Le Conseil fédéral a publié son rapport sur la réglementation du génie génétique dans le domaine non humain, répondant à trois postulats déposés respectivement par Isabelle Chevalley (pvl, VD; 20.4211), la CSEC-CN (21.3980) et la CSEC-CE (21.4345). Le Conseil fédéral a décidé de publier un rapport qui dépasse, dans son contenu, les réponses à ces trois objets, considérant important de rappeler le contexte dans lequel s'est façonnée l'actuelle législation en la matière, les défis actuels à relever et la marge de manœuvre pour le futur. Ce rapport pose également le cadre pour l'élaboration d'un projet d'acte «visant à instaurer un régime d'homologation fondé sur les risques applicables à certains OGM obtenus au moyen de nouvelles techniques de sélection et auxquels aucun matériel génétique transgénique n'a été ajouté». En clair, il s'agit pour le Conseil fédéral de proposer des solutions afin de prendre en considération et de mettre en place un régime d'autorisation s'agissant des nouvelles techniques génétiques, telles que Crispr-Cas, comme l'a demandé le Parlement dans le cadre du renouvellement du moratoire sur les OGM.
Dans la première partie de son rapport, le Conseil fédéral revient sur les nouveaux procédés de génie génétique. Ce qui les distingue essentiellement des techniques traditionnelles est la plus grande précision de l'opération, qui permet de cibler plus précisément la zone du brin d'ADN voulue. Dans le cas des techniques génomiques classiques, par exemple lors du procédé de mutagenèse, le brin d'ADN est ciblé de manière hasardeuse par traitement chimique ou radiations. Les nouvelles techniques font, elles, appel à une sorte de ciseau génétique qui a pour caractéristique d'être analogue à ce qui se «produit lors de mutations naturelles aléatoires» et qui est donc difficilement discernable d'un croisement naturel. De plus, l'édition génomique n'induit pas l'insertion de matériel génomique provenant d'une autre espèce, comme c'est le cas dans les méthodes de transgenèse.
Au moment de la rédaction du rapport, aucun de ces nouveaux organismes n'était commercialisé ou cultivé sur sol suisse, alors que le moratoire sur les OGM ne permet pas la culture d'organisme génétiquement mofidifié de toute sorte sur territoire helvétique (sauf à des fins de recherche). La question centrale de ce rapport est bien de déterminer si ces nouvelles techniques devraient également être considérées comme des OGM classiques ou si les modifications apportées aux gènes des plantes ne sont pas assimilables à des techniques classiques de génie génétique, auquel cas, ces nouvelles techniques ne doivent pas être soumises à moratoire, comme inscrit dans la LGG. S'agissant de sa législation sur le génie génétique, la Suisse s'inspire fortement de la législation européenne, pour des raisons de compatibilité et de facilitation de commerce avec ses partenaires européens. Une différence de taille est toutefois à noter : l'UE ne connait pas de moratoire, mais autorise les pays membres à interdire leur culture sous certaines conditions. Actuellement, une seule plante génétiquement modifiée (le maïs MON810) est cultivée sur sol européen (en Espagne et au Portugal). L'importation de denrées alimentaires génétiquement modifiées est possible tant au sein de l'UE qu'en Suisse, mais seuls quatre aliments ont obtenu les autorisations dans notre pays. La branche a renoncé jusqu'à présent à importer ces denrées, en raison du scepticisme de la population à l'égard des techniques classiques de génie génétique.
