Lors de la session d'automne 2024, le Conseil national s'est prononcé sur le projet de loi sur l'examen des investissements étrangers (LEIE). Le rapporteur de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national (CEATE-CN), Sidney Kamerzin (centre, VS), a rappelé les arguments de la majorité de la commission qui s'est opposée au texte pour trois raisons principales: à savoir l'inutilité d'une telle loi puisque l'Etat détient déjà la majorité des infrastructures stratégiques, l'accroissement des coûts et de la charge administrative, et le déclin de l'attractivité qui en découlerait pour les investisseurs. A l'inverse, certains parlementaires ont considéré qu'un tel contrôle s'avère nécessaire et qu'il faut aller plus loin que le texte présenté par le Conseil fédéral. Pour ce faire, essentiellement la gauche a proposé plusieurs modifications élargissant le champ d'application de la loi, notamment pour se protéger de menaces sur l'ordre ou la sécurité publique, pour assurer le maintien des emplois et d'un certain savoir-faire, ainsi que pour éviter des distorsions de la concurrence et des délocalisations.
S'exprimant au nom de la majorité de la Commission, Jacqueline Badran (ps, ZH) a souligné l'importance de maintenir le contrôle de tous les investissements étrangers, et non pas de se limiter à une vérification limitée aux investisseurs étrangers contrôlés par des Etats, comme proposé initialement par le Conseil fédéral. En outre, la majorité de la CEATE-CN a choisi d'amender le projet pour le renforcer, en réduisant le seuil minimal de taille des entreprises soumises à la loi, ainsi qu'en introduisant un examen préalable obligatoire pour le bien à vendre, afin d'améliorer la transparence et de garantir la sécurité juridique. Au nom de la minorité et du groupe PLR, Marcel Dobler (plr, SG) a estimé que les amendements de la Commission dépassent l'objectif initial du projet du Conseil fédéral et de la motion 18.3021, qui était de protéger l'ordre public et la sécurité en Suisse, et non pas de décourager les investissements. Bien que la minorité Dobler et le Conseil fédéral, par l'intermédiaire du ministre de l'économie Guy Parmelin, aient dès le début proposé de ne pas donner suite au texte, le Parlement a décidé d'entrer en matière par 143 voix (38 PS, 46 UDC, 23 Vert-e-s, 27 Centre, 9 Vert'libéraux) contre 46 (27 PLR, 19 UDC) et 2 abstentions.
La discussion des articles a été marquée par une tendance générale tout au long du débat : la minorité bourgeoise a tenté autant que possible d'empêcher l’élargissement du champ d’application de la loi, tel que souhaité par la majorité.La première partie des articles a pour objectif de délimiter l'objectif de la loi, le champ des entreprises concernées, de délimiter les investisseurs concernés, de définir les exceptions et d'indiquer la réciprocité avec les autres pays. La minorité bourgeoise, menée par le député Marcel Dobler, a notamment échoué, par 55 voix contre 135, à limiter le champ d'application du texte aux seules entreprises dites «d'importance systémique» (art.1, al. d). A l'inverse, une autre minorité rose-verte, menée par Emmanuel Amoos (ps, VS), souhaitait supprimer totalement le seuil minimal de taille pour les entreprises concernées. D'après Emmanuel Amoos, le nombre d’employé.e.s, la capacité de production ou le chiffre d’affaires des entreprises, en particulier celles qui fournissent de l'eau ou de l'électricité, n’a pas d’importance, car un investisseur pourrait acquérir plusieurs petites entreprises plutôt qu’une grande. Bien que cette proposition ait été rejetée, le Conseil national a tout de même accepté, sur proposition de la CEATE-CN à l'article 3, de réduire le seuil d’application de la loi aux entreprises produisant plus de 60 mégawatts d’électricité ou approvisionnant plus de 10 000 habitants en Suisse, au lieu des 100 mégawatts et 100 000 habitants prévus dans le projet initial du Conseil fédéral.
Finalement, le rôle et les procédures liées au Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) ont été passablement débattus. Il était prévu dans le projet initial que les entreprises susceptibles d'être acquises puissent demander un préavis au SECO concernant leur assujettissement à la loi. Cependant, la majorité de la CEATE-CN a proposé d’ajouter une validité de 12 mois au préavis délivré par le SECO, ainsi que d’autres conditions relatives à sa révocation ou à son renouvellement. Le député Olivier Feller (plr, VD) a qualifié cette proposition de «véritable usine à gaz législative», tandis que le centriste Leo Müller (centre, LU) a défendu cette proposition en évoquant l'accroissement de la sécurité juridique. Finalement, cette proposition majoritaire a été acceptée par 141 voix (38 PS, 42 UDC, 23 Vert-e-s, 28 Centre et 10 Vert'libéraux) contre 52 (27 PLR, 23 UDC, 2 Centre) et aucune abstention. Par ailleurs, à l'article 4, la minorité de gauche aurait souhaité aller encore plus loin, en créant une nouvelle instance, indépendante du SECO, pour effectuer le contrôle des investissements. La majorité de la Commission s'y est opposée, estimant qu'il est judicieux de s'appuyer sur l'expertise du SECO dans ce domaine. La proposition du député Amoos a donc été rejetée par 133 voix (27 PLR, 65 UDC, 30 Centre, 10 Vert'libéraux, 1 PS) contre 60 (37 PS, 23 Vert-e-s).
Lors du vote sur l'ensemble, le Conseil national a accepté la version fortement amendée et élargie du texte initial par 142 voix (38 PS, 43 UDC, 23 Vert-e-s, 28 Centre et 10 Vert'libéraux) contre 48 (27 PLR, 21 UDC) et 3 abstentions. Dans son communiqué de presse du 22 octobre 2024, la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil des Etats (CEATE-CE) a annoncé qu’elle mènerait des auditions lors d’une prochaine séance afin d'examiner plus en détail les répercussions de l'élargissement du champ d'application décidé par le Conseil national.