf. aussi Conflits collectifs de travail et infra, part. IIIb (Sozialpartner).
[21] Presse du 5.11.87; USS, 11.11.87.
[22] FOBB, 19.3., 31.3. et 7.4.87; VO, 26.3. et 2.4.87; presse du 26.3. et du 24.4.87. Cf. aussi APS, 1986, p. 154 et La Vie économique, 61/1988, no 4, p. 28.
[23] Paix du travail: cf. infra, part. lllb (Sozialpartner).
[25] BO CE, 1987, p. 302 ss., 334 ss. et 610 ss.; BO CN, 1987, p. 1257 ss. Cf. aussi APS, 1986, p. 154 s. Patronat: SAZ, 2.7., 10.9. et 10.12.87. Syndicats: USS, 24.6.87.
[26] BO CN, 1987, p. 177 ss. Cf. aussi APS, 1985, p. 139 s.
[27] SAZ, 5.3. et 19.3.87.
[28] USS, 16.9.87; SAZ, 29.9.87. Cf. aussi APS, 1986, p. 155.