Le départ de deux membres du Conseil fédéral en décembre 2022 a provoqué un jeu de chaises musicales à la tête des départements. Négociée entre les membres du collège gouvernemental, la nouvelle répartition a permis à Albert Rösti, élu à la place de Ueli Maurer, d'hériter du Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), vacant à la suite du départ de Simonetta Sommaruga.
Avant Albert Rösti, le dernier ministre UDC à la tête du DETEC était Adolf Ogi, entre 1988 et 1995. A l'époque, le département se dénommait encore Département fédéral des transports, des communications et de l'énergie. Avec le retour de l'UDC à la tête de ce département stratégique, la presse s'est demandée ce que cela signifierait pour la politique médiatique, marquée par le refus du paquet d'aide aux médias en 2022. Ce projet était ardemment combattu par le parti agrarien, qui a en outre lancé une nouvelle initiative contre le service public dénommée «200 francs, ça suffit». Quel comportement va donc adopter le nouveau ministre des médias, coincé entre son parti farouchement opposé au soutien de l'Etat à la branche, et l'obligation de défendre la position du collège gouvernemental devant le grand public ?
Plusieurs pistes de réponse à cette question ont émergé dans la presse. Comme l'a relevé l'Aargauer Zeitung, Rösti figure dans le comité de l'initiative «200 francs, ça suffit» et ne peut plus s'en retirer. Cependant, il a précisé, suite à son élection, qu'il n'allait plus s'engager dans la récolte de signatures, encore en cours. Lorsque celle-ci aura abouti, ce qui ne fait que peu de doute, il est très probable que le Conseil fédéral recommande le rejet de l'initiative, à l'image de la position que le gouvernement avait adoptée lors de la votation sur l'initiative No-Billag. Dans ce cas de figure, Albert Rösti devra défendre la position officielle du Conseil fédéral, contre son parti. Aux yeux du SonntagsBlick, cette situation constitue une opportunité pour la SSR, pour laquelle l'initiative «200 francs, ça suffit» est une sérieuse menace. En effet, l'initiative, plus modérée que No-Billag, disposerait de bonnes chances de convaincre une majorité des cantons et de la population. Cette dernière pourrait se montrer agacée par les nombreux déboires de la télévision publique, dont les cadres tendraient le bâton pour se faire battre, selon le journal dominical zurichois. Mais avec le ministre Rösti au front pour défendre la position gouvernementale, ses collègues de parti devraient se montrer plus mesurés que face à la socialiste Sommaruga. Ainsi, la SSR pourrait faire face à un adversaire moins féroce que prévu, conclut le SonntagsBlick.
Pour l'instant, le nouveau chef du DETEC n'a pas dévoilé ses intentions quant à la direction exacte qu'il souhaite donner à la politique médiatique. A une question sur le service public audiovisuel, il a seulement répondu que « nous avons besoin de la télévision, mais c'est une question de coûts ». En cas de besoin, il pourra en tout cas s'inspirer des six conseils que lui a prodigué la Weltwoche afin de mener une politique couronnée de succès. Primo, l'hebdomadaire zurichois lui recommande de ne pas faire confiance à la SSR, qui ne respecterait pas ses plans d'économie. Secundo, ne pas faire confiance non plus aux éditeurs. Contrairement à ce qu'ils prétendent, ceux-ci n'auraient pas besoin d'aide. Ensemble, TX Group, Ringier et CH Media, les trois plus gros groupes de presse du pays, auraient réalisé un bénéfice de CHF 355 millions en 2021, a précisé la Weltwoche. Tertio, ne pas faire confiance aux journalistes: il n'y en aurait jamais eu autant qu'aujourd'hui, et pourtant ils se plaindraient que le métier ne se porte pas bien. Quarto, ne pas faire confiance à Swisscom, car l'entreprise semi-publique concurrence les médias privés sur plusieurs terrains grâce à l'aide fédérale, juge le journal. Quinto, l'UDC ne serait pas non plus digne de confiance. La Weltwoche recommande à Albert Rösti de mettre sur les rails un contre-projet à l'initiative «200 francs, ça suffit», afin de maximiser les chances de convaincre les cantons latins et ceux de gauche de réduire les moyens alloués au service public, même si cela se fait dans une moindre mesure que les exigences de l'initiative. Enfin, le sixième et dernier conseil de la Weltwoche à Albert Rösti est de ne pas faire confiance à sa prédécesseur. L'hebdomadaire zurichois lui préconise ainsi de «faire simplement toujours le contraire de ce qu'aurait fait [...] Simonetta Sommaruga, étatiste et hostile à l'économie », pour que son mandat se passe bien. Donnés sur un ton mi-humoristique, mi-sérieux, ces conseils sont évidemment à prendre avec des pincettes pour le conseiller fédéral. Les prochains mois montreront s'il en suit certains, ou s'il préfère prendre une autre direction.