Depuis février 2022, la neutralité suisse et sa signification exacte constitue l'un des sujets qui ne cesse de faire trembler la coupole fédérale. L'histoire nous montre que non seulement la neutralité évolue avec le temps, mais elle dépend d'une multitude de facteurs, notamment économiques et politiques, rendant la prise de décision parfois complexe, lors de débats parlementaires. Alors que les élu.e.s s'entretiennent sur les mêmes bases légales, ce sont souvent des réalités très différentes qui s'entrechoquent sur la vision que chacun.e a de la politique de neutralité. L'exportation du matériel de guerre constitue un très bon exemple en ce sens.
Depuis 2022, la Suisse a reçu plusieurs demandes de réexportation de matériel de type militaire de la part d'autres pays. Il est à noter que la loi concernant ce type de demandes est très stricte. En effet, afin de protéger sa neutralité, la Suisse interdit toute réexportation vers des pays en guerre et demande que le pays qui souhaite procéder à une réexportation dépose une demande officielle avant d'y procéder. Dans les cas particulièrement médiatisés, il s'agissait de réexportations vers l'Ukraine, en guerre avec la Russie depuis février 2022. Les demandes ont tout d'abord été déposées par l'Allemagne (pour des munitions et des grenades), dès mars 2022, puis par le Danemark (pour des chars Piranha III), en juin 2022, et finalement par l'Espagne (canons antiaériens) en février 2023. Ces demandes ont toutes été refusées, mais non sans susciter des débats. En effet, pour certains membres du Parlement, la loi sur l'exportation de matériel de guerre (LFMG) pourrait être plus souple et garantir la neutralité tout en laissant les acheteurs réexporter leurs acquisitions. Dans cette optique, une motion a été discutée puis votée en mars 2023 pour rendre certaines réexportations légales. Cependant, pour le Conseil fédéral, un tel changement ne peut pas garantir le droit de neutralité suisse, qui est selon lui primordial. Les micros ont chauffé, avant que la motion ne soit finalement rejetée. Il est intéressant de préciser que les discussions autour de cette motion ont été imprégnées par la guerre en Ukraine. Cependant, l'acceptation de la motion n'aurait pas permis d'envoyer du matériel de guerre suisse vers l'Ukraine, car l'objet n'aurait pas eu d'effet rétroactif.
Certains médias ont déjà, avant la votation de la motion en mars 2023, questionné les motivations de ces réexportations. Ainsi, la question des intérêts relatifs à la réexportation d'armes a brièvement été évoquée par la WOZ, dans un rapport traitant de l'industrie du matériel de guerre en Suisse. Dans le pays,139 acteurs, générant des centaines de millions de francs d'exportations, seraient actifs dans l'industrie militaire. Evoquant des laps de temps conséquents pour avoir accès à des données et un manque de transparence, les quelques lignes du journal zurichois ont souligné que la production du matériel de guerre en Suisse demeure un sujet sensible. Il n'en reste pas moins que cette industrie est sous pression. En effet, les demandes de l'Allemagne, du Danemark et de l'Espagne sont aussi liés à des questions économiques, car les entreprises suisses actives dans le secteur de l'exportation de matériel militaire pourraient perdre une partie de leur clientèle en fonction de la politique suivie par la Suisse. De plus, le débat est associé à la coopération internationale. En effet, en mars 2023, la Liberté a publié un article mentionnant des pays européens qui ont accusé la Suisse d'être « hypocrite » et de soutenir la Russie en refusant les réexportations vers l'Ukraine. Dans ce contexte, certains parlementaires, dont Charles Juillard (centre, JU) lors des débats sur le rapport 22.063, ont émis des inquiétudes vis-à-vis de la coopération avec d'autres États ou organisations comme l'OTAN, si la Suisse ne s'exprimait pas en faveur de la réexportation.
En raison de la division qui règne au sein de la classe politique et d'une situation tendue au niveau européen, de nouvelles interventions médiatiques sont à prévoir. De plus, la CPS-CE a d'ores et déjà annoncé de plus amples discussions qui traiteront, entre autres, du rôle de la neutralité dans la réexportation d'armes.