En 2017, le peuple suisse a adopté la Stratégie énergétique 2050. Cette stratégie prévoit notamment l'interdiction de construire de nouvelles centrales nucléaires. Si cette votation a fermé, temporairement, le livre du nucléaire, de nombreuses discussions dans la presse mais également différents objets déposés au Parlement ont remis l'énergie nucléaire au centre des débats depuis 2021. L'initiative populaire fédérale «De l’électricité pour tous en tout temps (Stop au blackout)» symbolise ce changement de cap. Du côté des initiant.e.s, on martèle notamment l'importance de sécuriser l'approvisionnement énergétique.
Dans cette optique, le sénateur argovien Thierry Burkart (plr, AG) a déposé un postulat qui charge le Conseil fédéral de présenter, dans un rapport, quatre axes relatifs à l'exploitation et à la construction de centrales nucléaires en Suisse. Premièrement, le rapport doit établir le cadre réglementaire et financier nécessaire pour maintenir l'exploitation des centrales nucléaires existantes, en prenant notamment en compte la sécurité des installations. Deuxièmement, le rapport doit envisager différents scénarios pour alléger la charge financière qui pèse sur les exploitants de centrales nucléaires. Des incitations financières devraient également être envisagées. Troisièmement, le rapport doit clarifier le cadre législatif pour permettre le remplacement de composants nucléaires indispensables à l'exploitation à long-terme d'une centrale nucléaire. Quatrièmement, le rapport doit présenter l'évolution du mix énergétique en Suisse en prenant en compte la production d'énergie renouvelable et le rôle que pourraient jouer de nouvelles centrales nucléaires.
Ce postulat a secoué la chambre des cantons. De nombreux orateurs et oratrices se sont pressées à la tribune, soit pour plaider en faveur de l'énergie nucléaire qui sécurise l'approvisionnement énergétique, ou alors pour fustiger une tentative déguisée d'autoriser à moyen-terme la construction de nouvelles centrales nucléaires en Suisse malgré le vote du 21 mai 2017. D'un côté, le PLR, le Centre et l'UDC ont mis en évidence le rôle clé de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique de la Suisse, ont remis en question la décision populaire de 2017 qui serait basée, selon eux, sur des prédictions de consommation et de production énergétiques erronées, et rappelé qu'il ne s'agit «que d'un postulat» qui permettrait d'avoir une vision globale et à jour de la situation et qu'en aucun cas cela entraînerait des conséquences législatives immédiates. D'un autre côté, le PS et les Vert-e-s ont dénoncé un postulat «inutile» car l'Administration fédérale, et notamment l'Office fédérale de l'énergie (OFEN) effectuent déjà un travail de monitoring. Ils ont également pointé du doigt une tentative «sournoise» de revenir sur la volonté populaire de mai 2017 et critiqué une technologie d'un autre temps, attaquant au passage les centrales nucléaires de nouvelle génération qui ne produiraient de l'énergie «pas avant 25 ans». Dans leur argumentaire, les opposant.e.s ont également mentionné le rejet du postulat 22.4021, à l'intitulé similaire, au sein de la chambre du peuple.
Pour sa part, le Conseil fédéral a recommandé l'adoption du postulat. Sans se positionner sur la question du nucléaire, il a simplement argumenté qu'un rapport sur la situation serait forcément bénéfique pour relever le défi de la sécurité d'approvisionnement.
En s'appuyant sur l'article 78 alinéa 1 de la loi sur le Parlement (LParl), le sénateur écologiste Mathias Zopfi (vert-e-s, GL) a préconisé un vote séparé pour les quatre axes du postulat. L'objectif du sénateur était d'obtenir un vote séparé sur le quatrième axe qui mentionne explicitement la construction de nouvelles centrales nucléaires. Lors du vote, les quatre points du postulat ont été adoptés avec respectivement 33 voix pour 11 contre et 0 abstention, 33 voix pour 11 contre et 0 abstention, 31 voix pour 12 voix contre et 1 abstention, et 30 voix pour 13 voix contre et 1 abstention. Le camp rose-vert a voté à chaque fois contre l'adoption du postulat. Il n'a été rejoint que par un député du Centre et une députée des Vert'libéraux sur le quatrième axe relatif à la construction de nouvelles centrales nucléaires.
Après l'adoption du postulat, la presse s'est emparée du débat. Pour de nombreux observateurs, il s'agit d'un tournant dans la politique énergétique helvétique avec la levée du «tabou» de l'énergie nucléaire.