La deuxième partie du rapport se penche en détail sur le cadre juridique actuel, alors que la Commission européenne élabore un projet de réglementation afin de faire une distinction entre techniques classiques et nouveaux procédés. Une présentation et un historique de la législation actuelle sont présents dans le document du Conseil fédéral, montrant notamment que la LGG s'est construite à force de votations populaires et de débats sociétaux et parlementaires. Réagissant à la LGG adoptée en 2003, une initiative populaire réclamant un moratoire sur les OGM sera déposée avec succès, avec une approbation du corps électoral et des cantons à ce principe en 2005. En mars 2022, le Parlement a prolongé, pour la quatrième fois, ce moratoire tout en chargeant le Conseil fédéral d'élaborer un projet d'acte visant la régulation des nouvelles techniques génomiques. En 2018 déjà, le Conseil fédéral s'était prononcé pour une distinction entre ces nouvelles méthodes et les méthodes classiques. Le défi consiste à déterminer quels sont les organismes juridiquement considérés par la LGG comme génétiquement modifiés. Selon la lecture qu'en fait l'Administration fédérale, les nouvelles techniques doivent être considérées comme telle, car «l'homme intervient dans le patrimoine héréditaire d'organismes pour le modifier d'une manière qui ne se produit pas naturellement.» La loi s'intéresse aux techniques appliquées et non au produit créé. Toutefois, une exception est inscrite au niveau de l'ordonnance s'agissant des techniques de mutagenèse, qui ne sont donc pas touchées par la réglementation de la LGG. Cette exemption provient d'une harmonisation avec le droit européen lors de la création de la loi sur le génie génétique. Certaines nouvelles techniques pouvant s'apparenter à de la mutagenèse, la question se pose de savoir si elles sont, elles aussi, exemptes de la LGG. Mais respectant le principe d'interprétation restrictive, les autorités fédérales considèrent que seules les techniques de mutagenèse conventionnelles, éprouvées de longue date, sont exclues de la LGG. Le rapport précise que cette interprétation pourrait, à l'avenir, également concerner les nouvelles méthodes, à partir du moment où un historique d'utilisation sûr sera établi, selon le principe de précaution – central dans la LGG – sans pour autant que les autorités ne sachent déterminer quand ce moment interviendra exactement.
D'autres aspects juridiques sont discutés dans le rapport, notamment la traçabilité et la détectabilité de ces nouveaux organismes génétiquement modifiés. Alors que pour les techniques classiques, des tests sont disponibles, il est pour l'heure très difficile de distinguer une mutation naturelle d'une mutation obtenue avec les nouvelles techniques. A cet égard, le droit du libre choix des consommateurs est rappelé, rendant l'étiquetage des denrées alimentaires contenant des OGM obligatoire avec le libellé «génétiquement modifié». La coexistence entre cultures usant de ces nouvelles techniques génétiques et cultures exemptes d'OGM représente par ailleurs un enjeu, s'agissant tout particulièrement de la séparation des flux. Pour cela, le Conseil fédéral considère que la désignation obligatoire et l'obligation de transmettre les informations nécessaires pour retracer les produits seraient suffisantes. S'agissant de la responsabilité en cas de contamination, les autorités précisent que «l'interprétation de la responsabilité dans la LGG a pour but de protéger les agriculteurs d'éventuels litiges coûteux.» A noter qu'aucune compagnie d'assurance ne propose à ce jour en Suisse de possibilité d'assurer des productions OGM ou les éventuels dégâts engendrés par contamination.
En conclusion, le Conseil fédéral répond de manière synthétique, en reprenant les éléments du présent rapport, aux trois postulats (Po. 20.4211 Chevalley ; Po. 21.3980 CSEC-CN ; Po. 21.4345 CSEC-CE) et discute de la nécessité d'adapter la législation sur plusieurs points. S'agissant, par exemple, du champ d'application de la LGG, c'est au Parlement de proposer, s'il le souhaite, des modifications conformes à la Constitution. Et concernant les procédés, le Conseil fédéral pourrait – en s'appuyant sur l'actuelle LGG et sous réserve du respect des principes de la LGG et du droit constitutionnel – octroyer un régime simplifié d'autorisation. Mais le Conseil fédéral précise, pour clore le rapport, que «quels que soient les choix qui seront faits parmi les options exposées (...), il faudra exiger la preuve que les OGM concernés apportent une réelle plus-value à l'agriculture ou aux consommatrices et consommateurs (art. 37a, al.2, LGG. (...) Reste à déterminer s'il faut régir les critères applicables à l'établissement de la preuve d'une plus-value et, si oui, de quelle manière.»
Le moratoire sur les OGM courant jusqu'à fin 2025, le présent rapport permet ainsi de penser un éventuel après-moratoire.